CULTURE- ETRANGER- EDITION FRANCE/MARCHÉ 2025
Le marché de l’édition
poursuit sa consolidation en France
©
https://la-rem.eu/Alexandre Joux*/ N°71 Automne 2024
Négociations exclusives entre Delcourt et Editis,
Humensis en vente, Michel Laffon
en quête d’investisseurs, rachat de Christian Bourgois… La concentration du
secteur de l’édition se joue lors des successions et devrait renforcer les
quatre acteurs principaux du marché français.
Après une année marquée par des mouvements capitalistiques d’ampleur qui
ont vu le groupe Vivendi se séparer d’Editis afin de prendre le contrôle de Lagardère
, le marché de l’édition s’apprête à entrer dans un cycle de
consolidation. En effet, plusieurs facteurs
plaident pour une concentration du marché de l’édition. Ce dernier,
d’abord, est un marché mature avec peu de perspectives de croissance, sauf à
acquérir de nouveaux actifs. Si le marché de l’édition a profité
de la crise sanitaire – à l’inverse d’autres secteurs des industries
culturelles –, puisque son chiffre d’affaires 2023 est supérieur de 12 % à celui de 2019,
sa croissance se tasse désormais. Après avoir bénéficié
du « pass Culture » et de l’envolée des ventes de
mangas, ces dernières ralentissent et seul le récent succès de la romance
permet de redonner à la littérature générale la première place sur le marché.
Pour le reste, ce sont les fonds qui assurent la survie des éditeurs,
puisqu’ils représentent un peu moins de la moitié des ventes mais une grande
partie de la marge. Cette activité est toutefois menacée par le développement
du marché de l’occasion.
La deuxième raison qui plaide en faveur de la consolidation est la
situation de plusieurs acteurs, amenés à se repositionner parce qu’un
changement de génération se profile à leur
tête, qu’il s’agisse de grands groupes comme Madrigall
(famille Gallimard) ou d’éditeurs intermédiaires comme Actes Sud. Certains
groupes cherchent de leur côté un repreneur ou des soutiens pour gérer leur
succession, ainsi de l’éditeur indépendant Michel Laffon.
Ensemble, ces mouvements devraient conduire au renforcement des principaux
acteurs du marché – Lagardère, Editis, Madrigall et Media-Participations –, quand de nouvelles
maisons d’édition devraient émerger pour saisir les occasions que ces
mouvements capitalistiques ne manqueront pas de provoquer, qu’il s’agisse de
récupérer des auteurs en vue ou des éditeurs tentés par de nouvelles aventures.
Quatre exemples récents attestent de ce mouvement en cours. Editis, le numéro deux du secteur, désormais contrôlé par
Daniel Kretinsky, a annoncé en juillet 2024 être
entré en négociations exclusives pour racheter l’éditeur Delcourt à son
fondateur, un moyen pour Guy Delcourt de gérer sa succession. Il s’agit d’une
opération d’ampleur puisque Delcourt a franchi en 2023 le seuil des 100
millions d’euros de chiffre d’affaires, essentiellement grâce à la BD et au manga,
Delcourt étant le troisième acteur du marché de la BD derrière le leader
Média-Participations et Glénat. L’opération permet à Editis
de se positionner dans un segment de marché où le groupe était jusqu’ici peu
présent. En même temps, elle confirme la
volonté de Daniel Kretinsky de donner à son groupe
les moyens de se développer. Les Échos annoncent pour preuve
une cession à 100 millions d’euros, ce qui correspond à une valorisation élevée
pour une transaction dans le domaine de l’édition française.
L’enjeu des successions, déjà souligné pour les éditeurs Michel Laffon et Guy Delcourt, est également au cœur de la
vente d’Humensis (PUF, Belin, Éditions de
l’observatoire) depuis le décès en 2023 du fondateur du groupe, Denis Kessler,
à la tête du réassureur Scor. Déficitaire, Humensis a été mis en vente par Scor et intéresse deux
grands groupes de l’édition française : Madrigall et
Albin Michel. Alors qu’une opération était annoncée, les deux prétendants ont
convenu d’attendre face à la situation d’incertitude politique en France. En effet, l’activité d’édition scolaire de Belin,
quatrième acteur du marché, est fortement tributaire des réformes des
programmes, dont celle portée par le gouvernement de Gabriel Attal avant que
celui-ci ne démissionne début juillet 2024.
Le troisième exemple d’initiative répond de son côté à la concentration en
cours dans un contexte de successions à la tête des groupes d’édition
familiaux. L’évolution du contrôle du capital des éditeurs fait immanquablement
émerger quelques inquiétudes chez les auteurs et les éditeurs, et elle rend
possible l’apparition de nouveaux acteurs pour en tirer profit,
ce qui devrait permettre de reconstituer une frange concurrentielle. À titre
d’exemple, Arnaud Nourry, ancien PDG d’Hachette Livre
(Lagardère), a lancé un nouveau groupe d’édition en juin 2024, baptisé Les
Nouveaux Éditeurs, afin d’accueillir tous ceux
qui, s’inquiétant de la concentration et des risques qu’elle peut faire courir
au pluralisme des expressions, chercheront à l’avenir des alternatives aux plus
grands groupes sur le marché.
En septembre 2024, Madrigall a annoncé le rachat
de Christian Bourgois Éditeur dont il assurait déjà la distribution des livres.
Pour cette raison, le groupe dirigé par Antoine Gallimard renforce son offre dans la littérature étrangère, domaine de
prédilection de Christian Bourgois. Le groupe avait déjà perdu son
indépendance, en 2019, avec l’arrivée à son capital de Premier Investissement,
à l’époque une opération de soutien pour un groupe spécialisé dans la
construction. Premier Investissement cède aujourd’hui cet actif afin qu’il rejoigne une structure spécialisée qui
dispose de la taille et de la compétence pour développer le catalogue de
Christian Bourgois. Les équipes en place ont toutefois vocation à être
conservées.
Sources : Cariou Antoine, « En pleine succession, les éditions Michel
Laffon suscitent les convoitises des géants du
livre », La Lettre, 2 avril 2024./ Cohen Claudia, « Vincent
Montagne : « La France doit limiter l’accès aux écrans pour les plus
jeunes » », Le Figaro, 12 avril 2024./ Loignon Stéphane, « L’ex-PDG d’Hachette lance son groupe
d’édition », Les Échos, 14 juin 2024./ Richaud Nicolas,
« La vente d’Humensis ralentie par la situation
politique », Les Échos, 12 juillet 2024./ Richaud Nicolas, « Editis en passe de reprendre Delcourt, poids lourd de la BD
et du manga », Les Échos, 24 juillet 2024./ Richaud Nicolas, « Antoine
Gallimard met la main sur Christian Bourgois Éditeur », Les Échos,
6 septembre 2024.
*Alexandre
Joux
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut
méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC,
Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de
communication d’Aix-Marseille (EJCAM)