RELATIONS INTERNATIONALES- FRANCE- FRANCE.ALGERIE/
ACCORD 1968
© France Télévisions, Margaux Duguet, 2 mars 2025
Le Premier ministre, François Bayrou, a ouvert la
réexamen de cet accord bilatéral qui régit les conditions d'immigration
des Algériens en France.
C'est un texte juridique qui se retrouve
au cœur du débat politique français et qui cristallise les tensions diplomatiques
inédites entre Paris et Alger. Lors
d'une conférence de presse tenue mercredi 26 février, le Premier ministre,
François Bayrou, a annoncé que la France allait demander à l'Algérie de "réexaminer" l'accord
de 1968 entre les deux pays. Paris
va notamment fournir à Alger une "liste d'urgence" de
personnes considérées comme "sensibles" et que le
gouvernement français veut voir reprises par l'Algérie, faute de quoi l'accord sera
dénoncé.
Cette demande est exprimée de longue
date par l'extrême droite et la droite, y compris par certains membres du
gouvernement, comme le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. "Cet
accord est daté et a déformé l'immigration algérienne. Il n'a pas lieu d'être.
Il faut le remettre sur la table", dénonçait le locataire de
Beauvau, le 19 janvier sur BFMTV(Nouvelle fenêtre).
Emmanuel Macron a lui tenter de calmer
le jeu vendredi, appelant les deux capitales à "réengager un
travail de fond" sur leurs accords d'immigation. "Nous
n'avancerons pas s'il n'y a pas un travail, on ne peut pas se parler par voie
de presse, c'est ridicule, ça ne marche jamais comme cela", a-t-il
lancé lors d'une conférence de presse à Porto. "Il ne faut pas que [les
relations] fassent l'objet de jeux politiques", a-t-il ajouté.
En parallèle de ces tensions, nombre d'historiens rappellent d'ailleurs que la
France a longtemps bénéficié de cet accord et relativisent sa portée actuelle.
Le document signé le 27 décembre 1968 a
fait l'objet de trois révisions, en 1985, 1994 et 2001. Il confère aux
Algériens un statut dérogatoire au droit commun, qui régit leurs conditions de
circulation, de séjour et d'emploi sur le territoire national. L'accord,
considéré aujourd'hui par certains responsables politiques français comme trop
avantageux pour l'Algérie, a initialement été signé pour restreindre les
facilités d'immigration offertes par les accords d'Evian. Signés six ans plus tôt, ceux-ci ont mis fin à la guerre d'Algérie (de
1954 à 1962) en reconnaissant l'indépendance du pays, colonie française depuis
1830, tout en actant "que la liberté de circulation serait
maintenue", note l'historien et politiste Emmanuel Blanchard dans
son ouvrage Histoire de l'immigration algérienne en France.
"On est passé d'une circulation de
peuplement, avec des gens qui pouvaient circuler librement, à l'instauration
d'une migration de travail. On avait besoin de main-d'œuvre sur tous les
terrains", observe auprès de franceinfo
l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie contemporaine et de
l'immigration algérienne. "On donne aux Algériens le statut de
travailleurs étrangers. C'est une compensation, car il n'y a donc plus de
liberté de circulation."
Concrètement, "seuls
35 000 Algériens par an peuvent venir s'installer en France, sans que
ceux-ci n'aient besoin de visa long séjour. Ces derniers bénéficient d'une
carte de résidence (CRA) de cinq ans s'ils peuvent justifier d'un emploi. Au
bout de trois ans de résidence en France, une CRA de
dix ans peut être octroyée, relève TV5
Monde(N). L'accord de 1968 facilite également le
regroupement familial (conjoint, enfants, ascendants), au bout de douze mois de
présence en France."
Le décret d'application du 18 mars 1969
justifie l'accord par "la nécessité de maintenir un courant
régulier de travailleurs", qui "tienne compte du volume
de l'immigration traditionnelle algérienne en France". Pour
Benjamin Stora, l'époque était "à l'expansion économique de la
France", avec les
Trente Glorieuses(Nouvelle fenêtre). "Il fallait construire tous azimuts, des autoroutes, des
logements. Or, l'immigration européenne, qu'elle soit portugaise ou espagnole,
se tarissait, il y avait besoin d'une immigration algérienne",
détaille l'historien.
Le destin de ces immigrés algériens se
cantonne souvent aux usines. "Plus de 90% des Algériens étaient
ouvriers : la plupart d'entre eux n'avaient d'autre destin que 'la pelle
et la pioche', expression utilisée par les principaux intéressés afin de
désigner les emplois de manœuvres dans le BTP ou l'industrie", relève
ainsi Emmanuel Blanchard dans son ouvrage.
Les Trente Glorieuses se terminent en
1973 avec le premier choc pétrolier. "Lorsqu'on a signé l'accord
de 1968, on était donc bientôt à la fin des Trente Glorieuses, mais les
Algériens ont ensuite participé à la vie de la France dans tous les domaines et
de manière notable", poursuit l'historien Jacques Frémeaux, professeur
à l'université La Sorbonne et spécialiste de l'histoire coloniale.
Ils sont aussi les premiers concernés
par le chômage qui s'installe avec la récession économique. "Les
immigrés et en particulier les Arabes furent les premiers frappés par les
licenciements. Ils subirent de plein fouet les conséquences des
discriminations, qui les frappaient dans toutes les dimensions de leurs
carrières", affirme Emmanuel Blanchard dans son
livre. Néanmoins, cela n'a pas atténué le flux des arrivées des Algériens
en France.
La communauté algérienne, poursuit ce
spécialiste, devient la plus nombreuse en France, au tournant des années
1980, "place auparavant occupée par les Italiens puis les
Portugais". Or, cette situation n'est pas de nature à ravir les
autorités françaises qui, dès 1947 et le nouveau statut de l'Algérie, ont vu
arriver dans l'Hexagone ces immigrés pendant plusieurs décennies. "Les
centaines de milliers d'arrivées alors enregistrées ne furent cependant pas
encouragées par les pouvoirs publics français. Ceux-ci auraient en effet préféré
que l'immigration soit alimentée par d'autres régions et demeure
'européenne'", relate Emmanuel Blanchard.
L'accord de 1968 va, au fur et à mesure
de ses révisions et a fortiori depuis l'obligation de visa imposée en 1986, se
restreindre. "De facto, cet accord n'existe pratiquement plus.
Qu'est-ce qui compte pour un Algérien ? C'est d'avoir un visa. Or, depuis
1986, c'est très dur l'avoir", assure Benjamin Stora. Les
Algériens restent cependant aujourd'hui en France les premiers ressortissants
étrangers, en nombre, puisqu'ils sont chaque année "plus de
400 000" à "obtenir un visa pour se rendre et
séjourner plus ou moins longuement en France", selon Emmanuel
Blanchard.