CULTURE- FORMATION CONTINUE- ALGÉRIE/ CRITIQUE LITTÉRAIRE
UNE CRITIQUE LITTÉRAIRE TRÈS ALÉATOIRE
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Pr Ahmed Cheniki, Fb, 20 février 2025
Il est très peu aisé de parler de la critique journalistique en Algérie où
il n’a presque pas existé de journaux littéraires et de revues universitaires,
souvent aléatoires. Les revues universitaires s’occupant du champ littéraire et
artistique à l’université depuis l’indépendance sont trop peu fréquentes. Des
revues mensuelles comme Novembre ou Amal accordant une place de choix à la
production littéraire n’ont pas réussi à faire disparaître cette idée que la
critique reste considérée comme le parent pauvre de la littérature ou une sorte
d’avatar de la production culturelle.
Certes, des revues culturelles généralistes comme Promesses (Amel, depuis
1969), Ettaqafa (depuis 1971), El Moudjahid Ettaqafi ou Joussour ou certaines
publications aléatoires comme Ettab’yin ou el Kitab ou Arts et Culture ont vu le jour et ont consacré des
pages à la littérature, mais il n’en demeure pas moins que le regard porté
restait superficiel dans la mesure où les revues fonctionnaient comme des
espaces hétéroclites sans grands objectifs ni démarche éditoriale claire.
Cette réalité ambiguë va se retrouver également dans les pages culturelles
des journaux qui, souvent, suppléeront l’absence de revues universitaires et de
périodiques thématiques (à mi-chemin entre le style universitaire et le style
journalistique). C’est la presse ordinaire qui va donc s’occuper
essentiellement de la critique littéraire.
Des remarques s’imposent d’elles-mêmes : nous avons fréquemment affaire à
des critiques de type universitaire ou spécialisée dans des quotidiens qui, en
principe, fonctionnent comme des espaces instantanés et des lieux où
l’immédiateté est de rigueur.
Mais le contexte lacunaire et anomique d’une société et d’une université
quelque peu en panne va pousser au départ certains journaux à créer des
suppléments culturels et d’autres à ouvrir leurs pages culturelles aux
contributions des universitaires. Ce qui rend cet espace extrêmement ambigu, à
tel point que critique journalistique et critique universitaire se côtoient étrangement
dans un espace, en principe, peu ouvert à l’austérité et à l’aridité du langage
universitaire algérien.
Cette absence de ligne éditoriale va amener le journal à une série de
confusions au niveau des prérogatives et de la fonction du quotidien ou de
l’hebdomadaire généraliste dont la fonction est tout à fait différente de la
revue universitaire.
La critique qui est l’espace privilégié où se cristallise la subjectivité
de l’individu n’a pas d’appareil scientifique, l’une et l’autre des deux critiques,
journalistique et universitaire, emploient des outils d’interprétation et des
démarches différentes et convoquent des publics radicalement distincts (même si
un universitaire peut déchiffrer un texte journalistique).
Barthes a raison d’inviter le critique à assumer pleinement sa
subjectivité. Certes, dans les deux cas, critique journalistique et critique
universitaire se rejoignent au niveau des jeux ludiques de l’écriture. Ainsi,
dans les deux cas, la relation avec le texte littéraire est d’abord de l’ordre
de l’émotionnel et de l’affectif.
Sartre qui a énormément marqué Barthes se méfie de ceux qui sanctifient
l’œuvre littéraire en faisant appel à un outillage dit scientifique rejoignant
ainsi sans s’en rendre compte la critique positiviste du dix-neuvième siècle, même
s’ils déifient l’immanence du texte, d’ailleurs espace des textes sacrés. Il
fustige ceux qui, à force de traiter « les productions de l’esprit avec un
grand respect qui ne s’adressait autrefois qu’aux grands morts, risquent de les
tuer » (Situations, II).
De nos jours, la critique devient l’alibi de l’écriture, d’autant plus
qu’il n’est nullement possible de définir l’objet de la critique comme faisant
partie du domaine de la connaissance, mais il est, d’ailleurs, dans les deux
actes de lecture, une pratique active de l’interprétation. Cette relation
subjective a atteint son paroxysme avec Émile Zola qui animait dans le journal,
Bien Public, une rubrique littéraire et dramatique intitulée « livres à ne pas
lire » transformée par la suite après de virulentes protestations en un
intitulé moins fort : « Livres que je n’ai pu lire ».
En Algérie où il n’existe pas de journaux littéraires au sens plein du
terme, notre travail consistera à observer le fonctionnement des pages
culturelles consacrant régulièrement des articles à la littérature. Les organes
de presse se substituent dans de nombreux cas au paysage universitaire.
D’ailleurs, de nombreux universitaires interviennent dans les pages
culturelles des journaux, daignant ouvrir une rubrique culturelle considérée
souvent comme la poubelle du journal. Les « contributions » des universitaires
qu’aucune indication ne distingue des autres articles reproduisent généralement
des grilles et des termes techniques que ne comprendrait pas la grande masse
des lecteurs à tel point qu’on s’interroge sur les objectifs de l’universitaire
qui a l’illusion qu’en utilisant des termes barbares, son texte serait teinté
de scientificité et du journal qui ne fait finalement que du remplissage,
sachant à l’avance que ce texte ne serait lu que par une petite minorité.
Les deux émetteurs se trompent lourdement de cibles et de récepteurs. Il
faut savoir que de nombreux journaux n’ont pas de pages culturelles. Quand
elles existent, l’espace littéraire occupe une place trop peu importante.
D’ailleurs, le problème des journaux, c’est l’absence totale d’une conception
de la rédaction, donc du public. Les organes de presse algériens, surtout,
depuis 1990, marginalisent la rubrique culturelle considérée comme la dernière
roue de la charrette. La rubrique culturelle devient un fourre-tout. La
programmation n’est pas rationnelle. Les comptes-rendus de livres sont souvent
faits à l’initiative du journaliste.