COMMUNICATION- FORMATION CONTINUE-
LECTURE DES MEDIAS ALGERIENS/TROIS QUOTIDIENS (I/II)
© Pr
Ahmed Cheniki, fb, fin février 2025....
1/ Trois quotidiens: El Watan, Le Soir
d’Algérie et El Khabar
La lecture, aujourd’hui,
m’a permis de confirmer mon appréhension de départ, l’état peu reluisant de nos
journaux. Mon objectif est de suivre régulièrement le parcours de la presse algérienne
en proposant une lecture critique des médias. Ainsi, j’avais prévu d’entreprendre
une étude comparée de journaux et chaines de télévision du pays et de médias
européens (Le Monde et L’Humanité) ou américains (notamment The Washington
Post) ou même des sites d’information, comme Médiapart, Blast ou Le Média, mais
je me suis rendu compte de la difficulté de l’entreprise dans la mesure où nos
médias sont encore en porte-à-faux avec les standards du métier. Je tente, ici,
d’interroger trois quotidiens, El Watan, Le Soir
d’Algérie et El Khabar (19/02/2025).
Il n’y a point
d’investigation, de reportages ou d’enquêtes. Dans les trois journaux, datés
d’aujourd’hui, il n’y a pas de trace d’une lecture polyphonique d’un événement,
comme si la société ne pouvait être le lieu d’articulation du discours
éditorial de ces journaux. Cela peut se comprendre pour le quotidien El Watan qui ne bénéficie d’aucune page de publicité, alors
que c’est le journal qui semble prendre plus de temps de lecture que les deux
autres, El Khabar et Le Soir d’Algérie qui disposent
de quatre et de trois pages.
Les deux pages «
automobile » du Soir sont rédigées dans une perspective publicitaire. Première
interrogation : pourquoi El Watan ne bénéficie pas du
même nombre de pages publicitaires que les deux autres titres ?
J’ai l’impression que les
trois journaux n’accordent pas une grande importance aux titres et aux
différentes attaques, alors que c’est à partir du titre que s’inaugure le
protocole de lecture et qu’on arrive à attirer l’attention de l’éventuel
acheteur. La première phrase oriente la lecture et peut séduire le lecteur.
Ici, déjà, les trois « une » paraissent être réalisés à la va-vite : El Watan et El Khabar inondent la
première page, essentielle, par une occupation peu attirante de l’espace : huit
titres, comme si cela pouvait permettre à l’éventuel acheteur de trouver un de
ses possibles thèmes favoris. Le Soir coupe la « une » en deux en proposant,
dans les deux parties, un sujet en rapport avec le Sahara Occidental, tout en
plaçant en bas, la chronique Vox Populi. La dernière page ou page-vitrine est
l’otage d’une certaine routine. Deuxième interrogation : à quoi est due la
laideur formelle des quotidiens ?
Les auteurs des articles
ne paraissent pas maîtriser l’écriture journalistique. On a l’impression que
l’information n’intéresse pas les rédactions. Là où il y a l’information, elle
est mal agencée, c’est dans la rubrique « Régions » (Le Soir) ou « l’Algérie
profonde » (El Khabar), « Info » (El Watan), mais les titres sont extrêmement peu attrayants
(Les ATS au chômage ???). Il y a, certes, l’info, mais les textes devraient
être, en grande partie, rewrités. Il devrait y avoir des correcteurs. Troisième
interrogation : quel est désormais le rôle des correcteurs ?
L’actualité est, dans la
plupart des cas, prisonnière des appareils, carrément éloignée de la société
qui ne semble pas intéresser les différentes rédactions. L’absence
d’investigation expliquerait peut-être la mise à l’écart de la société et de
l’indispensable pluralité des sources. On préfère plutôt le commentaire à l’info,
la victime expiatoire de ce type d’écriture. Au Soir d’Algérie, l’édition
d’aujourd’hui compte cinq chroniques et un commentaire.
À El Watan,
l’actualité, elle-même, fonctionne comme un espace de justification de
déclarations (Retour de déclarations de Mohamed Meziane à propos des «
campagnes médiatiques qui ciblent notre pays »), on reprend aussi les textes de
l’APS. Dans l’édition d’aujourd’hui, manque la signature de Salima Tlemçani, l’une des rares journalistes du pays qui
maîtrisent les contours de l’écriture journalistique.
Au Soir d’Algérie,
l’actualité nationale est réduite à des événements d’appareils (« Le MSP chez
le FFS », « Les propositions des députés à propos de « la loi régissant le
tribunal des conflits » et « 7e Conférence du Parlement arabe »). Ce sont des
textes qui n’ont pas nécessité le déplacement des rédacteurs. Ce sont des
papiers de bureau. A El Khabar, des sujets très
intéressants par exemple, ceux consacrés aux travaux de la ligne ferroviaire de
Béjaia ou sur les syndicats de l’éducation, pouvaient
être davantage approfondis en multipliant notamment les sources. Il serait bon
d’éviter les longs paragraphes (30 et 33 lignes, celui de Béjaia)
et les nombreuses redites.
Il y a un sérieux problème
d’autonomie. Les trois journaux n’ont pas de rubrique internationale, ils
reproduisent in-extenso les dépêches des agences de presse, particulièrement
l’AFP et Reuters. Dans El Watan, les articles de la
sportive, de bonne facture, sont signés. Parfois, les auteurs utilisent de
longs paragraphes et des temps qui ne se prêtent pas à l’écriture
journalistique. Le Soir et El Khabar recourent
essentiellement aux dépêches (de l’AFP, apparemment), je note les incohérences
de la rubrique dans le choix des sujets. Pourquoi reprendre, par exemple, un
portrait de Perisic, par exemple ?
N’est-il pas possible
d’élaborer les compte-rendus des matches des
championnats étrangers à partir de la rédaction dans la mesure où les matches
sont retransmis à la télévision. Un ancien journaliste, Amar Zentar, présente régulièrement des matches sur Facebook,
ses textes, d’une grande richesse, n’ont rien à envier aux articles des agences
internationales les plus réputées.
Les journaux consacrent
très peu de place à la culture. Ainsi, dans l’édition de cette journée, El Watan aurait dû peut-être développer davantage le passage
du cinéaste Fateh Ali Ayadi au café cinérama de Ain Mlila tout en présentant cet espace et passer au crible de
la critique le film sur Zighoud Youcef dans la mesure
où l’Algérie produit très peu de films. Une lettre du pédagogue, Ahmed Tessa,
au ministre de l'Éducation nationale mériterait l'attention des lecteurs. El Watan comprendra-t-il, probablement, que les textes, avec
des suites, sont improductifs.
Au Soir d’Algérie, un seul
article semble attirer l’attention (Lynda Chouiten et
Amin Zaoui traduits en plusieurs langues), même si
l’attaque semble trop abrupte ( Deux romans d’une
écrivaine et d’un écrivain algériens viennent d’être traduits vers d’autres
langues. Il s’agit des romans Une valse de Lynda Chouiten
et Festin de mensonges de Amin Zaoui). L’économie
linguistique constitue un élément fondamental de l’écriture journalistique.
Aucun de ces journaux ne
fournit le tirage du journal, comme si la chose était secrète. C’est le cas de
tous les titres de la presse écrite. J’avais, il y a quelques années, soulevé
la question en posant surtout le problème de la publicité, indicateur
privilégié de la bonne marche de la presse. J’avais insisté sur le fait de
laisser les entreprises publiques et privées, décider librement de la
destination de leurs pages en fonction de la rentabilité de tel ou tel journal,
gouvernemental ou privé. La transparence est indispensable. Les Algériens en
général et les lecteurs devraient savoir où va la publicité comme ils devraient
aussi être informés des ventes et de l’audience du journal. L’OJD ( Office de la Justification des Tirages) est d’une
nécessité absolue. Avoir 100 ou 1000 journaux ne veut absolument rien dire,
mais ce qui serait important, c’est leur impact (chiffré).
Le journal ne doit pas
chercher à plaire, ce n’est pas son rôle. Mais s’il prend cette direction, il
risque sa peau. Beaucoup ont préféré éviter les informations qui fâchent le
distributeur de la publicité. A quoi serviraient mille ou cent mille journaux
si tous écrivent la même chose, tout en tendant la main ? J’aime beaucoup cette
déclaration d’Albert Londres : "Notre métier n'est pas de faire plaisir,
non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie en mettant
dans la balance son crédit, son honneur, sa vie."
La fonction d’un journal
n’est pas de faire de la propagande ou de l’opposition, mais de dire ce qui lui
semble être la « vérité ». En faisant cela, il fait aussi acte de patriotisme,
permettant ainsi de dévoiler les failles et de révéler les bonnes choses.
Aujourd’hui, est-il possible d’avoir un débat sérieux sur la presse, en mettant
sur la table tous les chiffres ?