VIE POLITIQUE- FORMATION CONTINUE- « STRATÉGIE DU
CHOC »
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fb, février 2025 Extraits
Encore Donald Trump ? Et oui, parce que nous avons du mal à suivre tant
ça va vite. C'est d'ailleurs parfaitement calculé, pour produire sidération et
impuissance.
(.............................) .
En multipliant les annonces et les actes les plus ahurissants, le nouveau
président et ses acolytes visent à créer un état de sidération qui anesthésie
toute capacité de réaction.
Nous sommes stupéfaits, ahuris, tétanisés face à la destruction à la
hache de pans entiers de ce que nous croyions être les États-Unis. Hier matin,
les employés de l’Agence d’aide au développement ont trouvé porte close. Le
site internet de l’USAid était inaccessible. Accusée
par Elon Musk d’être une “organisation criminelle”, l’agence a vu ses activités
soudainement interrompues. De son côté, le président américain annonçait une
hausse des droits de douane des produits venant de Chine, du Mexique et du
Canada… avant de suspendre la mesure pour un mois vis-à-vis de Mexico et
d’Ottawa. La Cour pénale internationale s’apprête à être soumise à des
sanctions, l’Ukraine va devoir réserver ses terres rares à Washington, et je
suis certain qu’avant demain soir, d’autres chocs – contre le droit, l’aide
internationale, l’indépendance des États, les minorités – vont survenir. Or
tout ceci est absolument calculé.
Dans un livre publié en 2007, « La Stratégie du choc » (Actes
Sud), l’essayiste et militante canadienne Naomi Klein montre que cette méthode,
consistant à “intervenir immédiatement pour imposer des changements rapides et
irréversibles à la société éprouvée par le désastre”, a été théorisée depuis
longtemps aux États-Unis. Les économistes néolibéraux préconisaient des
thérapies de choc. Les cadres des services de renseignement et les militaires
appliquaient des méthodes de torture par électrochocs afin de rendre les
suspects amnésiques et parfaitement manipulables. Les libertés étaient rognées
au nom de la lutte contre le terrorisme. “Les partisans de la stratégie du
choc, affirme Naomi Klein, croient fermement que seule une fracture radicale –
une inondation, une guerre, un attentat terroriste – peut produire le genre de
vastes pages blanches dont ils rêvent. C’est pendant les moments de grande
malléabilité – ceux où nous sommes psychologiquement sans amarres et
physiquement déplacés – que ces artistes du réel retroussent leurs manches et
entreprennent de refaire le monde.”
Cette démarche avait déjà été préconisée par Machiavel, qui écrit dans
Le Prince (1532) : “Le mal doit se faire tout d’une fois : comme on a moins de
temps pour y goûter, il offensera moins.” L’objectif est surtout, aujourd’hui,
de créer un sentiment de sidération. Ce mot latin signifie “subir l’action
funeste des astres”, ou encore “être frappé d’insolation”, c’est-à-dire être
totalement privé de tout moyen de réagir de manière autonome face à la
puissance infinie des étoiles ou d’une puissance divine. Le rêve sidéral d’Elon
Musk et de Donald Trump ne vise pas seulement la conquête d’un ailleurs, mais
l’application ici-bas d’une force irrésistible. Atteindre Mars, la planète
rouge du dieu de la guerre, c’est aussi traiter les humains du point de vue de
la puissance cosmique. Devenue médicale et psychologique, la notion de
sidération suggère l’anéantissement de toute force de résistance face à un choc
émotionnel. On utilise également, face à l’avènement de Trump, le terme de
stupeur, qui signifie l’engourdissement et la paralysie. Nous en restons tous
stupides, donc, presque incapables d’exercer notre esprit critique et notre
puissance d’agir.
C’est le but. Mais la stratégie de la sidération employée par la
nouvelle équipe dirigeante américaine est assortie d’une autre dimension. Elle
est brouillonne. Il est presque impossible de comprendre rationnellement le fil
X d’Elon Musk (j’ai essayé ce matin), parsemé d’insultes contre les
“globalistes de la gauche radicale”, prétendument infiltrés dans les agences
américaines, les “wow”, les “yes”, les “cool”, les vidéos loufoques et les
mèmes invraisemblables… Les revirements de Trump sur les droits de douane ou
l’Ukraine ajoutent également de la confusion à la sidération. Faut-il s’en
réjouir ? Baisser la garde ? Essayer d’anticiper sans visibilité ? Rendre la
brutalité brouillonne est efficace, car les éventuels opposants aux mesures
mitraillées en tous sens sont secoués comme dans des montagnes russes. Ajoutez
un sentiment d’improvisation chaotique à la radicalité agressive, et vous
obtiendrez la méthode Gribouille. Non seulement les États et les sociétés
civiles sont attaqués, mais personne n’y comprend rien. On se réfugie alors
mollement derrière la supposée imprévisibilité du personnage en espérant qu’il
bluffe et que la tempête se calme. Mais de la sidération à la soumission, il
n’y a qu’un pas.