De son vrai Tahar Benelhannache, il est né en 1898 dans une maison située au
quartier populaire de Sidi Djeliss, dans la vieille
ville de Constantine. Tahar a grandi dans une famille aisée. Son père, Khoudir, gérait une manufacture de tabac et une tannerie.
Malheureusement, on ne sait pas beaucoup de choses sur son enfance, sauf qu’il
avait fréquenté l’école primaire de son quartier. Il est décrit comme étant un
enfant calme, sage et tranquille, mais surtout studieux. Il aimait les sciences
et les techniques et se passionnait pour tout.
C’est lors de l’une de ses promenades
dans la ville qu’il découvre la première salle de cinéma dans sa vie. C’était
l’ex-salle Nunez, la plus ancienne dans la ville, située en contrebas du
théâtre de Constantine dans le quartier de Bab El Djabia,
près du pont Sidi Rached. La salle deviendra Le Royal en 1958, puis le Rhumel après l’indépendance. Quand la salle avait ouvert
pour la première fois en 1908, Tahar avait 10 ans. Il assistera au premier film
qui marquera son destin pour la vie.
Quatre ans après la mort de son père en
1916, Tahar choisira de partir en France, après avoir passé son service
militaire à Miliana. «Il avait à peine 22 ans quand il avait débarqué en
France, dans les studios de Boulogne-Billancourt où il avait un seul projet en
tête, apprendre le cinéma et devenir cinéaste», raconte sa fille Thouria.Dans son livre « Tahar Hannache,
un cinéaste dans l’oubli » édité en 2015, l’auteur Ahcene
Dafer rapporte une anecdote originale et historique
qui marque le début de l’aventure cinématographique de Tahar Hannache en France, suite à une rencontre qui décidera de
son destin en 1921 : «En s’approchant des studios de Boulogne-Billancourt,
Tahar croise un homme qui n’est autre qu’un régisseur à la recherche de
figurants arabes pour le film L’Atlantide.Tahar lui
demande si c’est bien ici qu’on tourne le film. Le régisseur l’interroge : vous
êtes un Arabe ? A la réponse positive de Tahar, le régisseur lui dit : vous
êtes engagé, présentez-vous demain à 8h». Tahar
décroche son premier rôle de figurant dans le film franco-belge L’Atlantide, de
Jacques Feyder, tiré du roman éponyme de Pierre Benoit, tourné en Algérie et
sorti en 1921 à l’époque du cinéma muet.Il
n’aura plus peur de conquérir le monde du cinéma en France. Animé d’une soif
d’apprendre durant ses premières années aux studios de Boulogne-Billancourt,
Tahar assurera presque tous les métiers du cinéma. Il profitait de sa présence
sur les plateaux pour apprendre les ficelles de la prise du son, du tournage,
du maniement de la caméra, de la direction des acteurs et de la mise en scène.Il est ainsi opérateur,
régisseur, photographe, caméraman et assistant réalisateur dans plusieurs
films, dont ceux d’Abel Gance, Julien Duvivier et Marcel Pagnol. En 1924, il
est régisseur et figurant dans le film Les fils du soleil, de René Le Somptier. Il obtient son premier rôle d’acteur en 1926 dans
le film The Arab de l’Américain Rex Ingram. Il joue aux côtés de Jean Gabin en
1935 dans le film La Bandera de Julien Duvivier.
Dans sa riche filmographie, qui compte
une soixantaine d’œuvres de 1922 à 1955, Tahar Hannache
a été 12 fois acteur, 17 fois opérateur-régisseur, 16 fois caméraman et 14 fois
directeur de photo, sans compter les films qu’ils avaient réalisés et produits
par sa boîte de production Taha films. Du jamais-vu pour un Algérien dans
l’histoire du cinéma depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours.Fort de cette riche expérience, Tahar Hannache décide en 1938 de créer sa propre boîte de
production Taha Films. Une initiative audacieuse à l’époque où ce genre d’entreprises
n’était réservée qu’aux Européens. L’aventure commence par un documentaire, Aux
portes du Sahara, qui ne sera pas diffusé, dont le négatif finira par être
perdu. L’expérience de Taha Films sera interrompue suite au déclenchement de la
Seconde Guerre mondiale.Tahar,
qui obtiendra sa carte d’identité professionnelle en 1942, sera mobilisé par le
service français du cinéma aux armées. Malgré les années d’éloignement, il
gardera ses liens avec sa ville natale, Constantine. Juste après la fin de la guerre,
et de retour en Algérie en 1946, il concrétise un vieux rêve, en produisant un
documentaire en hommage à sa ville intitulé Constantine, l’ancienne Cirta. Un
film qu’il tourna avec intelligence pour éviter la censure des services français.Dans une contribution
parue dans le journal El Watan du 7 février 2008, Abdennour Zahzah signe une
analyse du film « Ghetassine Essahra »
(Les plongeurs du désert), considéré comme «la plus ancienne œuvre de
fiction conservée à ce jour dans l’histoire du cinéma en Algérie».Interprété
par des acteurs et des figurants algériens, le film sans dialogue avait été
tourné à Tolga, dans l’actuelle wilaya de Biskra. Les
principaux rôles étaient tenus par Himoud Brahimi
(Cheikh Ali) et Djamel Chanderli (son fils Mansour).
Leur travail est l’écurage des puits bouchés de sable et de boue. Produit par
Taha Films en 1952, Les plongeurs du désert ne
sera pas diffusé par les services français du cinéma. L’œuvre a été mal perçue,
parce qu’elle est la première à être produite, financée, tournée et réalisée
uniquement par des Algériens.Par cette production,
Tahar Hannache dérangeait les autorités françaises,
qui craignaient que des Algériens puissent maîtriser cette arme dangereuse
qu’est le cinéma, interdite jusque-là aux Arabes. Ironie du sort, Les plongeurs
du désert sort quelques mois avant le déclenchement de la Révolution algérienne
en novembre 1954.Ce n’était pas étrange, car Tahar Hannache
et son neveu Djamel Chanderli seront les précurseurs
du cinéma en Algérie. Plus tard, Djamel Chanderli
sera le premier cinéaste à rejoindre les services de l’image et du son de l’ALN
à Tunis. Avec d’autres cinéastes, il tournera les premières images au maquis.
Tahar Hannache restera à la télévision où il formera
les futurs techniciens algériens de l’ex-RTA d’après l’indépendance.On retiendra ce témoignage du grand
critique et spécialiste du cinéma Ahmed Bedjaoui, qui
dira de lui : «Je l’ai connu à la fin de sa vie lorsque j’ai rejoint la RTA en
1969. Je garde de lui l’image d’un homme aimé de ses pairs, discret, affable et
toujours disponible.» Tahar Hannache
est décédé le 1er août 1972 à l’âge de 74 ans, sans jamais penser prendre sa
retraite.