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Essais nucléaires français en Algérie

Date de création: 31-01-2025 17:20
Dernière mise à jour: 31-01-2025 17:20
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DEFENSE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS EN ALGÉRIE

Avant la Polynésie, il y eut l’Algérie de 1960 à 1966. Une décision prise sous la IVe République confirmée par de Gaulle mais considérée comme provisoire

https://www.lepoint.fr/mondeFrançois-Guillaume Lorrain, 28 janvier 2025

 L'Algérie réclame à la France de décontaminer les sites de ses essais nucléaires dans le Sahara, comme nous vous le révélions ce lundi. Alger réclame le traitement par la France des déchets qui empoisonnent encore ces régions. Mais quelle est l'origine de ses essais ?

Tout remonte au 13 février 1960. Le premier essai nucléaire de la France a eu lieu près de Reggane, à 1 800 kilomètres au sud d'Alger, en plein désert, sur un point zéro situé à Hamoudia. L'armée française l'a surnommé Gerboise bleue, du nom du rat du désert que l'on trouve en Afrique. Trois autres essais atmosphériques suivront jusqu'à fin 1961, avant d'être suivis, de 1962 à 1966, par treize essais souterrains, effectués plus au sud, dans le massif du Hoggar, à proximité d'In Ekker, dans des galeries en colimaçon censées minimiser l'impact.

Un choix acté en 1957

C'est le général Ailleret qui a été chargé, fin 1956, d'établir un rapport sur la recherche d'un site rapidement utilisable. Peu après la crise de Suez, qui a été un camouflet diplomatique pour la France, humiliée par les deux grands, Paris décide de devenir la quatrième puissance militaire nucléaire – l'Angleterre a la bombe depuis des essais secrets en 1952 – et de donner un volet militaire à la production civile de plutonium en place à l'usine de Marcoule et aux recherches du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) fondé par de Gaulle dès 1945. Jusqu'en juillet 1957, plusieurs lieux sont envisagés aux quatre coins du monde, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie (jugée trop proche de la Nouvelle-Zélande), les Kerguelen et déjà les îles de la Polynésie (mais Mururoa, qui sera finalement retenue fin 1961, n'est pas encore citée). Cette dernière option n'est pas retenue car jugée trop lointaine et mal desservie, la Polynésie ne disposant pas encore d'un aéroport, qui sera mis en route au début des années 1960. Le choix de Reggane est acté en juillet 1957, au beau milieu du désert algérien, bien que la situation ait commencé à se dégrader en Algérie. Du reste, cette solution est tout de suite considérée comme provisoire.

De la IVe à la Ve

En 1958, alors que les États-Unis et l'URSS s'apprêtent à signer un moratoire d'un an sur les essais nucléaires – on vit une certaine détente –, le gouvernement de la IVe République dirigé par Félix Gaillard décide au contraire d'accélérer la coopération entre les ingénieurs civils du CEA et les militaires pour obtenir au plus vite la bombe. L'horizon fixé impose la date du début de l'année 1960. Le 22 juillet, deux mois après son arrivée au pouvoir, de Gaulle confirme définitivement cette politique, lui, le fondateur du CEA au lendemain de la guerre, qui a fait du nucléaire le fondement même de sa politique de défense, un instrument politique de l'indépendance de la France, un atout diplomatique. Le sous-texte du pouvoir actuel sur les essais est le suivant : la France doit sa puissance actuelle à une Algérie qu'elle a contaminée, contamination qui serait le dernier volet, durable, même éternelle, de la souillure coloniale de la terre algérienne. Comment mieux développer le motif de colonisation criminelle qu'en rappelant que la France, évidemment criminelle, procéda à plusieurs Hiroshima sur le territoire sacré ?

Protestations

Très vite, ces premiers essais Gerboise, en 1960, en pleine guerre d'Algérie, alors que la France est isolée sur le plan diplomatique, déclenchent de très vives protestations des pays africains, notamment du Maroc qui rappelle son ambassadeur, ainsi qu'à l'ONU. L'explosion de Gerboise bleue, dont la charge est trois fois plus forte que celle d'Hiroshima, est saluée à Paris comme un triomphe, mais le pouvoir gaulliste s'engage très vite à procéder à des essais souterrains. La portée du nuage radioactif a dépassé les 150 kilomètres dans une région habitée par 2 000 Touaregs, ainsi que par un personnel militaire et civil dédié à cette fabrication, estimé à près de 10 000 personnes. Quel a été l'effet de ce nuage ? Nul ne saurait le prouver aujourd'hui, d'où la possibilité pour les deux parties d'accuser ou de se défendre.

Essais souterrains et accords

Dès la fin 1958, la solution souterraine de substitution avait été envisagée, avec des recherches de sites dans certains sommets alpins. Option abandonnée pour un retour en Algérie, dans le massif du Hoggar. Là, le 1er mai 1962, le deuxième essai, dit Béryl, laisse échapper des laves radioactives, dont deux ministres auraient été les victimes, Pierre Messmer et Gaston Palewski. Des soldats sont aussi contaminés.

Quelques semaines plus tôt, une clause des accords d'Alger signés à Évian a prévu la tenue d'essais souterrains français en Algérie pendant cinq ans, durée approximative estimée pour construire des bases d'essais en Polynésie, destination qui a été retenue fin 1961, le nom de Mururoa apparaissant alors après une préférence donnée à d'autres îles. Le pouvoir algérien souhaite-t-il remettre en cause ces accords ? Lorsque les Français s'en vont en 1967 – mais ils continueront toujours, en accord avec le gouvernement algérien, à mener des essais chimiques en 1978 sur le site secret de B2-Namous, à l'ouest de l'Algérie –, l'armée française procède au nettoyage et à l'obturation des galeries. Elle a toujours estimé avoir fait le nécessaire, mais a-t-elle été aussi scrupuleuse que la Grande-Bretagne qui a nettoyé les lieux en Australie (Monte Bello, Maralinga) à plusieurs reprises entre 1967 et 2000 ?

Pas une première

Un rapport du Sénat de Christian Bataille a tenté d'évaluer en 2001 les retombées des essais pour la Polynésie comme pour l'Algérie. « Concernant les populations qui se sont toujours trouvées à l'écart des retombées proches, les doses sont restées dans la gamme des conséquences des retombées lointaines », peut-on lire concernant les essais atmosphériques. Un blanc-seing. Ce n'est pas la première fois que l'Algérie attaque la France sur ce sujet. En 2007 et en 2009, des articles avaient paru dans la presse algérienne à la suite d'un autre rapport de l'armée française, datant de 2007, qui estimait que la bombe avait été relativement propre. En 2009, un documentaire, Gervoise bleue, de Djamel Ouahab, était sorti, à charge contre la France. En 2010, la France s'estime obligée de créer le Civen, le Comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires. La très grande majorité des dossiers déposés sont rejetés, ils concernent, du reste, l'ancien personnel militaire français, essentiellement en Polynésie. Le nombre de dossiers portant sur l'Algérie est très minoritaire.