DEFENSE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS EN ALGÉRIE
Avant la Polynésie, il y eut l’Algérie de 1960 à 1966. Une décision prise
sous la IVe République confirmée par de
Gaulle mais considérée comme provisoire
.© https://www.lepoint.fr/mondeFrançois-Guillaume Lorrain, 28 janvier 2025
L'Algérie
réclame à la France de décontaminer les sites de ses essais nucléaires
dans le Sahara, comme
nous vous le révélions ce lundi. Alger
réclame le traitement par la France des déchets qui empoisonnent encore ces
régions. Mais quelle est l'origine de ses essais ?
Tout remonte au 13 février 1960. Le premier essai nucléaire de la
France a eu lieu près de Reggane, à 1 800
kilomètres au sud d'Alger, en plein désert, sur un point zéro situé à Hamoudia. L'armée française l'a surnommé Gerboise bleue, du
nom du rat du désert que l'on trouve en Afrique. Trois autres essais
atmosphériques suivront jusqu'à fin 1961, avant d'être suivis,
de 1962 à 1966, par treize essais souterrains, effectués plus au sud,
dans le massif du Hoggar, à proximité d'In Ekker,
dans des galeries en colimaçon censées minimiser l'impact.
Un choix acté en 1957
C'est
le général Ailleret qui a été chargé, fin 1956, d'établir un rapport sur la
recherche d'un site rapidement utilisable. Peu après la crise de Suez, qui a
été un camouflet diplomatique pour la France, humiliée par les deux grands,
Paris décide de devenir la quatrième puissance militaire nucléaire –
l'Angleterre a la bombe depuis des essais secrets en 1952 – et de
donner un volet militaire à la production civile de plutonium en place à
l'usine de Marcoule et aux recherches du CEA (Commissariat à l'énergie
atomique) fondé par de Gaulle dès 1945. Jusqu'en juillet 1957, plusieurs
lieux sont envisagés aux quatre coins du monde, La Réunion, la
Nouvelle-Calédonie (jugée trop proche de la Nouvelle-Zélande), les
Kerguelen et déjà les îles de la Polynésie (mais Mururoa, qui sera
finalement retenue fin 1961, n'est pas encore citée). Cette dernière option
n'est pas retenue car jugée trop lointaine et mal desservie, la Polynésie ne disposant
pas encore d'un aéroport, qui sera mis en route au début des années 1960. Le
choix de Reggane est acté en juillet 1957, au
beau milieu du désert algérien, bien que la situation ait commencé à se dégrader
en Algérie. Du reste, cette solution est tout de suite considérée comme
provisoire.
De la IVe à la Ve
En
1958, alors que les États-Unis et l'URSS s'apprêtent à signer un moratoire d'un
an sur les essais nucléaires – on vit une certaine détente –, le gouvernement
de la IVe République
dirigé par Félix Gaillard décide au contraire d'accélérer la coopération entre
les ingénieurs civils du CEA et les militaires pour obtenir au plus vite la
bombe. L'horizon fixé impose la date du début de l'année 1960. Le 22 juillet,
deux mois après son arrivée au pouvoir, de Gaulle confirme définitivement cette
politique, lui, le fondateur du CEA au lendemain de la guerre, qui a fait du
nucléaire le fondement même de sa politique de défense, un instrument politique
de l'indépendance de la France, un atout diplomatique. Le sous-texte du pouvoir
actuel sur les essais est le suivant : la France doit sa puissance
actuelle à une Algérie qu'elle a contaminée, contamination qui serait le
dernier volet, durable, même éternelle, de la souillure coloniale de la terre
algérienne. Comment mieux développer le motif de colonisation criminelle qu'en
rappelant que la France, évidemment criminelle, procéda à plusieurs Hiroshima
sur le territoire sacré ?
Protestations
Très
vite, ces premiers essais Gerboise, en 1960, en pleine guerre d'Algérie, alors
que la France est isolée sur le plan diplomatique, déclenchent de très vives
protestations des pays africains, notamment du Maroc qui rappelle son
ambassadeur, ainsi qu'à l'ONU. L'explosion de Gerboise bleue, dont la charge
est trois fois plus forte que celle d'Hiroshima, est saluée à Paris comme un
triomphe, mais le pouvoir gaulliste s'engage très vite à procéder à des essais
souterrains. La portée du nuage radioactif a dépassé les 150 kilomètres
dans une région habitée par 2 000 Touaregs, ainsi que par un personnel
militaire et civil dédié à cette fabrication, estimé à près de 10 000
personnes. Quel a été l'effet de ce nuage ? Nul ne saurait le prouver
aujourd'hui, d'où la possibilité pour les deux parties d'accuser ou de se
défendre.
Essais souterrains et accords
Dès
la fin 1958, la solution souterraine de substitution avait été envisagée, avec
des recherches de sites dans certains sommets alpins. Option abandonnée pour un
retour en Algérie, dans le massif du Hoggar. Là, le 1er mai
1962, le deuxième essai, dit Béryl, laisse échapper des laves radioactives,
dont deux ministres auraient été les victimes, Pierre Messmer et Gaston Palewski. Des soldats sont aussi contaminés.
Quelques
semaines plus tôt, une clause des accords d'Alger signés à Évian a prévu la
tenue d'essais souterrains français en Algérie pendant cinq ans, durée
approximative estimée pour construire des bases d'essais en Polynésie,
destination qui a été retenue fin 1961, le nom de Mururoa apparaissant
alors après une préférence donnée à d'autres îles. Le pouvoir algérien
souhaite-t-il remettre en cause ces accords ? Lorsque les Français s'en
vont en 1967 – mais ils continueront toujours, en accord avec le
gouvernement algérien, à mener des essais chimiques en 1978 sur le
site secret de B2-Namous, à l'ouest de l'Algérie –, l'armée française procède
au nettoyage et à l'obturation des galeries. Elle a toujours estimé avoir fait
le nécessaire, mais a-t-elle été aussi scrupuleuse que la Grande-Bretagne qui a
nettoyé les lieux en Australie (Monte Bello, Maralinga) à plusieurs reprises
entre 1967 et 2000 ?
Pas une première
Un
rapport du Sénat de Christian Bataille a tenté d'évaluer en 2001 les
retombées des essais pour la Polynésie comme pour l'Algérie. « Concernant
les populations qui se sont toujours trouvées à l'écart des retombées proches,
les doses sont restées dans la gamme des conséquences des retombées
lointaines », peut-on lire concernant les essais atmosphériques. Un
blanc-seing. Ce n'est pas la première fois que l'Algérie attaque la France sur
ce sujet. En 2007 et en 2009, des articles avaient paru dans la
presse algérienne à la suite d'un autre rapport de l'armée française, datant de
2007, qui estimait que la bombe avait été relativement propre. En 2009, un
documentaire, Gervoise
bleue, de Djamel Ouahab,
était sorti, à charge contre la France. En 2010, la France s'estime obligée de
créer le Civen, le Comité d'indemnisation des
victimes d'essais nucléaires. La très grande majorité des dossiers déposés sont
rejetés, ils concernent, du reste, l'ancien personnel militaire français,
essentiellement en Polynésie. Le nombre de dossiers portant sur l'Algérie est
très minoritaire.