CULTURE-BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- ESSAI MOHAMMED KALI- « RAÏ, OH !
MA DÉRAISON.UNE HISTOIRE ALGÉRIENNE »
RAI, OH !MA DÉRAISON.UNE HISTOIRE ALGÉRIENNE. Essai de Mohammed
Kali. Chihab Editions, Alger 2024, 174 pages,
1 000 dinars
Le 1er décembre
2022, à Rabat même , au pays qui avait revendiqué la marocanité du Rai, ce
dernier est reconnu par l’Unesco à la fois authentiquement algérien et
patrimoine immatériel de l’humanité.Un genre « qui
a franchi toutes les barrières géo-ethniques, et y compris féconder la World
Music , sans entraîner aucun conflit sérieux d’ordre culturel, mais seulement
quelques débats qui firent craquer la vieille crispation, la vieille digue face
à la poussée irréfragable du réel, débats annonciateurs d’autres
irruptions » (Marie Virolle , citée ,
p 47).Et pourtant, ce n’était là qu’une bataille de gagnée pour un genre
musical (qui , après avoir été l’objet d’un musicide
avorté, est certifié politiquement correct en 1980.....seulement) à l’écho
planétaire. En effet, il lui restait à faire face (aujourd’hui encore) à des querelles internes multiples
concernant aussi bien les variétés (Raï du showbiz, Raï trab....),
les instruments utilisés (gasba, galal....) que les
origines (Oran, Sidi Bel Abbès...) ou les
fondateurs et pionniers et autres Chebs (Blaoui Houari, Bouteldja, Bellemou, Boutaïba, Zergui....). A s’y perdre !
Heureusement , pour nous, Kali, en journaliste expérimenté soucieux du détail et de la
précision et en connaisseur averti de la culture et des arts, va tenter
de remettre de l’ordre. En racontant l’aventure du Raï comme elle n’a jamais
été relatée, avec un souci didactique appuyé et
un argumentaire, étayé entre autres par des références à des illustrations
sonores disponibles sur You Tube. Assez original ,
n‘est-ce pas ? Grâce à une présentation précise pour une
lecture patiente de tous les chapitres , chaque
chapitre va apporter son écot pour la compréhension pleine et entière du
contenu des autres.Pour se retrouver facilement. Ou,
presque.
D’autant qu’il ne se
limite pas au seul Raï. Une part conséquente est réservée au Bédoui et ce afin de se délester des contrevérités et
« d’évacuer les ambiguïtés et le manteau d‘ignorance tant que le Bedoui que sur le Rai ».
A noter que le titre de
l’ouvrage a été choisi en hommage à la mama du Raï, Cheikha
Remiti dont c’est le titre de son premier disque (un 78 tours datant de 1952).....un disque que
j’avais , par hasard, écouté (mais pas totalement compris), au milieu de années
50.....à Annaba.....à 800 km d’Oran et de Sidi Bel Abbès.
En cachette des parents et des aînés, car en
plein âge de « déraison », bien sûr. C’est dire ! Il est
vrai que Remiti n’ a pas
attendu les années 90 pour être une véritable légende. En fin de carrière, elle
a laissé en héritage 400 cassettes, 300 disques 45 tours et plus de 55 disques
78 tours ainsi qu’une dizaine d’albums (dont un, de 2000, auréolé du grand prix
du disque de l’Académie Charles Cros).Qui dit
mieux ?
A noter aussi l’utilité
du corpus assez riche présenté en fin d’ouvrage et qui peut même permettre à
des chercheurs de travailler sérieusement le
genre.
L’Auteur : Journaliste
professionnel depuis plus de trente ans, spécialiste en critique théâtrale et cinématographique.Plusieurs
études, articles et ouvrages
Table des matières : Introduction/Naissance
d’un blues : le Raï trab/ Le Raï trab à l’assaut des villes/ Les Mamas et la Chaba/
L’invention du Raï moderne/ Après la musique, la voix Raï moderne émerge/ Raïna Raï, l’inaboutie fusion de l’essence commune au Raï
et au Rock/ Berrahs et paroliers , ces chevilles
ouvrières/ La Raï certifié politiquement correct/ D’un musicide
avorté à la Raïmania/ Le Melhoun, base textile du Bédoui/ Airs berbères pour le Raï.Maqams
pour le Badioui /Le Asri
wahrani/ Conclusion/Corpus (18 textes) /
Bibliographie
Extraits : « Trop simpliste,
cette entreprise d’infériorisation et de discrédit engagée contre un genre
dérangeant en le désignant comme une perfide création de l’occupant
d’hier » (p28), « Les chansons, particulièrement
Raï, constituent l’antidote à une politique linguistique et culturelle
mortifère qui n’a pas su réconcilier l’algérianité
avec elle-même dans sa richesse multiple » (p 47), « Si Khaled est
aujourd’hui, incontestablement, la Voix du Raï, la première voix masculine à
l’avoir été est celle de Boutaïba Seghir,
qui a régné sur le Raï moderne des années 70 » (p 62), « Si en
Oranie, pour compenser leur frustration, ses semblables se saoulaient de Raï,
en l’écoutant sur mini-cassette, Gatlato l’Algérois ,
lui, s’abreuvait de musique chaâbi » (p 68), « Le terme Raï ne s’est
imposé dans l’usage que lorsque le Raï moderne , appelé initialement Pop Raï, a
surgi au début des années 1970.Pour distinguer ce dernier de celui des Cheikhate la dénomination Raï trab
a circulé, le deuxième terme renvoyant à la terre et à la ruralité » (p
112), « Une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco met la partie
demanderesse en devoir d’apporter une visibilité internationale au patrimoine
cible et de favoriser un nouveau regard auprès des habitants dans le but de les
encourager à le préserver » (p 139),
Avis : Enfin un ouvrage à la
portée du commun des lecteurs -bien sûr, intéressé par le patrimoine immatériel
national et la musique Raï– qui détaille , de manière
lisible (presque !) l’histoire mouvementée d’un art au succès planétaire
et durable ......ce qui n’a pas plus à tout le monde.
Citations : « La grivoiserie
était de mise pour séduire le public qui en redemandait. Car qu’aurait été le
Raï sans cela, sans sa façon de braver l’interdit.Qu’aurait-il
été sans.... » (p 40),
« Raïna Raï est assurément une formation qui n’a pas , à plus d’un titre, son équivalent dans la
planète » (p73), « Objectivement, le Raï, dans ses origines, n’est-il
pas pareil au Rock, une attitude musicale rétive aux canons de la culture
officielle, ce qui l’avait fait refouler dans la marginalité ? En ce sens,
le succès du Raï « modernisé » ne traduisait-il pas l’adhésion de la
jeunesse à la contestation des tabous et du conservatisme étouffant véhiculé
par un pudibond « socialisme » à l’algérienne, un système qui
reconduisait les ferments rétrogrades d’une idéologie
traditionaliste ? » (pp
80-81), « Alors, quel devenir pour le Raï ? Difficile d’avancer
un quelconque pronostic tant qu’il n’aura pas été admis dans notre pays
qu’écouter de la musique n’est en rien une activité de l’ordre du futile et
tant que la question du licite et de l’illicite en la matière demeure
posée » (p146)