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Enquêtes presse/Consortiums de journalistes

Date de création: 22-01-2025 18:37
Dernière mise à jour: 22-01-2025 18:37
Lu: 11 fois


COMMUNICATION- FORMATION CONTINUE- ENQUÊTES PRESSE/ CONSORTIUMS DE JOURNALISTES

Enquêtes : à quoi servent les consortiums de journalistes ?

https://www.francetvinfo.fr/France Télévisions/ 22/01/2025

 

Les enquêtes publiées dans les médias sont de plus en plus alimentées par des informations délivrées par des consortiums internationaux de journalistes. Tristan Waleckx, rédacteur en chef de "Complément d'enquête", explique en détail le but et le fonctionnement de ces groupements.

 

Présentateur et rédacteur en chef de l'émission d'investigation "Complément d'enquête", Tristan Waleckx explique l'utilité des consortiums de journalistes pour les enquêtes, dans le cadre de notre rubrique transparence(Nouvelle fenêtre).

franceinfo : On entend depuis quelques années que certaines informations sont parfois révélées par un "consortium international" de journalistes : d’où vient ce concept ?: Tristan Waleckx : Travailler en consortium a plusieurs intérêts. Le premier est de donner une résonance médiatique plus importante à un sujet que l’on traite : lorsqu’il s’agit d’une thématique internationale, qui est la même en France que dans d’autres pays, le fait de s’allier à d’autres journalistes permet de davantage valoriser une information jusqu’ici confidentielle, et surtout de décupler les forces de travail. Quand vous avez plusieurs dizaines de milliers de documents à analyser, vous êtes plus efficace au côté de dizaines de journalistes du monde entier que si vous êtes tout seul.

 

C’est ce que "Complément d’enquête" a fait sur les PFAS, par exemple… : Oui, la semaine dernière, nous avons diffusé un "Complément d’enquête" sur les PFAS(Nouvelle fenêtre), ces molécules qui, pour certaines d’entre elles, sont qualifiées de cancérogènes. On a travaillé avec le Forever Lobbying Project(Nouvelle fenêtre), un consortium qui réunit une quarantaine de journalistes de seize pays différents. En son sein, on a analysé plus de 14 000 documents confidentiels : "Complément d’enquête" n’aurait pas pu effectuer ce travail seul. En l’occurrence, nous nous sommes alliés avec des journalistes d’autres pays : en France, c’est Le Monde qui a pris l’initiative de piloter ce consortium, mais on a pu travailler aussi avec des Suédois, par exemple. Au fond, chacun apporte sa compétence : pour nous, en France, c’est la journaliste Emilie Rosso, qui travaille pour France 3 Auvergne-Rhône-Alpes et qui fait partie de ce consortium, qui a fait des demandes à la Cada [Commission d'accès aux documents administratifs(Nouvelle fenêtre)] pour obtenir des documents confidentiels.

Faire l’équivalent d’une demande Cada en Suède, on en est absolument incapables, parce qu’il faut parler la langue, saisir des opportunités, faire des démarches… Ce sont donc nos collègues suédois qui s’en sont chargés. Même chose en Allemagne ou au Royaume-Uni… L’intérêt des consortiums est non seulement de donner et de valoriser une information sur des problématiques qui sont de plus en plus transnationales, mais surtout d’être plus efficaces et de connaître le fonctionnement administratif de chaque pays.

 

Comment gérez-vous la confidentialité des informations traitées au sein des consortiums ? Avec autant d’interlocuteurs, cela doit être un enfer… : C’est géré de manière extrêmement stricte. Même moi, qui fais pourtant partie de la rédaction en chef de "Complément d’enquête", je ne vais pas directement "dans" le consortium, c’est uniquement notre journaliste, donc une des deux coréalisatrices du reportage, qui en faisait partie. Elle a eu des réunions, confidentielles, parfois en physique, avec d’autres membres du consortium, et des échanges sur des messageries sécurisées – dont on sait qu’elles-mêmes peuvent parfois être faillibles. Donc on limite au maximum les échanges.

 

Dans le cadre de la lutte contre la désinformation dont fait partie l’investigation, n’y a-t-il pas un risque d’être qualifié par des complotistes de "club" de fact-checkers fermé, désignant ses cibles ?: Les critiques vis-à-vis de nos méthodes existeront toujours : ce qu’il faut savoir, c’est que la raison d’être de ces consortiums est de travailler sur la base de documents. Si on fait des consortiums, c’est parce qu’on se retrouve aujourd’hui face à une multiplicité de sources et de documents qu’un être humain seul a du mal à analyser. Donc on se base uniquement sur tel fait, tel document, tel écrit. On n’est pas là pour raconter des choses et inventer des documents qui n’existent pas. Dans les consortiums tels qu’ils existent aujourd’hui, on récupère des données, on les collecte, on les analyse, et on les diffuse telles quelles, on n’est pas là pour donner notre avis. Qu’il y ait des gens qui estiment qu’il ne s’agit pas de la bonne méthode et qu’il vaudrait mieux donner notre avis plutôt que révéler des choses objectivement écrites sur des documents… Pourquoi pas, mais en tout cas, la raison d’être de ces consortiums, c’est justement de défendre ce journalisme factuel, qui se base sur la révélation de faits d’intérêt général, et non pas de faire des commentaires, qui finalement n'intéresseraient pas grand monde.

 

Ces consortiums sont-ils appelés à durer pour sortir plusieurs affaires, ou sont-ils liés à une affaire précise à chaque fois ?: Il y a de tout : on peut avoir des consortiums éphémères, parfois assez informels, sans même que l’on désigne l’enceinte comme un consortium. Personnellement, j’ai déjà récupéré des données sur une thématique en particulier, et je connaissais un collègue d’un autre journal dont je savais qu’il pouvait être très intéressé par cela, or j’avais du mal à tout analyser par moi-même, donc je lui ai proposé une collaboration. Tout est possible : l’Icij (Nouvelle fenêtre)par exemple, consortium de journalistes le plus connu, qui a sorti notamment les Panama papers(Nouvelle fenêtre) et existe depuis quasiment dix ans, s’inscrit, lui, sur la durée. Au fond, il n’y a pas de règle.

Est-ce que la pratique des consortiums va durer ? J’ai tendance à penser que oui. On sait que l’investigation a longtemps été un peu l’inverse, c’est-à-dire un travail assez solitaire, avec de grosses personnalités mises en concurrence, et avec elles leurs réseaux d’informateurs bien distincts. On est revenu de cette investigation des années 1990 : en tant que journaliste, on est tout petit face à des masses de données et des multinationales aux services de communication incroyables. Du reste, l’informatisation des données rajoute une certaine complexité : on peut se retrouver parfois noyé sous une masse documentaire hallucinante, et surtout interminable. Donc, oui, les consortiums vont a priori s’accentuer. On aura toujours davantage besoin de s’appuyer les uns sur les autres. On sait aussi que l’intérêt de ce type d’enceinte, c’est d’explorer des thématiques qui ne sont pas strictement franco-françaises : on parlait des PFAS tout à l’heure, thème qui intéresse aussi nos voisins européens.

Quand on travaille sur des thématiques qui ne regardent pas que nous, il n’y a pas de raison pour qu’il y ait moins de consortiums à l’avenir, bien au contraire