COMMUNICATION-FORMATION
CONTINUE- GRAND PUBLIC/FATIGUES INFORMATIONNELLE ET EXISTENTIELLE (III/III)
De la
fatigue informationnelle à la fatigue existentielle des médias grand public
https://www.jean-jaures.org/
Fabrice Février , 11 décembre 2024
Oui, la France est exposée de la même façon que les
États-Unis
Alors que la bataille de l’attention ne se joue pas à
armes égales avec les géants du numérique, que chaque acteur se bat pour la
même minute et le même euro, le rapport de force n’est plus et ne sera plus
jamais en faveur des médias.Chez
nous aussi, les plateformes sociales gratuites sont ultra dominantes. Environ
40 millions de Français utilisent Google chaque jour, 30 millions Facebook, 20
millions Instagram et YouTube, 5 millions X et Spotify. Quasiment aucun média
d’information, même les plus puissants d’entre eux (Le Monde, Le
Figaro, Le Parisien, France Info…), ne dépasse les 5 millions
d’utilisateurs quotidiens sur Internet.
À cela s’ajoutent deux grandes menaces : le
vieillissement des audiences des médias traditionnels et les conditions de
marché qui se durcissent et qui fragilisent toujours plus l’économie de
l’information (sur le numérique, on assiste à un ralentissement du marché de
l’abonnement et à un coup de frein brutal à la publicité). Par ailleurs, il y a
la vie démocratique, aussi malade que le système informationnel, le destin des
deux étant intimement lié. Longtemps, la force de la démocratie a résidé dans
sa capacité à prendre en compte toutes les différences, afin de mettre en œuvre
des politiques équilibrées au service du commun et de l’intérêt général. Alors
qu’elle constituait un facteur de cohésion et d’inclusion (« la société prend
en compte ma différence »), la diversité a été remplacée par la minorité (et
ses tyrannies). Longtemps, les médias ont raconté et donné un visage à ces
diversités, qui, au final, formaient un ensemble auquel chacun consentait à se rattacher.Désormais, les minorités
sont des blocs hermétiques, enfermés sur eux-mêmes, qui refusent de cohabiter
et de dialoguer avec les autres. L’opinion des autres ne les intéressent pas,
ils les considèrent même comme des adversaires. Ces blocs se nourrissent de la
peur du déclassement, voire de l’invisibilisation dans les médias. Après avoir
d’abord touché les classes populaires, ce « mal-être » à force d’être
« mal vu » atteint désormais la classe moyenne. Or, celle-ci a
toujours constitué la clé de voute de notre société. Elle représente la
majorité, qui a toujours consenti au commun et à la représentation élective. En
quelque sorte, un véritable pôle de stabilité.
Les populistes, sous toutes leurs formes, ont compris
que cette bascule de l’opinion majoritaire pouvait être la clé pour accéder au
pouvoir. Les minorités sont ainsi instrumentalisées, ce qui nourrit la
polarisation de l’opinion, ce poison pour la démocratie. Désormais, il s’agit
moins de rassembler (une majorité) que de cliver pour capter des minorités auxquelles
sont tenus des discours faisant mine de prendre en compte leurs différences.Le dénominateur commun
entre la crise démocratique et la crise informationnelle, c’est la crise du
réel. La critique est faite aux politiques d’être déconnectés de la vie réelle
et aux médias de ne plus rendre compte des réalités. Les deux ne jouent plus le
rôle qu’on est en droit d’attendre d’eux. Le réel et la complexité sont
occultés au profit de la croyance et de la conflictualité. C’est tout le
rapport à la vérité qui s’en trouve remis en cause. Le danger mortifère de la
société dite « post vérité » ou encore « post factuelle ».
La vérité est de moins en moins la valeur de base, elle devient secondaire. Les
faits ne sont plus fondamentaux, ils sont mis en question, comme le soulignait
un livre publié par la
Fondation Jean-Jaurès en 2019 : « Qu’est-ce qu’un fait ? Qu’est-ce qui
distingue un fait scientifique d’une opinion, d’une croyance, d’une rumeur
? »
Les personnalités publiques peuvent désormais annoncer
des fausses nouvelles en toute connaissance de cause, sans le moindre égard
pour la vérité – et en tirer bénéfice. Le tout en contournant autant que
possible la contradiction journalistique.La
refondation démocratique passera inévitablement par une refondation
informationnelle. Si les médias sont une partie du problème, ils détiennent une
partie de la solution : le journalisme. Cela restera toujours leur
meilleur atout, leur raison d’être et le socle de leur proposition de valeur.
Le journalisme sera toujours la meilleure voie pour
enrayer l’exode, à tout le moins le freiner, ainsi que pour donner des signes
d’écoute et de confiance aux fatigués de l’information, dont les médias sont la
principale cause à leurs yeux. Les contours de cette réponse ne sont jamais
qu’un retour aux sources du journalisme : le journalisme du réel : rendre
compte des faits et garantir leur véracité / le journalisme de la
distance : éclairer la réflexion et le débat public / le
journalisme de la solution : contribuer à faire société, créer du
lien, identifier les pistes d’un mieux-vivre individuellement et
collectivement.
Toutes les parties prenantes de nos démocraties
auraient intérêt à prendre au sérieux le spectre d’un monde sans journalistes.
Car rien ne peut remplacer l’intelligence humaine pour raconter le monde tel
qu’il est, et non pas tel que certains systèmes de pensée voudraient qu’il
soit, pour rendre accessible la complexité et, enfin, pour répondre au
sentiment d’impuissance face à l’information.Dans
le cas contraire, chaque désert informationnel se transformera inéluctablement
en désert civique. La perspective est menaçante, mais de moins en moins une
illusion d’optique. Il est grand temps d’en prendre conscience et d’agir !