Nom d'utilisateur:
Mot de passe:

Se souvenir de moi

S'inscrire
Recherche:

Grand public/Fatigues informationnelle et existentielle (III/III)

Date de création: 13-12-2024 19:32
Dernière mise à jour: 13-12-2024 19:32
Lu: 37 fois


COMMUNICATION-FORMATION CONTINUE- GRAND PUBLIC/FATIGUES INFORMATIONNELLE ET EXISTENTIELLE (III/III)

 

De la fatigue informationnelle à la fatigue existentielle des médias grand public

https://www.jean-jaures.org/ Fabrice Février  , 11 décembre 2024                                                                                                                                                                                                                                                                    

Oui, la France est exposée de la même façon que les États-Unis

Alors que la bataille de l’attention ne se joue pas à armes égales avec les géants du numérique, que chaque acteur se bat pour la même minute et le même euro, le rapport de force n’est plus et ne sera plus jamais en faveur des médias.Chez nous aussi, les plateformes sociales gratuites sont ultra dominantes. Environ 40 millions de Français utilisent Google chaque jour, 30 millions Facebook, 20 millions Instagram et YouTube, 5 millions X et Spotify. Quasiment aucun média d’information, même les plus puissants d’entre eux (Le MondeLe FigaroLe Parisien, France Info…), ne dépasse les 5 millions d’utilisateurs quotidiens sur Internet.

À cela s’ajoutent deux grandes menaces : le vieillissement des audiences des médias traditionnels et les conditions de marché qui se durcissent et qui fragilisent toujours plus l’économie de l’information (sur le numérique, on assiste à un ralentissement du marché de l’abonnement et à un coup de frein brutal à la publicité). Par ailleurs, il y a la vie démocratique, aussi malade que le système informationnel, le destin des deux étant intimement lié. Longtemps, la force de la démocratie a résidé dans sa capacité à prendre en compte toutes les différences, afin de mettre en œuvre des politiques équilibrées au service du commun et de l’intérêt général. Alors qu’elle constituait un facteur de cohésion et d’inclusion (« la société prend en compte ma différence »), la diversité a été remplacée par la minorité (et ses tyrannies). Longtemps, les médias ont raconté et donné un visage à ces diversités, qui, au final, formaient un ensemble auquel chacun consentait à se rattacher.Désormais, les minorités sont des blocs hermétiques, enfermés sur eux-mêmes, qui refusent de cohabiter et de dialoguer avec les autres. L’opinion des autres ne les intéressent pas, ils les considèrent même comme des adversaires. Ces blocs se nourrissent de la peur du déclassement, voire de l’invisibilisation dans les médias. Après avoir d’abord touché les classes populaires, ce « mal-être » à force d’être « mal vu » atteint désormais la classe moyenne. Or, celle-ci a toujours constitué la clé de voute de notre société. Elle représente la majorité, qui a toujours consenti au commun et à la représentation élective. En quelque sorte, un véritable pôle de stabilité.

Les populistes, sous toutes leurs formes, ont compris que cette bascule de l’opinion majoritaire pouvait être la clé pour accéder au pouvoir. Les minorités sont ainsi instrumentalisées, ce qui nourrit la polarisation de l’opinion, ce poison pour la démocratie. Désormais, il s’agit moins de rassembler (une majorité) que de cliver pour capter des minorités auxquelles sont tenus des discours faisant mine de prendre en compte leurs différences.Le dénominateur commun entre la crise démocratique et la crise informationnelle, c’est la crise du réel. La critique est faite aux politiques d’être déconnectés de la vie réelle et aux médias de ne plus rendre compte des réalités. Les deux ne jouent plus le rôle qu’on est en droit d’attendre d’eux. Le réel et la complexité sont occultés au profit de la croyance et de la conflictualité. C’est tout le rapport à la vérité qui s’en trouve remis en cause. Le danger mortifère de la société dite « post vérité » ou encore « post factuelle ». La vérité est de moins en moins la valeur de base, elle devient secondaire. Les faits ne sont plus fondamentaux, ils sont mis en question, comme le soulignait un livre publié par la Fondation Jean-Jaurès en 2019 : « Qu’est-ce qu’un fait ? Qu’est-ce qui distingue un fait scientifique d’une opinion, d’une croyance, d’une rumeur ? »

Les personnalités publiques peuvent désormais annoncer des fausses nouvelles en toute connaissance de cause, sans le moindre égard pour la vérité – et en tirer bénéfice. Le tout en contournant autant que possible la contradiction journalistique.La refondation démocratique passera inévitablement par une refondation informationnelle. Si les médias sont une partie du problème, ils détiennent une partie de la solution : le journalisme. Cela restera toujours leur meilleur atout, leur raison d’être et le socle de leur proposition de valeur.

Le journalisme sera toujours la meilleure voie pour enrayer l’exode, à tout le moins le freiner, ainsi que pour donner des signes d’écoute et de confiance aux fatigués de l’information, dont les médias sont la principale cause à leurs yeux. Les contours de cette réponse ne sont jamais qu’un retour aux sources du journalisme : le journalisme du réel : rendre compte des faits et garantir leur véracité / le journalisme de la distance : éclairer la réflexion et le débat public / le journalisme de la solution : contribuer à faire société, créer du lien, identifier les pistes d’un mieux-vivre individuellement et collectivement.

Toutes les parties prenantes de nos démocraties auraient intérêt à prendre au sérieux le spectre d’un monde sans journalistes. Car rien ne peut remplacer l’intelligence humaine pour raconter le monde tel qu’il est, et non pas tel que certains systèmes de pensée voudraient qu’il soit, pour rendre accessible la complexité et, enfin, pour répondre au sentiment d’impuissance face à l’information.Dans le cas contraire, chaque désert informationnel se transformera inéluctablement en désert civique. La perspective est menaçante, mais de moins en moins une illusion d’optique. Il est grand temps d’en prendre conscience et d’agir !