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Grand public/Fatigues informationnelle et existentielle (II/III)

Date de création: 13-12-2024 19:30
Dernière mise à jour: 13-12-2024 19:30
Lu: 28 fois


COMMUNICATION-FORMATION CONTINUE- GRAND PUBLIC/FATIGUES INFORMATIONNELLE ET EXISTENTIELLE (II/III)

 

De la fatigue informationnelle à la fatigue existentielle des médias grand public

 

https://www.jean-jaures.org/ Fabrice Février  , 11 décembre 2024                                                                                                                                                                                                                                                                    

La première élection de Donald Trump

Le deuxième coup de semonce, c’est la première élection de Donald Trump, le 8 novembre 2016. Un choc pour la plupart des médias américains : 194 sur 200 avaient soutenu Hillary Clinton. Comment la victoire avait-elle pu échapper à la candidate démocrate ? La question a agité les rédactions des grands médias. Certes, elle avait remporté le vote populaire, obtenant, au plan national, près de 3 millions de voix de plus que son concurrent républicain. Mais Donald Trump avait remporté le scrutin des grands électeurs, le seul qui compte. Ce particularisme américain d’un suffrage à moitié universel remonte à l’origine même de la Constitution américaine. La volonté de ses fondateurs était de concilier une gouvernance locale, fondée sur les États, et une gouvernance fédérale, basée sur l’ensemble de la population. Beaucoup, encore aujourd’hui, jugent que cela reste le meilleur moyen de ne pas marginaliser les plus « petits » États, à cause du faible nombre de leurs habitants, de tenir compte aussi de leurs intérêts et de leurs aspirations, face aux habitants des grandes métropoles des côtes Est et Ouest.

Des observateurs des médias, notamment à partir d’une étude du Pew Research Center, ont mis en exergue la poussée du vote Trump dans les zones qualifiées de déserts informationnels, quand leurs habitants n’ont plus disposé de journal local. Steve Waldam, fondateur d’une coalition en faveur du rétablissement de médias locaux, déclarait encore au début de l’année 2024 : « La perte de ces journaux entraîne les populations locales dans une spirale de désinformation, de division et de polarisation. Sur le plan national, on a tendance à considérer les opposants comme des ennemis. Sur le plan local, quand vous les croisez à un match ou au supermarché, vous réalisez qu’ils sont des êtres humains eux aussi ».

Dans les germes de la fatigue informationnelle, il y a bien cette exaspération d’une partie croissante de la population, la plus éloignée des grands centres urbains, là où se trouvent la plupart du temps les lieux de pouvoir, d’autorité, d’influence… et de décision. Comme si, aux yeux de ces gens, leurs vies ne comptaient pas, qu’elles étaient même rendues invisibles. Comme si leur parole n’était plus écoutée. Or, dans la plupart des enquêtes, on constate que proximité et confiance vont souvent de pair3.

En 1987, Donald Trump prononçait cette sentence, qui sera l’argumentaire central de ses futures campagnes : « Si vous êtes différents ou scandaleux, les médias vont écrire à votre sujet ». Alors, il n’hésitera pas à paraître différent et scandaleux. Pour mener sa bataille de l’opinion, il n’a pas hésité à affronter durement les médias, ni à recourir à l’outrance verbale. Il jettera fréquemment cette phrase à la figure des journalistes devant lui : « you’re the fake news ». Ses futurs électeurs, dont beaucoup vivaient dans les nouveaux déserts de l’information, ne lui en tenaient pas rigueur. Au contraire. Il représentait leur voix par procuration.

En plus de combattre les médias traditionnels, Donald Trump a pu compter sur les campagnes de désinformation qui ont largement circulé sur Facebook. Nouvellement élu, il déclara dans un entretien à la chaîne de télévision CBS : « j’ai une telle puissance, en ce qui concerne le nombre d’abonnés [sur les réseaux sociaux], que cela m’a permis de gagner tous les scrutins où les démocrates ont dépensé pourtant plus d’argent que moi que moi. Et j’ai gagné. Les réseaux sociaux ont plus de pouvoir que tout l’argent qu’ils dépensent ».Pour la campagne de 2016, Facebook sera accusé d’avoir laissé se propager des « hoax », ces articles créés de toutes pièces, diffusant de fausses informations et apparaissant vraisemblables. On se souvient encore du faux communiqué de Vatican, qui annonçait le soutien du pape François à Donald Trump. L’article le plus viral de la fin de campagne était faux.

Une enquête du site BuzzFeed révélait que les faux articles avaient généré davantage de trafic que les vraies informations, vérifiées et recoupées, au cours des trois mois ayant précédé le scrutin. Facebook en avait été le principal diffuseur. Mark Zuckerberg éprouva les plus grandes peines pour assurer la défense de sa plateforme, qui touchait près de 70% des Américains en 2016 : « Identifier la “vérité” est compliqué. Si certaines fausses informations sont faciles à démonter, une très grande partie du contenu, même venu de sources très populaires, a souvent des informations justes dans l’ensemble, mais avec des détails erronés ou omis. (…) Je crois que nous devons être extrêmement prudents par rapport à l’idée de devenir nous-mêmes des arbitres de la vérité ». Bref, circulez, il n’y a rien à voir ou presque !

YouTube, podcasts et « influencers news »

Le troisième coup de semonce sera-t-il le coup fatal pour les médias traditionnels ? Vainqueur haut la main de l’audience durant la campagne américaine de 2024, l’attelage associant YouTube, podcasts et « influencers news » sur les réseaux sociaux ont quasiment mis hors-jeu ces fameux médias mainstream.

YouTube a pris le dessus sur la télévision et s’est imposé sur les écrans du salon des familles. Pour la première fois, la plateforme a dépassé le seuil des 10% de l’audience de la télévision aux États-Unis. Non contente de supplanter la télévision traditionnelle, YouTube a en plus conforté sa domination sur le streaming vidéo. La plateforme touche aujourd’hui trois Américains sur quatre et son algorithme adore les formats longs, ce dont les conseils et les équipes de Trump se sont emparés. De manière inattendue, même si c’est à un degré moindre, Spotify (les États-Unis sont le premier marché du leader mondial du streaming audio) fut également un acteur émergent de la campagne.

Dans l’une de ses dernières chroniques sur son site Episodiques, Frédéric Filloux, fin analyste des médias et de la tech, ancien journaliste correspondant aux États-Unis, explique que « le point commun de YouTube et de Spotify est d’avoir hébergé des formats longs, aux audiences colossales qui ont offert aux candidats et supporters républicains des tribunes à la fois complaisantes et puissantes ». Parmi ces tribunes, on trouve le podcast de Joe Rogan, qui compte près de 20 millions d’abonnés sur YouTube. Frédéric Filloux explique que l’interview de Donald Trump « a collecté, en 24 heures, 26 millions de vues et a totalisé 52 millions de vues dans les jours qui ont suivi. Ajouté à cela les écoutes sur Spotify où Rogan a 14 millions de d’abonnés, on peut estimer l’audience totale de ce vidéo-podcast à plus de 65 millions de personnes ». C’est pourquoi, après les avoir affrontés en 2016, Donald Trump n’a pas hésité à contourner les médias traditionnels en leur donnant très peu d’interviews. Il ne risquait pas la contradiction.

Last but not least : il faudra désormais compter sur ces nouveaux venus appelés « news influencers ».Le Pew Research Center, organisation indépendante qui scrute les évolutions de la société américaine, les définit comme des personnes qui publient régulièrement des articles sur l’actualité et qui comptent au moins 100 000 abonnés sur les réseaux sociaux. Ils peuvent être des journalistes qui sont ou étaient employés par une entreprise de presse ou des créateurs de contenus indépendants. Le Pew Research Center a mené une enquête approfondie de laquelle ressortent quelques résultats édifiants. On apprend ainsi qu’un Américain sur cinq, dont beaucoup de moins de 30 ans, a été soumis à ce type de contenus. De toutes les plateformes, c’est X (ex-Twitter racheté en 2022 par Elon Musk) qui en héberge le plus grand nombre (85%).En lançant sa formule « You are the media now », Elon Musk ne résiste à aucun discours outrancier : « La presse d’extrême gauche n’a cessé de répéter que Trump était comme Hitler, Mussolini et Staline réunis. Il y a quelque chose qui ne va pas avec la presse. Le journalisme est mort. C’est pourquoi le journalisme citoyen est l’avenir. C’est le journalisme citoyen, où l’on entend les gens, c’est fait par des gens, pour les gens », déclare-t-il sur X le 10 novembre dernier.Depuis une dizaine d’années, les coups de semonce annonçaient la montée de la fatigue informationnelle et l’exode qui affaiblissent les médias traditionnels. L’attaque contre le journalisme est une arme de destruction massive. Ce n’est pas un hasard si on la retrouve souvent dans les mains des populismes.