POPULATION-
BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- RÉCIT RACHIDA BRAKNI- «
KADDOUR »
KADDOUR . Récit de
Rachida Brakni. Editions Dalimen,
Alger 2024, 197 pages, 1200 dinars
Père :
routier puis chauffeur-livreur . Mère :femme de ménage. Ni l'un ni l'autre ne lisent ni n'écrivent
le français. Dès l'âge de dix ans, Rachida, l’aînée des
trois enfants, se
décrit comme étant, déjà, la « porte-parole administrative de la
famille ». C’est dire le lien très, très fort qui l’unissait à ses parents
et à sa famille (une sœur et un frère). Et, le sentiment de solidarité pour
tout ce qu’ils vivaient et ressentaient dans leur long exil, loin du pays
d’origine. « Du plus loin que je me souvienne, nous avons toujours parlé
en arabe à la maison, ou plus exactement en darija, un dialecte algérien,
une langue hybride qui porte en elle toutes les couches des migrations et
invasions successives » écrit-elle. Le grand drame, généralement
invisible, de presque tous les émigrés.....ceux des
années 40, 50 et 60 tout particulièrement. D’ailleurs, Rachida Brakni
explique avoir voulu rendre hommage "à tous ces hommes
qui ont quitté un pays pour une vie meilleure (…) ; ils ne sont plus
tout à fait de là-bas et ils ne sont pas non plus complètement d'ici".C’est tout dit !
C’est
donc le récit de
vie de presque toute la famille. A centre, Kaddour le
père.Il décède un 15 août (qui
« n’est pas un jour pour mourir ») . En pleine épidémie du Covid, alors que les frontières entre la France et
l’Algérie sont fermées et que le vœu de Kaddour a
toujours été d’être inhumé à Sidi Rached, du côté de Tipasa (Montebello du
temps de la colonisation française en Algérie).En
réalité, il « ne voulait pas tout donner à la France ». Car, écrit l‘auteure, « surtout
après ce qu’elle t’a pris, car dans la balance le compte n’y est pas.
Dans un sursaut de dignité, tu veux garder une part.La tienne.Il n’y a
plus rien à rogner, ta carcasse et ton squelette t’appartiennent »
Un récit qui se déroule
durant les six jours (entre le jour du décès et le départ sans accompagnateur
sur un des rares vols d’Air Algérie) . Un récit qui , en courtes phrases (presque déroulées de manière
intimiste), nous raconte la vie de la famille avec, pour piliers, Kaddour et la maman. Une petite famille qui, même éloignée
du pays d’origine, reste profondément « algérienne ».
L’Auteure :Née en février 1977 à
Paris. Parents d’origine algérienne et vivant en France. Conservatoire national
supérieur d’Art dramatique, Comédie française en 2001. Plusieurs films , séries (cinéma et télévision) et pièces de théâtre
en tant que comédienne ....mais aussi metteuse en scène et chanteuse........
Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.César du
Meilleur Espoir Féminin en 2002 (film « Chaos » de Coline Serreau) . Un mois plus tard,
elle obtient le Molière de la révélation féminine pour son rôle
dans Ruy Blas, interprété à la Comédie-Française.Depuis juin 2007, épouse de l’ex- footballeur
et comédien Henri Cantona. Deux enfants,
Emir et Selma.
Extraits : « En Algérie, nos
excursions se limitaient exclusivement à des mariages ou des naissances à
célébrer, et des condoléances à présenter » (p 23),« Absurde.Invraisemblable.Le romanesque n’a pas à sa place
dans le contexte colonial.La vérité est plus crue : tes indigènes de parents
sont morts de travail, de maladie, d’accident mais certainement pas
d’amour » (p 58), « Mais non, papa, ce n’est pas toi. Tu n’es pas redevable à Dieu. Tu as été un bon musulman.C’est la faute à cette
vie de merde si tu en es là. C’est elle qui a brisé ton corps et fracassé ton
cœur » (p 68), « Du haut de mes vingt ans, j’étais pleine de désir et
de ma volonté farouche, mais un obstacle invisible et invincible que je ne
pouvais franchir était bel et bien là ; celui de l’identité
.Encore elle. (p 81),
Avis : L’hommage émouvant d’une
fille à son père........et à
toutes les voix et vies d’exilés.
Citations : « Le
Mektoub. Un mot-tiroir qui coupe court à toute introspection.Sonder les recoins de la psyché
équivaudrait à se brûler la main, alors
on dégaine son atout :le Mektoub.Le convoquer
est un rempart, une rustine pour ces femmes qui ne pouvaient que suivre ou fuir
un mari » (pp 44-45), « On dit que l’habit ne fait pas le moine . Certes.....mais il permet de rentrer dans le
monastère » (p 81), « L’exil jusque dans la mort sépare et déchire
les familles » (p 87), « Chez nous, ce n’est pas le pain qui
accompagne le repas mais l’inverse » (p104), « Allah Ghaleb, un autre mot-tiroir quand la situation la (Note :la
maman) dépasse ou que la cause semble perdue et n’offre aucune issue »
(p133), « Que veux-tu dire par quelqu’un ? Le contraire de personne ?
Un homme existant mais dont l’identité importe peu ? Ou un homme de valeur
et de mérite ? En somme, un homme qui n’est pas rien ? » (p 175)