CULTURE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
RECIT LAZHARI LABTER- « ANNA GREKI, OU L’AMOUR
AVEC LA RAGE AU CŒUR »
Anna Greki,
ou l’amour avec la rage au cœur. Récit de Lazhari
Labter. Koukou Editions,
Alger 2024, 217 pages, 1 200 dinars
Elle était jeune, elle
était belle, elle était dynamique, passionnée, raffinée, cultivée, ayant le
sens de l’humour elle était engagée, elle état
combattante. Déterminée.....toujours sur tous fronts,
notre « chaouia ».
Chaouia d’origine européenne ! Mais, Algérienne plus que 100%. Née en
Algérie le 14 mars 1931.
Elle, c’est Anna Colette
Grégoire, plus connue sous le nom de Anna Gréki. Une
poétesse flamboyante qui était sur tous les fronts. Il est vrai que son
enfance, celle où la personnalité de l’individu se forme (ou se déforme) s’est
déroulée à son enfance à Menaâ , du côté d’Arris, alors commune mixte (« un
petit village dominant une « descente » rocailleuse vers l’oasis de
Biskra dont il ne subsistait pour toute route qu’une piste ancestrale »),
là où ses parents étaient instituteurs progressistes. Là ,
elle n’avait connu que des instants poétiques, des moments de joie, découvrant
les paysages d’une beauté sauvage à couper le souffle , avec une vue imprenable
sur la vallée de l’oued Abdi qu’elle découvre toute seule , avec son petit ami Nedjai ou en compagnie de son père, René, un homme très
respecté par tous les villageois.
Avec son petit ami Nedjai, elle court à travers les champs, cueillant des
fleurs sauvages, des abricots dorés et juteux, des grenades.... Nedjai, enfant espiègle, toujours « nu sous sa
gandoura bleue », invente pour elle mille jeux et mille histoires.Elle entend aussi les
chants étranges dont elle saisissait alors la gravité des mots mais pas le
sens. Cette tranche de vie , plus que formatrice
(d’autant qu’elle était confrontée , aussi à la misère des Aurésiens,
à leur dénuement et à leur isolement, loin des bienfaits de toute civilisation)
, a d’ailleurs donné lieu à un poème sublimissime , « Menaâ ». « C’est là que sa conscience se forge et
que s’insinuent dans les limbes de sa petite tête les prémices de la révolte
contre l’injustice qui fera d’elle la militante des causes justes et des damnés
de la terre ».
La suite est une longue
marche parsemée d’amour (avec , entre autres à Paris , Ahmed Inal, l’enfant prodige de Tlemcen, militant de la cause
nationale et futur héros et chahid de la guerre
de libération nationale, décédé en octobre 1956) , de découverte du pays
(Collo, Alger, Bône......) au hasard des affectations de ses parents et de ses
études , de douleurs (emprisonnement et tortures en mars-avril 1957, en
raison de son engagement dans la lutte de libération nationale), d’exil
(forcé, car expulsée d’Algérie vers la France ), de fuite (en
Tunisie)........et , enfin, de joie, l’Indépendance du pays conquise.Enseignante
(Lycée Emir Abdelkader) , épouse (Malki) ,
journaliste, ...elle n’arrêtera jamais de militer et d’être poète. Sur tous les
fronts ......jusqu’à sa mort, inattendue, le 6 janvier 1966.....à
l’âge de 34 ans.
L’Auteur :Ancien journaliste et ancien
éditeur. Poète et écrivain, auteur de nombreux ouvrages (recueils de poèmes,
essais, récits et romans) .Aussi , spécialiste de la
bande dessinée algérienne (quatre ouvrages)
Table des matières : Sur les traces de la
poétesse (presque) oubliée/ Le livre à la couverture verte détestable/ A la
recherche de la villa Mireille/ Sur la plage d’Ain Taya,
à l’Est d’Alger/ Bône, Saint Augustin veille au grain......./ La
lettre de Colette au procureur..../ Comment dire l’amour et l’espoir derrière
des barreaux ?/ Au camp de Béni-Messous....../
Comment être en Avignon..../ En ce jour du 10 juin 1965..../ Comme un roman
inachevé.../ Anna Gréki connaissait-elle la poésie de
l’Emir ?/ L’avenir est -il pour bientôt...../ A la recherche de la tombe
presque oubliée/ Avec la rage au cœur/Bibliographie et remerciements/ Du même
auteur/Cahier photos
Extraits : « Surtout ne pas
devenir moutonnier.Se
pencher sur tout ce qu’il y a de Vivant. Préférer la vie à l’étude.Réfléchir. Ne pas avoir peur de dire ce que
l’on est.Oser et
vivre » (Anna Gréki citée, p 29), « Aucune
des maisons n’avait besoin de portes/Puisque les visages s’ouvraient dans les
visages/Et les voisins épars simplement voisinaient /La nuit n’existait
pas puisque l’on y dormait./ C’était dans les Aurès... (Anna Gréki citée, p 92. Extrait du poème « Menaâ » du recueil Algérie, capitale
Alger), « Elles sont là , entre militantes communistes, catholiques
libérales et nationalistes musulmanes, toutes algériennes, toutes solidaires,
toutes unies, toutes sœurs dans les deux dortoirs qui suffiraient à peine pour
une dizaine de personnes par dortoir, serrées les unes contre les autres »
(Prison de Barberousse, quartier des femmes, dortoir n° 3, p 98),
« Si le bout de vivre c’est mourir, pour Anna Greki
poète hanté de rêve et habité de la volonté de le faire aboutir, le but de la
vie c’est d’aimer et à force d’amour se survivre » (p 158)
Avis : Un véritable chant
d’admiration et d’amour pour une poétesse « chaouia » , militante et engagée pour la cause indépendantiste algérienne.En même temps, saisir l’atmosphère
révolutionnaire du pays si tragique durant sa guerre de libération
nationale et si belle et si prometteuse juste après, durant les années
60.Hélas , il semble bien qu’aucune école ou rue(lle)
ne porte le nom de la « fille aux yeux de Chaouia » (Med Kahdda) .....à Arris ou ailleurs.
Citations : « La nationalité
est affaire d’amour, d’attachement et de sacrifice pour un pays et non affaire
de race et de croyance » (p 17), « Quand il n’y a plus d’idées/il
reste toujours les mots » (Anna Gréki citée, p
79. Extrait du poème « Les bons usages d’un bureaucrate » du
recueil Temps forts), « Etre sain , c’est être à l’aise dans son corps.Cela
ne se peut que si on est à l’aise dans son esprit .Et le cœur ? C’est
simplement l’harmonie entre le corps et l’esprit.On
sent battre son cœur lorsque le corps et l’esprit ne font qu’un.Le cœur qui bat est un épiphénomène, une
manifestation, un test de joie» (p 148), « L’Algérie, un pays
dont la littérature s’est toujours développée autour des ruptures.Des
ruptures linguistiques, identitaires, mais surtout esthétiques » (p 173)