COMMUNICATION- ETUDES ET
ANALYSES- HISTOIRE DU SIGLE EN ALGÉRIE
COMMUNICATION :
LA « SIGLOMANIA » ( © Ahcene-Djaballah Belkacem,
Novembre 2024/Le Quotidien d’Oran, samedi 16 novembre 2024) .
Durant les années 70 ,
l’Algérie croulait sous le poids des sigles avec une domination sans conteste
des SN (Sociétés nationales) , des UN (Unions
nationales) et des UG (Unions générales) , la politique
socialiste ne permettant alors aucune incursion importante dans le domaine de
l’entreprise individuelle ou même de celui des associations (toutes deux
extrêmement rares) .Seuls , l’Administration (dont l’Armée), le Parti du
FLN (unique dans le domaine de la politique) et leurs démembrements
avaient, seuls, droit à l’existence .
La traduction en
langue arabe paraissant trop longue, pour ne pas dire compliquée,
la dénomination en langue étrangère (en l’occurrence, à l’époque, le
français) étant, elle aussi, longue et/ou incompréhensible pour beaucoup
, on s’est donc rabattu sur le langage des sigles , rassemblement
ordonné des premières lettres de chaque mot composant l’appellation déposée.
Avec, bien souvent , des recherches et des trouvailles graphiques géniales ou
étranges , les plus fortunées des entreprises faisant appel à des
« conseils » , la plupart du temps sinon toujours non-algériens ,qui
ont « fabriqué » et « habillé » le sigle en
inventant le logo (le transformant en signe ?) et sa garde-robe , sorte de
manuel de procédures à utiliser sans dévier….dans les placards publicitaires ,
les en-têtes de courrier, les enseignes ,etc…..La plus fameuse intitiative, au demeurant très heureuse, est celle de
Sonatrach qui avait fait appel à......Maurice Sinet ,
dit Siné ***, le fameux caricaturiste
français. Grand ami de l’Algérie et de dirigeants algériens de
l’époque, il fut aussi journaliste à “Révolution africaine” dans les années
60 (“Pendant 13 ans, de 1965 à 1978, j’ai complètement
conçu, aidé par mon ami Michel Waxmann pendant
les premières années, l’image de la société algérienne (Sonatrach), son logo,
sa couleur, le design des stations-service et de ses volucompteurs, jusqu’à
celui des raffineries en passant par tous les conditionnements, la flotte et
même les costumes des pompistes ! » dit-il) . Sonacome s’était , pour sa part,
adressée à son intermédiaire habituel, la firme allemande Diag....
Toute la société, du
simple citoyen au grand décideur, ne communiquait alors plus que par sigle
interposé. Ceci s’était tellement développé que les visiteurs étrangers
arrivaient difficilement à s’y faire….Et, on a
même entendu un nouvel étudiant africain, fraîchement débarqué à Alger,
demander à un buraliste du côté du boulevard Amirouche (alors siège
de l’Union nationale des étudiants algériens et du restaurant universitaire le
plus important) , de lui donner un « paquet d’Ugta » !
La manie s ‘étant
étendue aux produits de consommation courante (la Snta , à
l’époque , venait de créer la cigarette Afras,
contraction d’ « Afro-asiatique »), la confusion n’avait pas
tardé à s’instaurer.
Certains sigles restent
encore bien ancrés dans les mémoires des 60-80 ans , charriant
avec eux tout un grand pan de l’histoire économique , politique et
socio-culturelle du pays. Même disparus dans la tourmente des réformes
(certains ont échappé à partir au siglocide….comme Air Algérie, Sncf, Sonarem,
Sonatrach, Ugta…..) du milieu des années 80 ,
ils restent présents et sont souvent évoqués avec une certaine
nostalgie : Rsta , Jfln , Atu, Ate, Gse, Sns (qui est de retour depuis peu )
, Pri, Prc, Sonacome, Mara, Mic, Rta, Rsta, Sogedia, Unea, Sncg , Sonacob, Sned, Sonitex, Sneri, Oncic, Anaf, …
Par la suite, les plus entreprenants d’entre les nouveaux collectifs , en économie, en sports ou ailleurs, ont
réussi à conserver ou à récupérer l’ancien sigle qui, affublé de
significations algéro- arabisées , surtout en
sports , redonne l’espoir d’une composition du futur sans couper véritablement
avec un passé peut-être trop mythifié.
On peut même dire que
ce fut là une « langue » qui a contribué à forger une certaine
solidarité, tous les citoyens, arabophones , francophones
ou analphabètes bilingues , sympathisants ou opposants au système, se
retrouvant sur une même longueur d’ondes langagières.
A partir de la fin des
années 80, donc, les réformes aidant, avec une très large restructuration des
entreprises, les grands sigles sont cassés en deux , en
trois ou en plusieurs morceaux avec des tentatives désespérées , et parfois
vaines , de conserver un tout petit peu ce qui fut le flambeau de l’entreprise
ou de l’association -mère.
On traverse alors une
période de créativité délirante , l’anarchie et le bricolage faisant la part
belle au sigle fabriqué en « francarabe »,
créé dans l’arrière-salle du café du coin , dans un salon enfumé
ou au domicile avec l’aide de Madame et des enfants, chacun y allant
de son délire .Des centaines de sigles , accompagnant des centaines
d’entreprises nationales , régionales et locales, virent le jour, parfois
n’ayant aucune prise avec le réel ou même frisant le ridicule .Tout cela ne
durera que le temps de la grande éruption « réformatrice ».
A partir des années
90, avec l’éruption « démocratique » , vint
le temps du réveil et de la décantation .Le sigle perd de sa superbe et se
trouve assez vite submergé par une vie active économique , sociale et politique
très ouverte , presque sauvage soumise au règne des produits, des résultats et
à la concurrence (étrangère). Les rédacteurs de textes se trouvent donc
submergés et « inventent » parfois n’importe quoi. Ainsi, en Octobre 2003, on a créé un Centre
opérationnel national d’aide à la décision siglé …… « CONAD » !….Un N de
trop, certainement pour éviter la dérive langagière de « COAD »
. Mais , de Charybde en Scylla ! Le
sens populaire de « CONAD »
relevé, le sigle fut assez vite « rectifié », dans
le JO de fin novembre de la même année, en « CNAD ».
Ce dernier fut purement et simplement supprimé début 2013. Autre exemple , fin 2012-début 2013 , la ZALE (Zone
arabe de libre-échange) qui a une connotation populaire vulgaire en
certaines parties du pays a été transformée (au niveau du discours public et
médiatique du ministère du Commerce dirigé depuis septembre 2012 ,
dans le nouveau gouvernement de A. Sellal, par
un arabo-islamiste, Mustapha Benbada, nouveau
ministre du Commerce ) en GZALE, Grande Zone Arabe de Libre
–Echange ) . L’essentiel n’était plus à la forme et au paraître .Même l’Histoire n’arrivait plus à imposer son
mot . Ainsi ,le sigle le plus fameux du
20ème siècle ( dixit Jean Lacouture, un grand journaliste
français des années 60-70) , FLN , se retrouvait bousculé et
contesté, ramené bien souvent, du fait des dérives , des volontés
récupératrices et des ambitions politiciennes, au rang de formation politique
banale au milieu d’une plusieurs dizaines de partis politiques. Aujourd’hui, le
sigle –ou la marque- (avec sa plus belle réussite quand il devient un nom
commun s’inscrivant sans capitales initiales)
continue à fleurir mais, s’il est encore dominant , il n’est plus dominateur .
Beaucoup plus informatif et moins racoleur , il
épouse de très près l’activité couverte et il a acquis une signification
véritablement utilitaire.Il n’existe que
par nécessité , pour gagner du temps , pour se faire comprendre assez vite par
le maximum de gens.
Hélas, l’absence du
réflexe de s’adresser à des « conseils » spécialisés , la
rareté de ceux-ci ,ainsi qu’un certain mépris des gestionnaires pour la
« Com’ » rentable font que le sigle reste à parfaire dans sa
présentation et dans son utilisation, afin qu’il soit immédiatement accepté et
compris par tous , d’ici ou d’ailleurs, et qu’il ait une
durabilité certaine.Parmi les plus gros
utilisateurs (ou "faiseurs") de ce langage , il y a ,évidemment, la
presse écrite qui déverse sur le marché , journellement, des centaines de
milliers de pages destinées à au moins 10 millions de lecteurs (durant
les années 80 à la fin des années 90 )Coincée entre un
espace rédactionnel réduit et le flot de nouvelles , soumise aux règles du
temps et à la rareté de personnels qualifiés , la presse écrite - quotidienne
tout particulièrement avec ses 80 titres tirant plus de 4 millions
d’ex par jour (en 2010) - transmet les informations , parfois
sans trop de larges explications.Ici, les règles
rédactionnelles élémentaires ,concernant les appellations, sont souvent irrespectées et le lecteur se retrouve inondé
d’abréviations , de sigles et d’acronymes incompréhensibles tant en
langues nationales qu’en langue étrangère.Et,
l’introduction récente tout azimuth de
l’anglais , actuellement, n’est pas faite pour faciliter les choses, obscurcissant même une partie du paysage de la communication.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------(*)- On distingue les
acronymes, qui se prononcent comme des mots ordinaires et s’écrivent en
majuscules et sans points (UNESCO, ENA, UA ), des sigles, dont
chaque lettre est épelée et dans lesquels on devrait placer des points après
chaque lettre (S.A.R.L, E.T.U.S.A, O.G.M, P.-D.G). Dans notre ouvrage , les points sont omis volontairement pour
faciliter la lecture et l’écritureLe genre d’un
sigle ou d’un acronyme est déterminé par le genre du noyau du groupe nominal
que le sigle ou l’acronyme formait avant la réduction. Ainsi, on parle de la
S.N.T.F (Société nationale des transports
ferroviaires) puisque société, noyau du groupe
nominal, est un nom féminin, et on parle d’un C.M (Conseil des
ministres) puisque Conseil est un nom masculin.Par ailleurs,
sigles et acronymes ne prennent pas d’accent et sont invariables. La liaison
devant les sigles se fait selon l’usage ordinaire Notez qu’un acronyme
lexicalisé (delco, sida) se comporte comme un nom commun : il perd
ses majuscules et s’accorde en nombre.
(**)-Article repris (et légèrement
corrigé) de la présentation du « Dico-sigles », édité par
les Editions Takidj.com, Alger 2012 (254 pages) et dont je
suis l’auteur (ancien professeur associé aux Universités et journaliste
indépendant)
(***)- Voir
fiche documentaire complète in
www.almanach-dz.com/communication/personnalités