HYDRAULIQUE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- HYDRAULIQUE/
NAPPE ALBIENNE ALGÉRIE (I/II)
LA
NAPPE ALBIENNE :UN IMPRESSIONNANT GISEMENT D’EAU
A PRESERVER
©
Naima Benouaret/El Watan,
dimanche 10 novembre 2024
La nappe albienne, plus grande réserve d’eau souterraine au monde
connue à ce jour, s’étire sur un million de kilomètres carrés et s’étend sur
les territoires algérien (70%), libyen (20%) et tunisien (10%), en continu de
l’Atlas saharien dans le Nord jusqu’au Tassili du Hoggar au Sud.
La pénurie, le stress hydrique, le lourd impact du
réchauffement climatique, la crise et les conflits liés à l’eau douce sont en
augmentation un peu partout dans le monde. Plus d’un milliard de personnes
vivent dans des régions où l’eau est rare, et 3,5 milliards de personnes
pourraient connaître une pénurie d’eau d’ici 2025.
Les eaux souterraines constituent près de 99% de
toutes les réserves d’eau liquide douce sur terre. Les bassins transfrontaliers
représentent environ 60% de ces ressources, au service de 2,8 milliards de
personnes, soit 42% de la population mondiale, selon les données du Fonds pour
l’environnement mondial (FEM) et du World Resources
Institute (WRI).
Considérant tous ces facteurs et tant d’autres, la
gestion de l’eau douce et les écosystèmes transfrontaliers partagés, fortement
complexes, est confrontée à une myriade de menaces interconnectées, de besoins,
de défis et de frontières politiques, et ce n’est justement pas pour rien que
les enjeux, posés d’abord au niveau mondial puis national, par la gestion des
gigantesques aquifères albiens, communément appelés Système aquifère du Sahara
septentrional (SASS), sont omniprésents dans les agendas internationaux de la
géopolitique de l’or bleu.
Les tout derniers étant la 10e édition de la
Conférence sur les eaux internationales (IWC), tenue du 23 au 26 septembre 2024
à Punta Del Este, en Uruguay, et la 10e réunion des Parties à la convention sur
la protection et l’utilisation des cours d’eaux transfrontalières et des lacs
internationaux, du 23 au 25 octobre dernier à Ljubljana, en Slovénie. L’accent
y ayant été mis sur les mécanismes et garde-fous à mettre en place aux fins de
la protection/conservations des cours d’eaux transfrontalières et des lacs
internationaux ainsi que sur l’impératif de l’utilisation des ressources en eau
non-conventionnelles.
La nappe albienne, plus grande réserve d’eau
souterraine au monde connue à ce jour, s’étirant sur un million de kilomètres
carrés qui s’étend sur les territoires algérien (70%), libyen (20%) et tunisien
(10%), en continu de l’Atlas saharien dans le Nord jusqu’au Tassili du Hoggar
au Sud, serait, aux yeux des experts de la Commission économique des Nations
unies pour l’Europe (CEE-ONU), sous la menace de l’épuisement et de la
dégradation.
Deux phénomènes qui risquent de s’exacerber compte
tenu des données, du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC) relatives à la disponibilité de réserves en eau, aux variations
saisonnières et inter-annuelles de la pluviométrie, à
la fréquence des inondations et à la sévérité des épisodes de sécheresse.
Pis encore, ils sont susceptibles d’impacter gravement
les réserves d’eau souterraine mondiales, eu égard à l’impressionnant gisement
d’or bleu dont regorge le SASS ; environ 60 000 milliards de mètres
cubes, d’après les estimations de Grace (Gravity Recovery
and Climate Experiment) de
la NASA et du Deutsches Zentrum für Luft - und Raumfahrt (Centre aérospatial
allemand (DLR), réserves équivalant 60 000 fois les capacités de Beni Haroun
(Mila), le plus grand barrage en Algérie.
Un nouvel
accord et des interrogations
Et si
pour le moment, ces aquifères albiens en partage ne constituent pas «un catalyseur
de conflits diplomatiques et, encore moins, un casus belli - acte de nature à
motiver une déclaration de «guerre» entre les trois pays que l’Institut des
ressources mondiales (WRI) a classés «sous le seuil de la pauvreté hydrique» et
parmi les 33 pays du monde appelés à connaître un stress hydrique très intense
à l’horizon 2040, la signature, en avril 2024, d’un nouvel accord entre Alger,
Tunis et Tripoli, portant création d’un mécanisme de concertation sur la
gestion des eaux souterraines communes dans le Sahara septentrional, a suscité
nombre d’interrogations auprès des spécialistes en géopolitique de l’eau et
autres observateurs. Surtout que les trois parties étaient déjà liées par un
accord tripartite conclu en 2008, fixant les quotas de chaque pays.
A ce propos, faut-il le rappeler, un «litige» avait opposé, en 2016, l’Algérie et la Libye
lorsque l’Institut national de recherche agronomique (INRA) reprochait aux
autorités libyennes de «provoquer une détérioration de la nappe albienne en
procédant à un pompage massif qui ne respecte pas les règles fixées
conjointement par les pays riverains».
Pas seulement : l’Observatoire du Sahara
et du Sahel (OSS) chargé, depuis bien des lustres, de la gestion dudit
mécanisme, en aurait été dessaisi pour des raisons, à ce jour, inexpliquées : «Il est indéniable que la nappe albienne, partagée entre
l’Algérie, la Tunisie et la Libye, représente un enjeu crucial en termes de
gestion durable de l’eau, surtout face aux défis du changement climatique et de
l’augmentation de la demande en ressources hydriques. Cependant, je me dois de
vous informer qu’à ce jour, l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS)
n’héberge plus le mécanisme de concertation du projet SASS (Système aquifère du
Sahara septentrional), qui encadrait la coopération autour de cette précieuse
ressource partagée.
De ce fait, il ne me serait pas possible
de répondre à certaines questions techniques ou institutionnelles sur la
gestion actuelle de la nappe albienne», a confirmé,
dans une déclaration à notre rédaction, Mohamedou Ould Baba SY (mauritanien), Directeur du Département eau à
l’OSS. Fondée en 1992 et installée à Tunis depuis 2000, cette organisation
internationale à vocation africaine a pour rôle principal de «créer
et de soutenir des partenariats pour relever ensemble les défis liés à la
gestion des ressources en eau, ainsi qu’à la mise en œuvre des accords
internationaux sur la dégradation des terres, la biodiversité et le changement
climatique en Afrique».
Forte de 34 pays membres, dont 27 africains
et 7 non-africains, l’Organisation collabore avec 12 entités représentatives
d’Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Nord, ainsi qu’avec plusieurs agences des
Nations unies et Organisations non gouvernementales. L’utilisation de la
télédétection et des images satellitaires dans l’amélioration de connaissance,
de la gestion concertée et de l’exploitation rationnelle du SASS est de plus en
plus recommandée par différents organismes, institutions et agences onusiennes.
Contactée à ce sujet, Mustapha Mimouni (algérien), le chef de la Division système
d’information géographique & télédétection à l’OSS s’est abstenu
de tout commentaire. Il en est de même pour Charles Baubion
(français), expert en gouvernance de risques à la Direction de la gouvernance
publique de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques
(OCDE).
Curieux
silence radio à L’OSS
Malgré
notre insistance, cet hydrologue de formation, qui travaille dans les domaines
de la gestion des risques et la gestion des ressources en eau en Chine, Europe,
Afrique du Nord et à l’international, au niveau des politiques publiques et
scientifiques, s’est, lui aussi, gardé de s’exprimer sur la nappe albienne et
le pacte tripartite y afférent nouvellement scellé, prétextant ne plus
s’occuper «des sujets liés à l’eau à l’OCDE».
Pourtant, M. Baubion
est parmi les experts qui maîtrisent le mieux ce, visiblement, sensible
dossier ; il avait participé à une étude exhaustive sur la gestion
concertée du bassin transfrontalier depuis 1998 à 2008, date de signature du
premier accord liant les pays l’exploitant en partage. Du côté tunisien, nos
maintes tentatives de satisfaire notre «curiosité»
sont restées vaines.
Dr Aïssa Hlaimi,
responsable des ressources hydrauliques au ministère de l’Agriculture tunisien
et auteur d’une autre étude réalisée pour le compte de la Commission économique
des Nations unies pour l’Europe (UNECE), portant toujours sur la gestion du
SASS, également joint par mail, n’a pas daigné nous répondre.
C’est dire le caractère complexe,
délicat et sensible que revêt, apparemment, le dossier de la nappe albienne,
surtout dans un contexte où les risques émergents liés au changement climatique
et l’eau sont devenus géopolitiquement extrêmement difficiles à gérer. D’où le
placement par les sociétés d’assurance des changements climatiques dans le Top
3 de ces risques émergents.
La question que d’aucuns se
posent : en cas d’atteintes ou d’incident majeurs, accidentels ou
volontaires, la pollution des eaux souterraines anciennes et profondes, en
partage entre plusieurs pays, ou la dégradation des ouvrages riverains,
peuvent-ils être couverts par le système assurantiel ? «L’assurabilité
de tout ce qui a trait aux ressources, dites sensibles, comme les eaux
transfrontalières et les infrastructures associés ne nous concerne pas. Elle
est du ressort exclusif de l’Etat. L’Etat se constitue comme client du marché,
il s’assure et se réassure lui-même sur le marché international. C’est une
question de stratégie et d’orientation qui relève de la souveraineté.
Il y a des arbitrages à faire. Les
assurances est un secteur consommateurs d’informations. Il y a des informations
sensibles, d’ordre stratégique et confidentiel, qui ne peuvent être partagées.
Les autorités mettent en place des schémas spécifiques qui sortent du cadre des
assurances et qui relèvent de la souveraineté du pays. Les ressources
naturelles stratégiques est un domaine assez particulier qui échappe à la
sphère économique classique», nous a précisé Widad Belhouchet, PDG de la
compagnie CASH Assurances, en marge d’une rencontre sur «L’Assurance, un levier
de résilience et d’accompagnement économique».