VIE POLITIQUE- FORMATION
CONTINUE- VIE POLITIQUE/ MEDIATISATION DE LA POLITIQUE, LOGIQUE ET PRATIQUES
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Soffer/ 7 novembre 2024
Le professeur de science politique Frédérick
Bastien présente son livre «Médiatisation de la
politique: logiques et pratiques».
L orsque la journaliste
Anne-Marie Dussault a demandé à Thomas Mulcair ce qui
avait changé en 25 ans de politique, il a répondu spontanément:
«C’est devenu difficile parce que les gens s’attendent à ce qu’on réagisse
rapidement. Il y a 15 ans, on a commencé à s’habituer au cycle de nouvelles 24 heures sur 24. C’était
une adaptation: il fallait remplir les 24 heures. Maintenant,
c’est de l’instantané: c’est Twitter [X aujourd’hui],
c’est Facebook, c’est Instagram… Et les gens s’attendent à ce qu’on envoie
quelques mots sur chaque sujet instantanément. (…) Ce n’est pas mauvais d’avoir
le temps de réfléchir.» Selon lui, la médiatisation du
politique est ce qui a le plus évolué au cours de sa carrière. Pour examiner ce
phénomène et explorer les relations de pouvoir et d'influence entre les médias
et la politique, Frédérick
Bastien, professeur au Département de science politique de
l’Université de Montréal, et Mireille Lalancette,
professeure de communication politique à l’Université du Québec à
Trois-Rivières, ont codirigé le livre Médiatisation de la politique:
logiques et pratiques.
Nous avons eu
l'occasion de discuter avec Frédérick Bastien.
Pourquoi cet ouvrage?
Depuis le début des années 2000, la médiatisation de la politique a
été l’objet d’un grand nombre de publications en langue anglaise et surtout
d’origine européenne. Les sciences sociales examinent depuis longtemps les
effets des médias sur les opinions et les comportements politiques des gens.
L’étude de la médiatisation, elle, élargit cette perspective en englobant
l’ensemble des influences des médias sur les acteurs, les organisations et les
institutions politiques. Quand on s’interroge à savoir si le développement des
données numériques érode l’influence des militants au sein des partis, si
l’essor des médias sociaux fait en sorte que la désinformation influence plus
le vote, si les groupes d’intérêts font davantage de lobbying indirect par
l’intermédiaire des médias d’information ou si certains modes opératoires de
ces derniers pénalisent les femmes en politique en reproduisant des stéréotypes
de genre, on pose alors des questions – toutes abordées dans cet ouvrage! – sur
la médiatisation politique.
Sans négliger l’étude
de l’incidence des médias sur les individus, les recherches sur la
médiatisation permettent de saisir les relations entre médias et politique de
manière plus complète. En 2018, le professeur émérite John Corner a même écrit
que la médiatisation constituait «le mot de la décennie»
dans le champ des théories médiatiques! Il nous semblait donc important de
produire un ouvrage de langue française qui vulgarise le sujet et présente
l’état des recherches sur ce thème.
Peut-on parler d’une politisation du système médiatique canadien?
C’est intéressant que vous posiez cette question parce que la thèse selon
laquelle le champ politique serait davantage influencé par les médias qu’il ne
l’était autrefois est évidemment sujette à une validation empirique, et elle
s’accompagne de la thèse inverse, soit que le champ des médias serait de plus
en plus influencé par le politique. Quand on observe l’évolution des médias
chez nos voisins américains, on constate qu’il y a une politisation accrue
d’une partie du système médiatique, que ce dernier tend à se constituer en
reflétant la division des forces politiques qui animent la société. Aux
États-Unis, cette politisation du système médiatique ne serait pas étrangère à
la polarisation de la politique.
Au Canada, on relève
certains éléments de politisation du système médiatique:
la valeur de l’objectivité est plus contestée en journalisme, la couverture
faite par CBC des questions liées à la diversité culturelle est perçue par
plusieurs experts comme étant favorable au multiculturalisme, des radios
privées ne dissimulent pas leur orientation politique, comme certains
propriétaires de journaux. Cette politisation demeure cependant plus limitée
qu’aux États-Unis. Même si les gouvernements ont mis en œuvre ces dernières
années des politiques publiques pour venir en aide au journalisme, la plupart
d’entre elles l’ont été à travers des mécanismes qui permettent de conserver
une certaine distance entre le pouvoir politique et les journalistes.
Les habitudes de fréquentation médiatique au Canada influencent-elles les
préférences politiques? Les gens auront-ils par
exemple des opinions différentes sur l’immigration selon les médias qu’ils suivent?
Sur la question de l’immigration, il y a une corrélation entre les
habitudes de consommation médiatique des Canadiens et Canadiennes et leurs
préférences politiques. Dans un chapitre que j’ai rédigé avec Simon Thibault,
je présente des données tirées d’un sondage mené il y a quelques années sous la
direction de notre collègue André Blais dans le cadre du projet Making Electoral Democracy Work
et d’un autre sondage que j’ai conduit pour une recherche sur la radicalisation
au Québec pilotée par Solange Lefebvre et la regrettée Dianne
Casoni. Par exemple, les personnes qui s’informent
régulièrement par l’entremise de la CBC, du Globe and Mail ou
du Toronto Star ont des opinions plus favorables à l'égard de
l’immigration que celles qui ne consomment pas souvent l’information de ces
entreprises de presse, alors que c’est l’inverse pour les habitués du Toronto
Sun, du réseau TVA et du Journal de Montréal.
Le sens de la relation
causale est cependant plus difficile à établir: il
peut s’agir d’un effet des médias, mais aussi d’un choix des personnes ayant
ces opinions de consommer davantage ces médias d’information, soit pour des
raisons politiques, soit parce que les gens plus ou moins favorables à
l’immigration ont un profil sociodémographique qui les amène à préférer
certaines entreprises de presse plus que d’autres.
À qui destinez-vous cet ouvrage?
Le principal lectorat visé par cet ouvrage, ce sont les étudiantes et
étudiants en communication politique, qu’ils soient en deuxième ou troisième
année d’un programme de premier cycle ou aux cycles supérieurs. Le personnel
enseignant appréciera, je pense, que chaque chapitre se termine par des
questions ou des idées d’exercices favorisant la pédagogie. Ma collègue
Mireille Lalancette, codirectrice de l’ouvrage et
chercheuse principale au Groupe de recherche en communication politique [GRCP],
et moi avons aussi insisté auprès des collaboratrices et collaborateurs pour
qu’une approche appliquée soit mise en relief. Ainsi, chaque chapitre contient
une section insistant sur les retombées des recherches présentées pour la pratique
de la communication politique.
Cela dit, en
rassemblant ainsi des chapitres tous rédigés par des membres du GRCP, dont les
expertises couvrent plusieurs objets d’étude et diverses approches de la
médiatisation de la politique, l’ouvrage permet d’approfondir de nombreux
thèmes contemporains qui intéresseront les chercheuses et chercheurs
d’expérience en sciences de la communication et politique, et des personnes qui
pratiquent les métiers de la communication politique.
À propos de ce livre
Sous la direction de
Mireille Lalancette et Frédérick Bastien, Médiatisation
de la politique: logiques et pratiques, Presses de
l’Université du Québec, 2024, 376 p.