Nom d'utilisateur:
Mot de passe:

Se souvenir de moi

S'inscrire
Recherche:

Livre/Présentation couvertures/ Edition France (I/II)

Date de création: 04-11-2024 18:17
Dernière mise à jour: 04-11-2024 18:17
Lu: 18 fois


 


CULTURE- FORMATION CONTINUE- LIVRE/PRÉSENTATION COUVERTURES/ÉDITION FRANCE  (I/II)

 

https://www.francetvinfo.fr/culture, Pierre Godon/ France Télévisions, 4 novembre 2024

 

En librairie, impossible de louper les bandeaux par centaines destinés à attirer l'œil des lecteurs. Une stratégie marketing presque aussi vieille que le monde de l'édition et dont l'efficacité reste incertaine.

Le lecteur ne sait plus trop où donner de la tête dans la librairie Le Livre et la tortue d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Sur la table des nouveautés début octobre, 73 livres arborent un bandeau sur les 157 exposés. Même pour les bouquins moins récents, un quart des 600 titres du rayon littérature française se parent de ce ruban de papier. Au rayon polar, comptez 40% de livres plus ou moins drapés. "Les éditeurs mettent même le bandeau 'nouveauté' sur un poche, soupire le libraire Olivier Beugin. Quand il part dans les rayonnages et qu'un client l'en sort trois ans plus tard, il le porte encore."

A l'occasion de la rentrée littéraire, les professionnels du livre s'accordent sur un chiffre : un ouvrage sur deux est recouvert du fameux bandeau. Des jaunes, des noirs, des bleus et même des rouges, inspirés du Graal, le ruban écarlate du Goncourt, décerné lundi 4 novembre. L'assurance, pour l'élu, de ventes à six chiffres. "Là-dessus, on ne fait pas de fantaisie", en matière de couleur ou de police d'écriture, prévient-on déjà chez Flammarion. "On sait que ça marche quoi qu'il arrive."

Pub partout, littérature nulle part

Pour retracer l'histoire du bandeau littéraire, il faut remonter au moment où le livre est devenu un marché, et non plus un hobby d'érudits cernés de bibliothèques poussiéreuses. Soit le tournant du XIXe au XXe siècle. "Juste avant, les éditeurs embauchaient des hommes-sandwichs pour faire la promotion d'ouvrages dans la rue", s'amuse Jean-Yves Mollier, auteur d'Une autre histoire de l'édition française. Arrive ensuite le Prix Goncourt et des hommes de lettres pas mécontents de petits happenings publicitaires, Bernard Grasset et Gaston Gallimard en tête. Au départ, l'objectif est de faire ressortir les prix littéraires, qui font rapidement autorité auprès du public. En témoigne l'incident du Goncourt 1919.

Dans le cahier des charges de ce qui n'est pas encore la distinction la plus prestigieuse de la littérature française : récompenser un auteur jeune, qui écrit dans l'air du temps. Roland Dorgelès, qui revient des tranchées et qui a écrit Les Croix de bois sur la Grande Guerre, coche toutes les cases. Pourtant, c'est à Marcel Proust, qui n'a pas mis un orteil sur le front et qui écrit sur la bonne société à l'abri des éclats d'obus, que revient la récompense. Furieux, l'éditeur de Dorgelès appose un bandeau sur l'ouvrage de son poulain : "Prix Goncourt, par quatre voix sur neuf". L'affaire finit en justice, mais ce procédé marketing entre au panthéon de la littérature française en même temps qu'A l'ombre des jeunes filles en fleurs.

"Au début, le bandeau était perçu comme une Légion d'honneur. Aujourd'hui, c'est plutôt comme le Label rouge qu'on colle sur les barquettes de poulet."

"Si vous entrez dans une librairie dans les années 1980, vous n'aviez de la couleur que sur les poches", illustre Alix Penent, directrice littéraire chez Flammarion. Aujourd'hui, explosion chromatique garantie.

Certains bandeaux signalent l'attribution d'un prix (il en existe 2 000 en France, dont une vingtaine connue du grand public) ou mettent en avant un nombre de ventes au périmètre indéfini. D'autres extraient une citation du bouquin, afficher la bobine de l'auteur ou l'affiche de l'adaptation au cinéma. "J'en ai plein les poches !" peste Hélène Pérenditis, libraire dans une grande enseigne culturelle parisienne, qui en sort une dizaine de son pantalon. Le "butin" d'une journée de travail à aligner les nouveautés sur les rayonnages. "Ça s'abîme, ça reste coincé dans les cartons, je passe mes journées à les enlever."

L'angoisse de la couverture blanche

Quelques rayons résistent encore et toujours à l'envahisseur... Notamment chez les ados et en "young adult". "Les lecteurs plus jeunes n'ont pas encore intégré ces codes marketing. Les prix, ça ne veut pas dire grand-chose pour eux", appuie Marie Mériau, spécialiste jeunesse du Livre et la tortue. La bande dessinée s'y est essayée aussi. Après le premier Festival d'Angoulême de 1974, les éditions Dupuis barrent le dernier Gaston Lagaffe d'un bandeau jaune vif(Nouvelle fenêtre) : "André Franquin, Grand prix de la ville d'Angoulême pour l'ensemble de son œuvre""Une façon de 'goncouriser' la BD" au moment où le neuvième art courait après ses lettres de noblesse, confirme le libraire belge Philippe Capart, mémoire de la bande dessinée. Une expérience sans lendemain. Aujourd'hui, les éditeurs de BD privilégient les autocollants apposés en haut de la couverture pour attirer l'œil du lecteur.

Faut-il croire que le bandeau ne fonctionne que chez les adultes ? "On n'a pas fait d'étude d'impact", reconnaît Alix Penent de chez Flammarion, où tous les ouvrages estampillés "rentrée littéraire" en portent un XXL. Chez Grasset, on admet recouvrir d'un ruban de papier "50% de la production""une conséquence de notre maquette jaune parfois jugée un peu austère", avance avec des mots choisis Jean-Marc Levent, directeur commercial de la maison."Le but, c'est que le lecteur retourne l'ouvrage pour lire la quatrième de couverture."

Mais difficile de savoir si un bandeau, facturé quelques centimes chez l'imprimeur et quelques dizaines de centimes au lecteur, a l'effet recherché par les éditeurs.

Une étude menée en 2019 par le site Babelio (Nouvelle fenêtre) auprès de sa communauté de lecteurs établit toutefois qu'un bandeau "attire l'attention" de 51% des sondés, mais que 34% jugent ce procédé racoleur, quand 85% sont surtout attachés au fait de pouvoir l'enlever. Il n'empêche. La seule fois où un Goncourt n'a pas été encapuchonné, il n'a pas connu le succès escompté. Julien Gracq et son Rivage des Syrtes n'ont séduit que 110 000 lecteurs en 1951.