Longtemps privé d'un cadre légal, l'usage des
techniques de renseignements obéit désormais en France à des règles bien établies. Quel
est ce cadre légal pour l'usage des techniques de renseignement ? Comment
et par qui est-il contrôlé ? Sommaire
Le cadre légal adopté en 2015 est fondé sur trois grands piliers :
Premier pilier : on ne peut utiliser les
techniques de renseignement que si sont en cause les
"intérêts fondamentaux de la nation". La loi définit de
manière exhaustive ces intérêts.
De manière synthétique, il s'agit de se protéger contre les ingérences
étrangères, de défendre et promouvoir les intérêts de l'économie et de la
recherche françaises, de prévenir les actes terroristes et les
"violences collectives" (sont visés les extrémistes usant de la
violence), enfin de prévenir la délinquance et la criminalité organisées.
L'usage du terme "prévenir" est important. La surveillance
administrative ne doit pas être confondue avec les enquêtes de police
menées sous la direction de l'autorité judiciaire. Les techniques
utilisées peuvent être identiques, les services en charge également. Mais
le renseignement est une activité de police administrative qui ne peut
avoir qu'un caractère préventif et qui doit céder la place à l'autorité
judiciaire, agissant selon les règles du code de procédure pénale, dès
qu'une infraction pénale est constatée.
Deuxième pilier : la loi fixe également, de
manière exhaustive, la liste des techniques légalement utilisables –
accès aux données de connexion, interceptions téléphoniques,
géolocalisation en temps réel, sonorisation de locaux ou de véhicules,
captation d'images, recueil de données informatiques, recours à un
algorithme… Certaines sont évidemment plus intrusives que d'autres. Les
services de renseignement doivent choisir celle(s) qu'ils vont utiliser de
manière à assurer un bon équilibre entre l'enjeu de la surveillance et la
gravité de l'atteinte portée à la vie privée. C'est le principe de
proportionnalité, principe de base pour la régulation du renseignement.
Encore faut-il que son respect soit efficacement contrôlé.
Troisième pilier : la loi soumet donc le
recours aux techniques de renseignement à un double contrôle.
L'un a un caractère hiérarchique. Tout usage de l'une des techniques
prévues par la loi est subordonné à une autorisation du Premier ministre.
En outre, à partir d'un certain degré d'intrusivité,
le service doit préalablement s'assurer de l'accord du ministre sous
l'autorité duquel il est placé.
L'objet de cette procédure est évidemment de prévenir les dérapages
inopportuns. Elle conduit en même temps à ce que le chef du gouvernement
lui-même assume la responsabilité politique de l'atteinte à la vie privée.
Cette prise de responsabilité est d'autant plus marquée que la décision du
Premier ministre est précédée de l'avis d'une autorité indépendante :
s'écarter de cet avis risque d'avoir un coût politique. Chaque demande soumise au Premier ministre doit en effet être
accompagnée de l'avis rendu par la Commission nationale de contrôle des techniques
de renseignement (CNCTR). Jusqu'en 2021, le Premier ministre était
juridiquement libre de ne pas suivre cet avis. En pratique, il n'est
jamais passé outre un avis défavorable : la procédure conjuguant un avis
indépendant et une prise de responsabilité politique au plus haut niveau a
montré son efficacité. Depuis la modification de la loi intervenue en
2021, un volet juridictionnel est venu s'ajouter à la procédure sous la
pression de la jurisprudence européenne : si le Premier ministre
passait outre un avis défavorable de la commission, c'est au Conseil
d'État, la plus haute juridiction administrative, qu'il reviendrait
désormais d'arbitrer.