DEFENSE- FORMATION CONTINUE- LE RENSEIGNEMENT/CONTRÔLE DES TECHNIQUES/
FRANCE (I/II)
Le renseignement saisi par la loi
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https://www.vie-publique.fr/ La Documebntation
française/ Serge
Lasvignes -
Président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
(CNCTR)/8 octobre 2024
Longtemps
privé d'un cadre légal, l'usage des techniques de renseignements obéit désormais en France à des règles
bien établies. Quel est ce cadre légal pour l'usage des techniques de
renseignement ? Comment et par qui est-il contrôlé ?
Sommaire
- La constitution très progressive d'un
cadre légal
- Le contrôle exercé par la commission
sur les demandes de surveillance
- Renseignement et démocratie ne sont
pas incompatibles
Lorsque l'on évoque les services de renseignement, on pense spontanément au
Bureau des légendes, à OSS 117…, autrement dit, à l'activité d'espionnage
ou de contre-espionnage. En réalité, ces services exercent bien d'autres
missions qui les conduisent à mener des enquêtes que l'on pourrait confondre
avec celles conduites par la police judiciaire. C'est le cas en particulier de
la prévention du terrorisme, ou de ce que l'on appelle la délinquance organisée
(par exemple le trafic de drogues), ou encore de la surveillance de certains
extrémistes politiques adeptes de la violence. L'activité du renseignement se
distingue toutefois de l'enquête judiciaire par trois différences essentielles
:
- en premier lieu, c'est une
activité de "police administrative". Elle n'est donc
pas placée sous la direction de l'autorité judiciaire, c'est-à-dire d'un
magistrat. Elle est au service du pouvoir exécutif ;
- en deuxième lieu, elle ne peut
avoir qu'un caractère préventif. En vertu d'un principe constitutionnel,
si le renseignement conduit à la découverte de faits constitutifs d'un
crime ou d'un délit et a fortiori si l'auteur de
l'infraction est identifié, le renseignement administratif doit
s'interrompre et laisser la place à l'autorité judiciaire ;
- enfin, le produit du renseignement,
ce qu'il révèle, est couvert par le secret de la défense
nationale. Il n'est donc accessible qu'aux personnes habilitées à
connaître ce secret.
Ces caractères spécifiques expliquent que le renseignement s'est longtemps
exercé sans autre régulation qu'un contrôle interne au service. La définition
d'un vrai cadre légal fut laborieuse.
La constitution très progressive d'un
cadre légal
On peut sommairement distinguer trois étapes dans la mise en place d'une
régulation externe du renseignement.
La première fut la création, en mars 1960, d'un service rattaché au Premier
ministre, le Groupement interministériel de contrôle (GIC), chargé de
centraliser les demandes et la mise en œuvre des écoutes téléphoniques. Il
s'agissait pour le Gouvernement de "se
protéger lui-même", c'est-à-dire de s'assurer de la maîtrise des écoutes
en évitant que les services de renseignement puissent passer directement
commande aux opérateurs de téléphone de leurs projets d'écoutes.
La deuxième étape, c'est la naissance, en 1991, de la première institution
indépendante chargée du contrôle des écoutes. La création de la Commission
nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), à l'initiative de
Michel Rocard, répondait à des décisions de la Cour européenne des
droits de l'homme, qui avait jugé que, faute d'un contrôle indépendant
exercé sur l'usage des techniques de renseignement, la France
n'assurait pas la protection de la vie privée garantie par la convention
européenne.
Cette commission, comme son nom l'indique, n'était explicitement chargée
que du seul contrôle des "interceptions", c'est-à-dire des écoutes
téléphoniques. Pendant ce temps, se développait un ensemble d'autres
techniques, plus intrusives et plus modernes : sonorisation de lieux privés
(micros), installations vidéo, copie de données informatiques… Puis ce fut la
mise en place, dans le secret, par la Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE), d'un dispositif de captation des données passant par les
systèmes de communications internationales, câbles ou satellites, le fruit de
cette "pêche au chalut" pouvant ensuite être mutualisé entre les
divers services de renseignement.
La commission, consciente de l'écart entre la modeste base légale dont elle
disposait et la réalité des progrès du renseignement, essaya de le combler en
élaborant une "doctrine". Cet effort pour encadrer ce que la loi
ignorait fut finalement jugé insatisfaisant, et, en guise de troisième étape,
le gouvernement de Jean-Marc Ayrault s'engagea dans la préparation
d'une refonte d'ensemble du dispositif législatif. C'est dans ce contexte que
fut adoptée la loi du 24 juillet 2015.
Les dispositions de cette loi relative au renseignement ont été codifiées
au livre VIII du code de la sécurité
intérieure. Elles constituent un solide cadre légal, qui n'a été modifié qu'à la
marge depuis 2015.
Ce que la loi ne saisit pas
Pour bien comprendre l'économie de la loi, il est bon peut-être de
commencer par préciser ce qu'elle n'entend pas encadrer.
D'abord, pour l'essentiel, la loi de 2015 entend régir, non
l'ensemble de l'activité de renseignement, mais le seul usage, à des fins de
renseignement, de certaines techniques. Ainsi, si la géolocalisation
d'une personne grâce à ses données de connexion téléphonique ou celle d'un
véhicule à l'aide d'une balise relève du champ de la loi, la "filature"
physique en est exclue, de même que le recours à des "sources"
humaines. S'agissant de l'évaluation d'ensemble de la politique du
renseignement, elle relève quant à elle de la délégation parlementaire au
renseignement, commune aux deux assemblées. Mais celle-ci ne peut connaître des
opérations en cours non plus que des méthodes opérationnelles.
Ensuite, à la différence d'autres pays, comme l'Allemagne, le législateur
français a choisi de limiter le champ d'application géographique de la loi. La
surveillance de la personne entre dans le cadre légal si elle est mise en œuvre
"sur le territoire national". Les opérations menées en territoire
étranger, notamment par la DGSE, n'entrent donc pas dans le champ du contrôle.
Toutefois, la loi distingue le cas particulier des communications émises ou
reçues de l'étranger, mais interceptées depuis la France. C'est le dispositif
de captation des communications internationales évoqué plus haut. Il est soumis
à un régime de contrôle plus souple, les autorisations d'exploitation pouvant
porter aussi bien sur des organisations, des groupes de personnes que des zones
géographiques. L'exploitation de ces données pour la surveillance de personnes
utilisant un téléphone avec un identifiant national est en principe interdite.
Mais il existe des dérogations, notamment en cas de menace terroriste.