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Interview Kamel Daoud par Jeune Afrique- Roman "Houris" (II/II)

Date de création: 15-10-2024 20:00
Dernière mise à jour: 15-10-2024 20:00
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VIE POLITIQUE - BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-INTERVIEW KAMEL DAOUD PAR JEUNE AFRIQUE- ROMAN « HOURIS » (II/II)

© Farid Alilat/Jeune Afrique, 12 octobre 2024

Kamel Daoud : « Nous avons mal soldé la décennie noire »

En lice pour le prix Goncourt 2024, le journaliste et écrivain algérien naturalisé français revient avec « Houris » sur le silence qui entoure les années noires. Gallimard, son éditeur, se voit ainsi interdit de participer au Salon du livre d’Alger.

Et au-delà ?: Pour moi, certains Algériens considèrent cette période comme une guerre honteuse. Une guerre où nous nous sommes entretués. Mieux vaut l’oublier. Dans l’autre guerre, l’ennemi était un étranger. Nous pouvions dire que nous étions tous des héros. Dans cette guerre civile, l’ennemi est en nous. Il n’y a pas de héros. Paradoxalement, c’est après cette guerre civile qu’il y a eu une surenchère mémorielle sur la guerre d’indépendance. Pour faire oublier l’une, rien de mieux que de parler de l’autre.

N’y a-t-il pas dans cette guerre civile, comme dans Houris, une double violence ? Celle produite au moment des faits et celle de côtoyer les bourreaux, libres et arrogants ?: Dans certaines administrations, victimes et bourreaux vivent et travaillent côte à côte. Il y a des femmes qui rencontrent ou croisent leurs violeurs. Je reçois de nombreux témoignages depuis la sortie du livre. Quelqu’un m’a dit que l’on a interdit à son cousin militaire de regarder d’une manière méchante le terroriste qui a assassiné ses camarades. Dans les années 1990, les terroristes étaient des barbares sanguinaires, des hordes sauvages. Avec la réconciliation, ils sont devenus des égarés, des repentis, puis des gens respectables dont il ne faut pas parler sous peine de poursuites.

Les peuples et les individus se construisent et se reconstruisent sur un sentiment de justice. Comment voudrions-nous transmettre des valeurs à nos enfants dans un pays où un voleur de téléphone risque trois ans de prison et un terroriste qui a égorgé des femmes et des enfants se promène au soleil ?

Votre livre ne sera pas édité en Algérie. Pourquoi ?: L’éditeur qui a été contacté a refusé de le publier. Il risque de tomber sous le coup de cette loi de 2005, que je mets en exergue dans le livre. Elle existe depuis vingt ans, mais on peut la ressortir à tout moment. C’est une épée de Damoclès. En 2014, pour les besoins de la réélection de Bouteflika à un quatrième mandat, la télévision d’État a diffusé des images insoutenables des massacres pour terroriser les électeurs. Le pouvoir avait enfreint ses propres lois pour faire réélire un président fantôme. Le message était : vous avez le choix entre Bouteflika et un retour à la décennie noire. On a placé cette décennie sous une chape de plomb, mais on l’instrumentalise à des fins politiciennes au besoin.

Vous vivez en France depuis an. Pourquoi avez-vous quitté l’Algérie ?: Je n’aime pas faire étalage des raisons de mon départ. J’avais envie d’une nouvelle vie. En Algérie, je tournais en rond. L’écriture de chaque phrase me pesait. J’avais besoin d’oxygène. En France, je jouis de toutes les libertés d’écrire des romans et des essais sans devoir me battre contre mille et un procureurs. Ce qui m’a tué, en Algérie, c’est la misère intellectuelle. Un écrivain y passe plus de temps à se justifier qu’à faire son métier.

Quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui alors que le président Tebboune entame un second mandat?: L’Algérie me fait mal, comme à beaucoup d’Algériens. Tu as mal quand tu y habites, tu as mal quand tu la quittes. Les gens ne comprennent pas mon patriotisme. Ils veulent que je sois nationaliste, je ne le suis pas. Je suis patriote, mais pas nationaliste. Cet hypernationalisme, cette vanité, ce narcissisme, je ne les ai pas. Souvent, on définit l’algérianité comme si elle devait être antifrançaise : on est Algérien parce qu’on est antifrançais. J’adore l’Algérie et j’adore la France. La tragédie de l’Algérie aujourd’hui, je la vois plus à l’école qu’au siège de la présidence. Les Islamistes contrôlent l’école. C’est là le drame de ce pays. Il y a deux images qui m’ont traumatisé. Celle de l’assassinat du président Boudiaf, en juin 1992 et celle d’Abdelkader Bengrina faisant du toboggan dans un jardin public pour faire campagne pour la réélection du président Tebboune.

Houris, de Kamel Daoud, éd. Gallimard, 416 pages, 23 euros