ENVIRONNEMENT- FAUNE- RAPPORT
WWF 2024/POPULATIONS D’ANIMAUX SAUVAGES MONDE
L'ONG appelle à s'attaquer "simultanément aux
facteurs du changement climatique et de perte de la nature en transformant de
manière coordonnée nos systèmes énergétique, alimentaire et financier".
"Nous n'exagérons pas quand nous affirmons que ce
qui se passera dans les cinq prochaines années déterminera l'avenir de la vie
sur Terre." Dans la dernière édition de son rapport
Planète vivante(Nouvelle fenêtre) (en
.pdf), publiée jeudi 10 octobre, le World Wildlife Fund (WWF) dresse le
constat d'"une planète en péril". La taille moyenne des
populations d'animaux sauvages suivies – poissons, oiseaux, mammifères,
amphibiens et reptiles – a diminué de 73% depuis les années 1970,
alerte la publication biennale de l'ONG,
incriminant "l'incessante pression" d'une "double
crise" : le changement climatique et l'effondrement des
écosystèmes. L'homme (et ses besoins pour, entre autres, se nourrir et se
chauffer) est à l'origine de ces menaces existentielles siamoises. Mais il
détient aussi le pouvoir de changer en cercle vertueux les logiques
destructrices qui ont conduit les systèmes de régulation naturelle de notre
planète aux limites de l'effondrement, insiste l'ONG au célèbre logo représentant
un panda. Alors que les dirigeants du monde entier ont rendez-vous en Colombie
fin octobre, pour la 16e Conférence des parties à la Convention sur la
diversité biologique, la COP16, le WWF appelle "à changer de
trajectoire" : "Bien que le temps soit
compté, nous n'avons pas encore atteint le point de non-retour."
Un rythme inégal mais une tendance mondiale : Les
tortues luth du détroit du fleuve Maroni, la rainette des eaux de la Loire, les
éléphants qui peuplent les forêts du Gabon... Avec son indice planète vivante
(IPV), le WWF suit au fil du temps près 35 000 populations animales,
appartenant à 5 495 espèces à travers le monde. Tous les deux ans,
l'ONG compare le nombre d'individus avec son chiffre de référence et en tire
des "tendances révélatrices de l'état de fonctionnement des
écosystèmes", explique le rapport. Or, au regard des chiffres les
plus récents, qui datent de 2020, "la tendance se
confirme", regrette Yann Laurans,
directeur des programmes de la branche française de l'ONG. "Nous
continuons la surpêche, la déforestation ne s'arrête pas, les subventions
dommageables [à la nature] sont toujours là…",
liste-t-il, décrivant des "situations hétérogènes" d'une
région et d'une espèce à l'autre.L'indice
Planète vivante affiche une baisse de 73% depuis sa création, en 1970. C'est en
Amérique latine et dans les Caraïbes que les populations suivies connaissent
l'effondrement le plus radical (-95%). Chassé, pris dans des filets et exposé
aux aléas climatiques, le dauphin rose de l'Amazone, au Brésil, a par exemple
décliné de 65% entre 1994 et 2016, détaille le rapport. Tandis que l'Afrique
affiche un IPV de -76% en 50 ans, et l'Asie et le Pacifique de -60%,
l'Europe et l'Asie centrale, ainsi que l'Amérique du Nord (respectivement -35%
et -39%), affichent quant à elles une meilleure santé en trompe-l'œil.
Dans l'hémisphère Nord, l'effondrement de la
biodiversité avait déjà commencé quand l'IPV a été mis en place, en 1970.
L'effondrement est plus récent dans l'hémisphère Sud. En dépit
de ce biais méthodologique qui avantage le Nord, le saumon Chinook, qui croise
dans les eaux du fleuve Sacramento, en Californie, a par exemple vu sa
population décliner de 88%, entravée par des barrages et malmenée par des
sécheresses et des canicules, alerte le WWF.Victime
de la modification des habitats, de la surexploitation, de la pollution et du
changement climatique, les poissons d'eau douce (avec les reptiles et les
amphibiens) sont le groupe d'espèces le plus malmené en Europe. Les populations
d'espèces d'eau douce sont d'ailleurs celles qui affichent le plus fort déclin
à l'échelle mondiale (-85 %), suivies des populations d'espèces terrestres
(69%) et marines (56 %).
Des écosystèmes au bord du "point
de bascule" :Dans son rapport, le WWF met
particulièrement en garde contre les "points de
bascule". Ces derniers se produisent quand, atteignant un certain
seuil de dégradation d'un écosystème, "le changement
s'auto-alimente, provoquant alors un bouleversement considérable, souvent
brutal et potentiellement irréversible." Un risque qu'illustre la
situation de la Grande Barrière de corail d'Australie, menacée par le
réchauffement de la température de l'océan.Sa
population de tortues imbriquées, une espèce cruciale dévoreuse d'éponges, aide
à l'entretien de cette structure unique au monde. Or, elle pourrait s'éteindre
dès 2036, alerte l'ONG, qui rappelle les services précieux rendus par les
coraux : à travers le monde, "environ 330 millions de
personnes dépendent directement des récifs pour se protéger contre les
tempêtes, pour leur approvisionnement en nourriture et autres moyens de
subsistance et bénéfices", pointe le WWF.De
même, si la forêt amazonienne atteignait son point de bascule, "les
impacts ne seraient pas uniquement dévastateurs pour les communautés locales,
mais aussi pour le climat et l'approvisionnement alimentaire du monde entier,
affectant les sociétés et les économies aux quatre coins du globe",
prévient l'ONG.Des points de bascule existent aussi à
l'échelle locale. Au Gabon, le déclin des éléphants de forêt d'Afrique, lié
notamment au braconnage, s'est accentué, passant de 78 à 81% entre 2004 et
2014. Si "les scientifiques considèrent qu'une perte de cette
ampleur est extrêmement préoccupante pour l'avenir de l'espèce",
Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France, rappelle que nous
bénéficions tous de la contribution de ces "espèces parapluies".Des
éléphants des forêts, espèce qui pourrait disparaître localement des forêts du
Gabon d'ici à 2036, selon des scientifiques cités dans le rapport Planète vivante
du WWF. (JANOS ADOBE STOCK / WWF).En se nourrissant d'arbres à faible densité de bois,
cet éléphant permet aux arbres plus grands et plus à même de stocker du carbone
de se développer, jouant "un rôle d'architecte et de paysagiste
des forêts", pleinement investi dans la lutte contre le
réchauffement de la planète.
"Transformer en profondeur notre
modèle" : Face à ce constat, Véronique Andrieux, citée dans le
rapport, appelle à "agir massivement et immédiatement pour
protéger ce qui peut encore l'être et restaurer ce qui a déjà été
abîmé." Restauration des zones humides, réintroduction d'espèces,
création d'aires protégées gérées par les populations autochtones... Les
solutions existent. En Europe, le bison et le pélican frisé en ont bénéficié,
note le rapport. En République démocratique du Congo, une population de
gorilles suivie par l'ONG a vu son nombre augmenter de 3% par an entre 2010 et
2016 grâce aux efforts des locaux.Mais
les aires protégées rencontrent des succès variables, et ne couvrent actuellement
que 16 % des terres de la planète et 8 % de ses océans, contre un objectif fixé
à 30% des écosystèmes terrestres et marins d'ici à 2030, en vertu du Cadre
mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (CMB) adopté en 2022. Aussi, le
combat contre les émissions de gaz à effet de serre ne peut se faire au
détriment de la protection de la biodiversité, insiste le rapport, qui met le
monde au défi de "nous attaquer simultanément aux facteurs du
changement climatique et de perte de la nature en transformant de manière
coordonnée nos systèmes énergétiques, alimentaire et financier." La
protection de la biodiversité et des écosystèmes peut contribuer à atténuer le
changement climatique en préservant les puits de carbone, tels que les forêts
et les zones humides. "De même, les efforts visant à atténuer le
changement climatique, tels que la réduction de la déforestation et la
promotion du reboisement, peuvent également contribuer à la conservation de la
biodiversité et à la résilience des écosystèmes", poursuit
l'ONG.
L'ONG s'inquiète des choix budgétaires
en France : Rappelant enfin que la dégradation des habitats liée à
l'agriculture constitue la principale menace sur les écosystèmes, le rapport
rappelle que "malgré une production record, quelque 735 millions
de personnes se couchent chaque soir le ventre vide".
"Paradoxalement, notre système alimentaire compromet notre capacité
actuelle et future à nourrir les humains. C'est un non-sens absolu",
fustige-t-il, plaidant pour des pratiques agricoles et alimentaires plus
respectueuses de l'environnement (agroforesterie, limitation des
intrants, régimes moins carnés, etc.). Des
évidences pour l'ONG, dont la responsable en France s'alerte : "Alors
qu'il est plus qu'urgent de transformer en profondeur notre modèle de
production et de consommation, on assiste, incrédules, au détricotage des
avancées obtenues en Europe et en France", déplore Véronique
Andrieux. "A l'heure où le budget devrait refléter des choix
courageux, malgré les propositions chiffrées du WWF pour stopper les
subventions dommageables à la nature et encourager des alternatives viables,
l'État persiste à mal dépenser et à mal prélever", dénonce-t-elle. "Comme
si, face à un incendie, on choisissait de jeter de l'huile plutôt que de
l'eau."