RELATIONS INTERNATIONALES- FRANCE- VISITE
PRESIDENT TEBBOUNE EN FRANCE/ ENTRETIEN AVEC PRESSE NATIONALE, 5 OCTOBRE 2024
(EXTRAIT)/ »CANOSSA »
La
visite du président Abdelmadjid Tebboune en France, annoncée pour cet automne,
ne figure plus dans l’agenda du chef de l’Etat compte tenu de l’état des
relations actuelles avec Paris.“Je
n’irai pas à Canossa”, a répondu Abdelmadjid Tebboune à une question sur le
projet d’une visite d’Etat en France, reportée à deux reprises en 2023, et
annoncée par l’Elysée pour cet automne.
«Aller à Canossa » signifie
que l’on se soumet aux injonctions de l’adversaire, s’humilier. Au XIXe siècle,
le chancelier allemand Otto von Bismarck, en conflit avec l’Église, avait lancé
: « Nous n’irons pas à Canossa ! ».
Cette expression est plus ancienne. Au XIe siècle, l’empereur germanique Henri
IV (1050- 1106) était allé à la ville italienne de Canossa où était resté trois
jours tête nue dans la neige pour annuler son excommunication par le pape
Grégoire VII. Depuis, se rendre à Canossa est assimilé, y compris dans la
culture anglo-saxonne, à la soumission.
Fin juillet, l’Algérie a retiré son ambassadeur à Paris après la décision de de
la France d’appuyer le plan d’autonomie marocain au Sahara Occidental.
“La visite est une chose et le fait d’avoir retiré l’ambassadeur de Paris est
une autre. La France, qui est membre du Conseil de sécurité de l’ONU, annonce
publiquement qu’elle soutient le plan d’autonomie alors que le dossier du
Sahara Occidental est déposé au niveau de la commission de décolonisation de
l’ONU. Que signifie ce deux poids, deux mesures ?”,
s’est interrogé le chef de l’Etat.
La France
doit, selon lui, défendre le Conseil de sécurité plus que d’autres pays, compte
tenu de son statut de membre permanent. “On sait que la France aide le Makhzen
à s’emparer des territoires sahraouis. Le plan d’autonomie est une idée
française, pas marocaine. Je ne cite pas le président qui l’avait proposé. Quand
on est membre permanent du Conseil de sécurité, on est là pour œuvrer pour la
paix, pas pour la violer. Un ministre (français)
a même proposé d’investir au Sahara Occidental. Il faut respecter les instances
onusiennes. La Minurso créée par l’ONU a pour mission
de protéger les Sahraouis de l’arbitraire. Il y a un envoyé spécial de l’ONU au
Sahara Occidental. Et vous venez écarter tout cela d’un seul geste ! “, a
déclaré Tebboune.
“C’est
une question de logique. On ne peut pas faire la chose et son contraire.
L’Union européenne a pris la décision de s’aligner sur la position du Conseil
de sécurité sur le Sahara Occidental”, a-t-il ajouté en réponse à une question
sur l’audience accordée, le 11 septembre 2024, au Palais d’El Mouradia, à Alger, à Anne-Claire Legendre, envoyée spéciale
et conseillère Afrique du Nord et Moyen-Orient du président français Emmanuel
Macron.
Tebboune n’a pas indiqué si l’ambassadeur algérien allait revenir à Paris.
“L’avenir nous le dira”, a-t-il répondu.
Le
chef de l’Etat est revenu sur les appels lancés par l’extrême droite française
pour dénoncer l’Accord franco-algérien de décembre 1968 relatif à la
circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs
familles en France.
“L’Accord de 1968 est un épouvantail pour nous faire peur. Cet Accord est en
lien avec les Accords d’Evian qui portaient sur la libre circulation des
algériens et des européens. Les européens sont partis. La France a estimé que cette
disposition n’était plus valable. L’Accord a été révisé en 1985, en 1995 et en
2001. Il n’a plus de contenu”, a-t-il estimé.
Les
appels à la suppression de l’Accord de 1968 relèvent, selon le chef de l’Etat,
d’un slogan politique “pour réunir les extrêmes”. “C’est l’étendard derrière
lequel marche l’armée des extrémistes, la revanche. Ils se trompent. Nous
n’entrons pas dans ce labyrinthe”, a-t-il dit. Il a précisé que les Etats
peuvent s’entendre sur la révision d’accords “Si c’était sérieux”.
“Ils sont en train de raconter des histoires au peuple
français. Les Accords de 1968 n’influent en rien ni sur la qualité de
l’immigration ni sur la sécurité de la France. Je suis affirmatif. 65 % des
français n’ont rien à voir avec cela. C’est une minorité haineuse qui veut
salir l’Algérie. Ils n’y arriveront pas. Il existe d’autres accords qui peuvent
être actionnés. Les Accords de 1968, c’est une coquille vide. Il n’y a rien.
Cette minorité raciste oublie que 60 % de la communauté algérienne en France porte
la double nationalité”, a expliqué le chef de l’Etat.
Sur le
travail de mémoire, il est revenu sur le travail de la commission regroupant
des historiens algériens et français. “Nous sommes à l’origine de la création
de cette commission pour dépolitiser l’Histoire. L’Histoire doit se reposer sur
des faits et non pas sur des affirmations politiques. Au début, cette
commission a joué son rôle, mais son travail a été impacté par les déclarations
politiques d’une minorité française hostile à l’Algérie”, a-t-il souligné.
“Nous
avons dit que nous avons subi une colonisation de peuplement. L’Algérie a été
choisie pour le grand remplacement, le vrai. Il s’agit de chasser la population
locale et la remplacer par une population européenne, combattre l’islam pour christianniser l’Algérie et en faire une terre européenne
avec des massacres commis par l’armée génocidaire du roi Charles X. On ne va
pas effacer tout cela. L’Histoire en est témoin. Nous pouvons traiter en tant
qu’amis, d’égale à égale, mais je n’accepte pas les légendes et les mensonges
colportés sur l’Algérie. Ils avaient prétendu avoir trouvé une terre déserte en
Algérie et qu’ils y avaient asséché les marécages. L’Algérie était un État qui
dominait une grande partie de la Méditerranéen. La résistance algérienne à la
campagne militaire coloniale a duré 70 ans avec des millions de victimes.
Certains villages et tribus ont été rasés. Il y a eu un génocide. Nous exigeons
la vérité historique”, a soutenu le chef de l’Etat.Et
de poursuivre : “je me suis entendu avec le président Macron pour ouvrir une
nouvelle page, une refondation des relations algéro-françaises,
ne pas laisser une minorité dominer l’Histoire qui a de la haine envers l’Algérie.
Il ne faut pas falsifier l’Histoire. Nous n’étions pas un protectorat. Nous
devons coexister pacifiquement. Il y a une forte communauté algérienne là-bas
(en France). J’essaie de préserver le minimum avec vous (نحافظ
على
شعرة معاوية)”.
Il a
indiqué que l’Algérie tournait la page avec la France mais sans la déchirer, en
reprenant une déclaration du Président Houari Boumediène,
sur le passé colonial français en Algérie. “Nous lisons ce qu’il y a dans la
page, vous n’écrivez pas ce que vous voulez”, a-t-il appuyé.
Le
président Abdelmadjid Tebboune a appelé Paris à nettoyer les sites où dix sept essais nucléaires ont été effectués dans le sud
algérien durant les années 1960.
“Nous voulons bien vivre en paix (avec les français) mais pas au détriment de
notre dignité et de notre Histoire. Jamais ! Vous voulez qu’on passe aux choses
sérieuses, et bien, venez nettoyer les endroits où vous avez effectué des
essais nucléaires. Les gens y meurent encore. Vous êtes devenus une puissance
nucléaire et nous avons récolté les maladies. Vous ne voulez pas nettoyer et
vous voulez que nous devenions amis. Venez nettoyer Oued Namous
où vous prépariez vos armes chimiques. Notre bétaille
en souffre encore. C’est cela la vérité, pas le faux débat sur l’Accord de
1968”, a déclaré le chef de l’Etat lors de l’entretien accordé, samedi 5
octobre, aux médias nationaux. Il a précisé que les négociations pour les sites
des tests atomiques français au Sahara durent depuis 62 ans.