CULTURE—BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- RÉCIT JEAN SÉNAC- «UN CRI QUE LE SOLEIL DÉVORE »
*Un
cri que le soleil dévore (Carnets, journaux , notes
et réflexions 1942-1973). Éditions El Kalima/Seuil,
Alger 2024- 807 pages, 4.000 DA (Edition préfacée et
établie par Guy dugas
©
Hammoudi R. (Horizosn, lundi 7 octobre 2024) : De
juillet 1942 au 20 août 1973, le poète se raconte et raconte, dans un journal*.
Ses faits et gestes quotidiens comme la lecture d’un livre, l’écriture de
lettres aux amis sont rapportés, pour certaines années, avec d'infinis détails.
Celui qui signait Yahia El Wahrani et du signe du
soleil pour montrer son attachement à la terre qui le vit naître (ndlr :
il a vu le jour à Béni Saf -Oranie- le 29
novembre 1926 et a été assssassiné à Alger le
30 août 1973....un meurtre non encore élucidé) est surtout connu pour avoir
publié, en avril 1971, la première anthologie de la jeune poésie algérienne, un
genre auquel recourait alors la jeunesse pour s’exprimer. Y figuraient des noms
comme ceux de Youcef Sebti, Laghouati, Skif, Hamid Nacer Khodja qui a soutenu une
thèse de doctorat en 2013 sur l'œuvre de Sénac qui a été rééditée en 2023 par
les éditions El Kalima. Le premier, dans un texte
paru en 1987 dans la revue «Révolution africaine» où
il relate quelques souvenirs et son amour forcené pour l'Algérie qu’il avait
choisie. Mais la lecture de ce journal volumineux fait remonter plus loin le
lecteur. Aux premiers temps de l’adolescence, à la naissance de sa passion pour
la poésie disséminée à travers les pages, à ses premiers pas d'instituteur à
Mascara. Le jeune homme n’avait pas encore établi de passerelle avec des
créateurs algériens. C’est après sa libération de l'armée, en mars 1946, qu'il
va nouer des liens avec des auteurs comme Brua puis
Robles facilitant ainsi ses contacts avec des hommes comme Dib avec qui il a
échangé des lettres dont nous découvrons quelques fragments. C’est à la même époque
qu’il a publié dans la revue «Terrasses», lancée à
Alger, des écrits d’auteurs algériens. Apparaissent également de grands noms
que Sénac a côtoyés à différents moments de sa vie, comme Aragon, Char,
Beauvoir rencontré presque une heure dans un salon de l'Aletti,
Camus, Dib, Mammeri, Boudjedra , Jean Amrouche et le professeur Bencheikh.
Sénac relate aussi un dîner en février 1954 avec Mouloud Feraoun, lors d’un
séjour de deux jours à Larbaâ Nath Iratène (ex-Fort National) où «Le
fils du pauvre» était directeur d'école et enseignant.
C'est surtout pendant la guerre de Libération
nationale que, menant une existence de bohémien à Paris où il fréquente Kateb
Yacine, Lacheraf, Issiakhem,
Hadj Omar que se révélera la volonté d'appartenance de Sénac à sa terre natale
et d'identification au peuple algérien. Contrairement à Camus, avec qui il va rompre,
il milite pour l'indépendance de notre pays. Dès 1951, dans
«Lettre d’un jeune poète algérien», il note que «face au fait raciste et
colonialiste, le poète ne peut rester indifférent, mais doit entrer dans la
lutte quoi que ce choix lui coûte». Il déclame et publie des poésies sur la
guerre en Algérie comme cette ode à Ben M’hidi qu’il
avait connu : «En te chantant, c'est tous les autres
que je chante. Ce peuple qu’on a traîné dans la boue -mais la boue est la mère
nourricière et rouge ton visage a donné son nom à la Révolution.» A la suite des massacres du 17 Octobre, il compose un
poème sous forme d’appel aux Français qu'il exhorte à se révolter car «la
beauté de Paris s’est couverte de crasse». Chantre de
l'Algérie souffrante et résistante, il écrit que les 5 du château d'Aulnoy ont
cru à la lumière et Forcé La Nuit (FLN : ndlr). Établi à Alger en octobre 1962,
Sénac se révélera un acteur culturel de premier plan. Il va notamment animer
sur la Chaîne III des émissions sur la poésie et de nombreuses conférences à
travers le pays qu'il ne se lasse pas de parcourir. Membre fondateur de l'Union
des écrivains algériens en 1963, Sénac, qui y occupera le poste de secrétaire
général, a consigné dans ses notes quotidiennes où alternent emploi du temps et
réflexions de précieux témoignages sur la vie culturelle dans la décennie qui a
suivi l’indépendance et tout au long des années qui l'ont précédée. L'homme
courait partout notamment à Alger où il vivait à Raïs Hamidou jusqu’en 1968.
Entre deux récitals, il assiste à des conférences, au tournage et à la
projection de films comme l'adaptation en 1966 de «L’étranger»
de Camus par Visconti, aux expositions, aux représentations théâtrales. Le journal
ressuscite un homme qui a été une figure de la culture algérienne, un terrain
où il s’est fortement impliqué jusqu’au point de vouloir apprendre la langue
dont la non maîtrise était pour lui une mutilation.