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Pratique du journalisme/ Usage des données pratique (II/II)

Date de création: 20-09-2024 19:07
Dernière mise à jour: 20-09-2024 19:07
Lu: 38 fois


COMMUNICATION-FORMATION CONTINUE- PRATIQUE JOURNALISME/USAGE DES DONNEES PRATIQUE (II/II)

 

© https://theconversation.com/Published: September 19, 2024

Des « empreintes polysémiques »

La théoricienne Aurélie Ledoux a tenté de montrer que, dans le cas de Boutcha, cette opposition entre média traditionnel et propagande découlait d’une logique contre-discursive des enquêtes en sources ouvertes. C’est-à-dire d’une certaine mise en avant de l’OSINT comme contre-discours défaisant les discours officiels et qui peut être facilement récupéré par les discours conspirationnistes et la désinformation.

Elle souligne également la manière dont les informations dans les enquêtes OSINT sont des « empreintes polysémiques » susceptibles d’embrasser différentes interprétations. En effet, autant dans le cas du travail du New York Times que dans celui des vidéos prorusses, il est parfois difficile de voir dans les images ce que les auteurs de la vidéo nous signalent. Ainsi, le spectateur se retrouve parfois face à des photographies satellites agrandies où il ne distingue qu’un pixel plus sombre que les autres, mais dans lequel il est sensé distinguer un cadavre ou un véhicule, par exemple.

La réception que nous avons de ces vidéos dépend de la confiance que nous attribuons à tel média ou au contraire d’une forme de défiance envers les discours d’autorité qui fera préférer à certains les versions « alternatives » et les « narrations toxiques », pour employer une expression du théoricien italien Wu Ming.

La grammaire visuelle de la véridiction

L’usage des techniques d’investigation en sources ouvertes a offert aux journalistes la capacité de remettre en cause les récits officiels et de dénicher des récits qu’ils n’auraient pas pu révéler autrement.

Cependant, on peut constater que cette approche a également nourri la désinformation en conférant une fausse impression de certitude à des affirmations basées sur des documents objectifs et souvent non validés. Il nous semble que cette fausse impression de certitude se fonde sur l’utilisation d’une certaine grammaire visuelle prétendant dire le vrai – que nous avons appelée « grammaire visuelle de la véridiction ».

En effet, les retranscriptions vidéo d’enquêtes OSINT mettent souvent en place un flux temporel bien particulier. Partant d’une situation initiale (par exemple une explosion à instant T), elles remontent le temps et reconstituent les événements point par point afin de nous amener à une situation finale (une affirmation quant à la responsabilité de cette explosion).

Chaque étape s’élabore, comme pour une démonstration scientifique, par saut logique d’une preuve à l’autre, le spectateur suivant le cours du raisonnement scientifique, sans forcément percevoir qu’il s’agit d’une coupe sur la réalité des événements survenus à cet instant et à cet endroit. Cette reconstitution vidéo s’appuie sur un ensemble de formes visuelles constitutives d’une démonstration. Mais il s’agit de formes démonstratives vides permettant un réemploi dans des contextes où la recherche de la vérité n’est pas la préoccupation principale.

Ces formes visuelles se composent d’un répertoire large, mais limité, circulant entre les médias. Nous pouvons relever celles qui sont les plus fréquemment utilisées : les juxtapositions d’images satellites et des vues au sol avec des formes géométriques colorées créant des correspondances entre les deux ; la mise en place de timeline renvoyant à l’esthétique des interfaces des logiciels de montage vidéo ; le recours massif à la modélisation 3D pour restituer des événements dont on dispose ou non d’images ; la présentation de documents comme pour témoigner de l’authenticité des sources mobilisées ; ou encore la constitution de panoramique d’images en assemblant différentes prises de vues.

Une compétition pour le cadrage de la réalité

Cette grammaire visuelle interroge lorsqu’elle est utilisée par le milieu journalistique. Les vidéos OSINT se fondent sur des images qui enregistrent un certain nombre de signes témoignant d’un certain rapport avec le réel. Elles héritent ainsi de toute une tradition considérant que les images sont des preuves, pourtant déconstruite par les travaux universitaires entre autres de Vincent Lavoie ou d’Aurélie Ledoux et Dork Zabunyan.

Comme pour Boutcha, en se focalisant sur un détail des images plutôt qu’un autre, et en les reliant avec différents détails d’autres images ou d’informations, des narrations alternatives sur les événements se mettent en place, se transformant en une mise en scène, en dépit des autres éléments d’analyse.

Une compétition pour le cadrage de la réalité advient, et les enquêteurs OSINT doivent se baser sur l’idée que le monde, les images et les informations qu’ils utilisent peuvent être l’objet de différentes interprétations, mais que la vérité factuelle existe. C’est une ligne de crête sur laquelle ils marchent et qu’ils sont encore en train d’apprivoiser dans le rendu de leurs enquêtes en sources ouvertes.

Ils doivent également en dompter une seconde en ce qui concerne la diffusion des résultats de leur investigation. Il y a en effet un équilibre à maintenir entre l’enchaînement logique et narratif de leurs démonstrations (dont dépend l’attention du spectateur comme l’efficacité du discours) et le dévoilement au public de la « boîte noire » des outils et des choix ayant permis de fabriquer une interprétation des événements aussi rigoureuse que possible.