FINANCES- OPINIONS ET POINTS DE VUE- PIB
ALGERIE EN AFRIQUE/ETUDE ILLYES ZOUARI
© https://www.financialafrik.com/ Ilyes Zouari,
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le
Monde francophone)., 3 septembre 2024
Bien que désavantagée
par une population largement moins nombreuse, l’Algérie devrait réaliser
l’exploit de dépasser le Nigeria en matière de PIB nominal dès cette année,
selon les dernières prévisions du FMI. Toutefois, un éventuel passage à
l’anglais pourrait entraver la poursuite du décollage économique du pays, en le
faisant basculer dans la zone linguistique globalement la moins dynamique
économiquement du continent, et en le coupant de la vaste et voisine Afrique
francophone.
Selon les
dernières prévisions du FMI, l’Algérie devrait afficher un PIB nominal de
266,78 milliards de dollars en 2024, contre 252,74 milliards pour le Nigeria, qui
rétrograderait ainsi à la quatrième position sur le continent. Une grande
performance pour l’Algérie, étant donné que l’avantage démographique du Nigeria
est de nature à augmenter mécaniquement son PIB, qui devrait ainsi être
considérablement supérieur. En effet, et à niveau de développement égal, une
population par exemple deux fois plus nombreuse implique automatiquement une activité
économique deux fois plus importante, se manifestant par un nombre environ deux
fois plus élevé de boulangeries, de cordonniers, ou encore de pompes funèbres…
ce qui double automatiquement le PIB total. Une réalité qui place
systématiquement les pays très peuplés en bonne position dans les classements
internationaux en la matière, même s’ils sont moins développés et moins dynamiques
économiquement que leurs voisins.
Un
dynamisme supérieur, une plus grande attractivité, et de meilleurs indicateurs
socio-économiques.
La
performance de l’Algérie, qui devrait d’ailleurs creuser l’écart avec le
Nigeria au cours des deux prochaines années, selon le FMI, est donc d’autant
plus exceptionnelle que le pays est quatre fois moins peuplé, avec une
population de 47 millions d’habitants début 2024, contre, très probablement,
un maximum de 190 millions pour le Nigeria. En effet, il convient de
souligner que la population réelle du Nigeria n’est certainement pas d’environ
230 millions d’habitants, comme l’indiquent les chiffres officiels, mais bien
en deçà comme le démontrent de nombreuses études réalisées au Nigeria même, et
se basant sur de nombreux indicateurs, comme le nombre de votants aux
élections, de téléphones portables en circulation, de véhicules vendus par
année, ou encore sur des images satellitaires des grandes agglomérations du
pays. L’ancien président du Nigeria, Jonathan Goodluck,
avait d’ailleurs lui-même déclaré au mois d’avril de l’année dernière, soit
huit ans après avoir quitté ses fonctions, que la population réelle du pays
n’était probablement que d’environ 150 millions d’habitants. Un écart
considérable, qui fait du Nigeria le seul et unique pays au monde publiant des
données démographiques officielles aussi éloignées de la réalité, et qui se répète
depuis l’indépendance du pays il y a plus de six décennies (une singularité
ayant pour origine la farouche concurrence politique entre le nord et le sud du
pays, chacune des parties cherchant à gonfler sa population).
Cette
grande performance de l’Algérie ne fait que refléter une économie bien plus
développée qu’au Nigeria, et s’appuyant notamment sur des secteurs industriel
et tertiaire plus denses et dynamiques. De même, et bien que le pays ait encore
un long chemin à parcourir afin de rattraper son retard en matière de
diversification et de compétitivité par rapport à ses de voisins francophones
du Maghreb, le Maroc et la Tunisie, et d’éviter ainsi un tarissement des
réserves de change d’ici à la fin de la décennie (compte tenu de la baisse
attendue du cours des hydrocarbures et des capacités d’exportation du pays),
l’Algérie a récemment – et enfin – mis en place une vaste politique de
diversification dans le but de sortir progressivement de sa dépendance aux
hydrocarbures, qui représentent encore environ 90 % des exportations
nationales, comme d’ailleurs au Nigeria (les deux pays ayant une production
globalement comparable en hydrocarbures, le Nigeria étant le premier producteur
africain de pétrole et le troisième pour le gaz naturel, et l’Algérie le
premier pour le gaz naturel et le quatrième pour le pétrole). Une politique de
diversification qui s’appuie sur des investissements publics et privés
algériens, mais désormais également sur des investissements étrangers, parfois
massifs et notamment à travers la signature récente de nombreux contrats avec
des entités publiques ou privées issue à de puissances émergentes, et souvent
membres des BRICS (dans l’agriculture, l’industrie agroalimentaire, la
production d’engrais, les industries textiles, minières…). Des investisseurs
attirés par la stabilité du pays, et par un environnement globalement de plus
en plus favorable aux affaires.
Cette
attractivité grandissante fait justement défaut au Nigeria, où les nouveaux
investissements étrangers hors hydrocarbures sont désormais négligeables, et
qui a même été déserté par une bonne partie des grandes entreprises étrangères
historiquement présentes dans le pays. Une désaffection qui s’explique par un
climat globalement assez défavorable aux investisseurs, aussi bien étrangers
que nationaux, et résultant d’un très haut niveau de corruption et
d’insécurité. En effet, le pays se place à la 145e place mondiale dans le
dernier Indice de perception de la corruption, publié par l’ONG Transparency international en mars dernier (assez loin derrière
l’Algérie, qui occupe la 104e place, soit presque dans la « moyenne
mondiale »), et enregistre chaque année un nombre très élevé d’agressions
diverses (vols, kidnappings, homicides, attentats terroristes au nord-est…).
La
gouvernance globalement meilleure en Algérie, et contrastant avec la situation
prévalant depuis de nombreuses années au Nigeria, se traduit notamment par de
bien meilleurs indicateurs socio-économiques, comme au niveau de l’inflation,
de l’électrification ou encore de l’espérance de vie. En effet, le taux
d’inflation annuel sur la décennie de 2014-2023 s’est établi à seulement 5,4 %
en Algérie, alors qu’il atteint non moins de 14,6 % au Nigeria (et même 24,7 %
en 2023). Un niveau très élevé qui s’explique partiellement par l’effondrement
constant de la monnaie nigériane, dont l’évolution ne fait en réalité que
refléter la santé économique réelle du pays, et dont la valeur a été divisée
par non moins de 2 417 par rapport au dollar américain depuis sa création en
janvier 1973. Sur la même période, la valeur du dinar algérien a été divisée
par 34 (soit une dépréciation assez importante, mais tout de même 71 fois moins
forte que pour le naira…).
Quant au
taux d’électrification, celui-ci a atteint 100 % de la population de l’Algérie
en 2022, selon les dernières données de la Banque mondiale, contre seulement
60,5 % au Nigeria. Par ailleurs, ce dernier affiche le troisième plus faible
niveau au monde d’espérance de vie, estimée à 53,6 années en 2022, contre 77,1
pour l’Algérie (soit un niveau comparable à celui de plusieurs pays développés
membres de l’Union européenne). De même, le Nigeria affiche le troisième plus
haut taux de mortalité infantile au monde, avec 68,5 décès pour 1000 naissances
vivantes en 2022, contre 18,7 en Algérie (niveau toutefois presque deux fois
plus élevé qu’en Tunisie).
Un
décollage économique menacé par un éventuel passage à l’anglais
Au moment
où l’Algérie commence enfin à décoller économiquement, et donc à rattraper son
retard par rapport à ses voisins francophones du Maghreb, certaines voix
s’élèvent pour demander un remplacement du français par l’anglais, en tant que
première langue étrangère du pays. Or, un éventuel passage à l’anglais pourrait
freiner le développement économique du pays et nuire considérablement à ses
intérêts supérieurs, en le faisant basculer dans la zone linguistique
globalement la moins dynamique économiquement du continent, et en le coupant de
la vaste et voisine Afrique francophone.
En effet,
l’Afrique francophone, bien plus étendue que ce qu’indiquent la plupart des
cartes géographiques en circulation (qui divisent par deux ou trois la taille
du continent africain), est globalement la partie économiquement la plus
dynamique du continent, la plus industrialisée, la moins endettée, la moins
touchée par l’inflation, mais aussi la moins frappée par les inégalités
(seulement deux pays francophones parmi les dix pays africains les plus
inégalitaires, selon l’indice Gini, et se classant à partir de la neuvième
place), la corruption, la violence et les conflits (comme on le voit
actuellement au Soudan, où la guerre civile a déjà fait, en une seule année,
plus de victimes que les troubles observés dans toute l’Afrique de l’Ouest
francophone depuis les indépendances, il y a plus de 60 ans, ou encore comme on
l’a vu en Éthiopie, où la guerre civile achevée en novembre 2022 a fait bien
plus de victimes en seulement deux années qu’il n’y en a eu dans toutes les
anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne depuis leur indépendance
également !).
À titre
d’exemple, l’Afrique subsaharienne francophone, vaste ensemble de 22 pays, a
réalisé en 2023 le niveau de croissance économique le plus élevé d’Afrique
subsaharienne pour la dixième année consécutive et la onzième fois en douze ans,
selon les dernières données de la Banque mondiale (qui confirme la tendance
pour cette année 2024), et a enregistré un taux de croissance annuel de 3,9 %
sur la période décennale 2014-2023, contre seulement 2,0 % pour le reste de
l’Afrique subsaharienne (soit un rythme inférieur même à sa croissance
démographique). Quant à l’inflation, celle-ci a globalement été bien plus
faible dans ce vaste ensemble (4,1 % sur la dernière décennie, contre 17,2 %
pour le reste de l’Afrique subsaharienne), tout comme l’endettement qui demeure
davantage maîtrisé (51,3 % du PIB fin 2023, contre 67,1 % selon les dernières
données du FMI, et seulement deux pays francophones parmi les dix pays les plus
endettés du continent). Une différence que l’on observe également en Afrique du
Nord, avec un endettement plus faible dans les pays francophones du Maghreb
qu’en Égypte (où il atteint 95,9 % du PIB fin 2023), et une inflation bien
moins élevée du côté francophone, avec des taux annuels de 2,1 %, 5,4 % et 6,1
%, respectivement, pour le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sur la décennie
2014-2023, contre 14,2 % en Égypte (33,9 % en 2023), où l’inflation se situe
donc globalement à un niveau comparable à celui de Nigeria (14,6 % sur la
décennie).
Ce
dynamisme s’est notamment traduit par le fait que la Côte d’Ivoire a réussi
l’exploit de devenir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest
continentale, malgré une production pétrolière environ 50 fois moins importante
que celle du Nigeria au cours de la dernière décennie, et malgré des
productions pétrolière et aurifère six fois et trois à quatre fois moindres que
celle du Ghana voisin. Un dynamisme supérieur que l’on observe également au
Sénégal et au Cameroun, qui viennent eux-aussi de réussir l’exploit, en 2023,
de dépasser le Nigeria en PIB par habitant, en dépit d’une production
pétrolière 20 fois moindre pour le Cameroun au cours de la décennie 2014-2023,
et tout simplement inexistante au Sénégal (qui n’a intégré le cercle des pays
producteurs d’hydrocarbures que cette année).
De même,
ce dynamisme économique francophone se manifeste à travers le nombre
d’entreprises présentes parmi les 500 plus grandes entreprises du continent,
comme le révèle chaque année le classement publié par le magazine Jeune
Afrique. En effet, et dans son édition de 2023, ce classement indiquait la
présence de non moins de 56 entreprises marocaines parmi les 500 plus
importantes du continent en 2021, contre seulement 46 pour l’Égypte, pourtant
trois fois plus peuplée, et qui devrait donc être considérablement mieux
représentée. De même, la Tunisie, qui, comme le Maroc francophone se place
régulièrement aux premières places continentales en matière d’innovation et de
compétitivité, était représentée par non moins de 21 entreprises, malgré ses 11
millions d’habitants seulement, dépassant ainsi également l’Algérie, quatre
fois plus peuplée et représentée par 12 entreprises. Un classement qui avait
également mis en évidence la montée en puissance de la Côte d’Ivoire, qui avec
ses 27 entreprises faisait pratiquement jeu égal avec le Nigeria (31) malgré
une population bien inférieure, de près de 30 millions d’habitants en 2021
(mais ayant tout de même été multipliée par huit depuis 1960).
Devenu un
investisseur majeur sur le continent africain, où il dispose notamment d’un
réseau bancaire deux fois plus étoffé que la France, le Maroc est d’ailleurs
sans doute déjà passé au premier rang des pays africains les plus
industrialisés, selon les critères de la Banque africaine de développement, en
dépassant l’Afrique du Sud qu’il talonnait déjà de très près dans le dernier
classement publié par cette institution, en novembre 2022 (avec un écart de
seulement 0,9 %). Comme le Nigéria, ce géant minier souffre lui aussi d’un
manque de dynamisme économique, se manifestant notamment par un taux de croissance
annuelle de seulement 0,7 % sur la décennie 2014-2023, et par d’importantes
difficultés en matière d’accès l’électricité, avec un taux de seulement 86,5 %
au niveau national et de très fréquents délestages, dépassant parfois les 10
heures par jour dans les grandes villes du pays (alors qu’ils sont quasiment
inexistants en Afrique du Nord).
Ainsi, un éventuel passage à l’anglais
pourrait gravement nuire aux intérêts économiques de l’Algérie, mais également
à ses intérêts géopolitiques, en réduisant notamment et à terme son influence
historique dans la région du Sahel. Au lieu de guerroyer contre la langue
française, pour différentes raisons plus ou moins avouées, les intérêts
supérieurs de l’Algérie et de son peuple commandent de s’inspirer plutôt de la
sagesse de ses voisins francophones et frères du Maghreb, la Tunisie et le
Maroc, qui n’ont jamais renoncé à leur caractère francophone et ont simplement
choisi d’ajouter et de généraliser l’apprentissage de la langue anglaise en tant
que seconde langue étrangère obligatoire (enseigné chronologiquement en
deuxième position, au primaire en Tunisie et à partir de la première année du
collège au Maroc). Il est d’ailleurs plus qu’intéressant de noter que cela
n’empêche nullement ces deux voisins de se classer régulièrement parmi les cinq
pays arabes les plus performants en langue anglaise (selon le classement
EF-EPI, qui fait référence en la matière), dépassant ainsi chaque année la
quasi-totalité des pays arabes anciennement colonisés par le Royaume-Uni, pays
de Golfe compris ! Ainsi, l’apprentissage du français en premier n’empêche
guère de maîtriser une deuxième langue étrangère, alors que l’expérience
démontre clairement que l’apprentissage de l’anglais en premier est
généralement de nature à empêcher la maîtrise d’une seconde langue étrangère…