Une semaine
après l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, le mouvement de
résistance palestinien lui a désigné un successeur. Et c’est Yahya Sinwar, l’homme le plus recherché par Israël, qui a été
choisi pour succéder au défunt chef du bureau politique du Hamas. Haniyeh a été, pour rappel, assassiné le 31 juillet 2024 à
Téhéran où il assistait à l’investiture du nouveau président iranien.
Yahya
Ibrahim Hassan Sinwar alias Abou Ibrahim aura bientôt
62 ans. Il est né le 29 octobre 1962 à Khan Younès, au sud de la bande de Ghaza. A l’instar de 70% de la population de Ghaza, sa famille fait partie des réfugiés de 1948.
Celle-ci est originaire de la ville d’Al Majdal, dans la Palestine historique, devenue Ashkelon
après l’occupation israélienne. Sinwar porte donc
profondément en lui le traumatisme de la Nakba. Le jeune Yahya fera toute sa
scolarité dans la bande de Ghaza. «Yahya
Al Sinwar a fait ses études dans les écoles du camp
de Khan Younès, puis a complété ses études à l’Université islamique, où il a
obtenu un diplôme en langue arabe», écrit le quotidien londonien Al Sharq Al Awssat. Son activisme
politique se met d’abord en place dans les milieux estudiantins. «Pendant ses années d’université, il a dirigé le ''Bloc
islamique'', la branche étudiante des Frères musulmans», indique l’agence
turque Anadolu. Lorsqu’éclate la première Intifada en décembre 1987 à partir du
camp de Jabaliya à Ghaza,
il s’engage furieusement dans l’insurrection. Fin 1987, le Hamas est
officiellement créé dans le feu de l’Intifada. Yahya Sinwar
participe à la création du mouvement de résistance palestinien. Quelques mois
plus tard, il fonde le «Majd»,
l’appareil de sécurité du Hamas.
Cet
appareil «s’occupe de missions sensibles qui
consistent notamment à traquer des agents et des personnes associés aux
services de sécurité israéliens», note Al Sharq Al Awssat. L’engagement précoce et l’activisme de Sinwar lui vaudront de multiples arrestations et
emprisonnements. «Sinwar a
été arrêté pour la première fois par Israël en 1982, à l'âge de 19 ans, pour
''activités islamiques'', puis à nouveau en 1985. C'est à cette époque qu'il a
gagné la confiance du fondateur du Hamas, le cheikh Ahmed Yassine, en fauteuil roulant», indique un article du site BBC News Afrique. Yahya
Sinwar est de nouveau arrêté, mais cette fois sous de
graves chefs d’inculpation qui lui vaudront plusieurs condamnations à la prison
à vie. «En 1988, Sinwar
aurait planifié l’enlèvement et le meurtre de deux soldats israéliens. Reconnu
coupable par Israël (et inculpé en outre) du meurtre de 12 Palestiniens, il est
condamné à quatre peines de prison à perpétuité»,
précise l’article publié sur le site de la BBC.
En
tout, Sinwar passera 23 ans en prison. Son
incarcération se prolonge jusqu’en 2011. Durant sa longue captivité, «il a
dirigé le Hamas dans les prisons en emportant avec lui son obsession
sécuritaire. Il maîtrisait la langue hébraïque, enseignait la grammaire pure à
ses camarades, menait des grèves et des négociations, remportait des victoires
et en perdait d’autres.
Le
temps semblait difficile à l’intérieur de la prison, alors que la roue du
conflit tournait hors de ses murs. Soulèvements, guerres et mirages de paix.
Plus de deux décennies de captivité n’ont pas affaibli la conviction de l’homme
que sa liberté était proche. Son frère a kidnappé un soldat israélien et le
Hamas l’a échangé contre 1000 prisonniers palestiniens. Yahya était à leur
tête. Il est sorti pour jouer des rôles importants qui ont façonné de nouveaux
aspects du conflit», relate Al Sharq
Al Awssat. Yahya Sinwar
sera libéré en effet à la faveur d’un accord d’échange de prisonniers dans le
cadre de l’affaire du soldat GiladShalit. Ce dernier était détenu par Hamas depuis le 25 juin
2006. L’accord a été signé le 11 octobre 2011 «sous
médiation égyptienne pour échanger le soldat franco-israélien GiladShalit contre un millier de
prisonniers palestiniens», rapportait alors l’AFP.
En 2017, Yahya Sinwar est
élu chef politique du Hamas dans la bande de Ghaza.
En 2021, il est réélu pour un autre mandat. Fort de sa nouvelle stature
politique, «il impulse une stratégie radicale sur le plan militaire et
pragmatique en politique», analyse, dans un entretien
à l’AFP, Leïla Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études
politiques (Carep) à Paris. «Il
ne prône pas la force pour la force mais pour amener les Israéliens aux
négociations», souligne la politiste. «Sur le plan
politique, il prône une direction palestinienne unie pour tous les Territoires
occupés : la bande de Ghaza, tenue par le Hamas, la
Cisjordanie, administrée par le Fatah de Mahmoud Abbas, et Jérusalem-Est»,
ajoute Mme Seurat.
Considéré
par Israël comme le véritable cerveau de l’opération «Tofane Al Aqsa» (Déluge d’Al
Aqsa), Yahya Sinwar n’est
plus apparu en public depuis les attaques du 7 octobre, ce qui a contribué à
alimenter son mythe jusqu’à l’ériger en véritable légende vivante. Traqué
frénétiquement par l’armée israélienne qui le considère comme un «mort en sursis», il se déplace comme une ombre furtive
dans les tunnels de Ghaza. L’occupant sioniste a
affirmé avoir éliminé le chef d’état-major des BridadesEzzedine El Qassam et
commandant opérationnel des attaques du 7 octobre, Mohamed Al Daïf, suite au bombardement du camp d’Al Mawassi le 13 juillet qui avait fait 92 morts.
Cependant,
malgré les frappes intenses qui n’ont cessé de pleuvoir sur Ghaza
depuis dix mois, Sinwar a toujours la vie sauve au
désespoir de Netanyahu. Une rare photo de lui avait fait le «buzz»
il y a quelques mois : on voyait l’homme aux cheveux blancs coupés courts
et aux traits sévères, assis tranquillement dans un fauteuil au milieu d’une
maison bombardée à Ghaza, entouré d’une montagne de
décombres. Vêtu d’une chemise impeccable, la barbe taillée avec soin, il
dégageait beaucoup de sérénité sur cette image, et beaucoup de charisme. Une
belle opération de com’ qui renforçait son mythe.
Maintenant
qu’il est désigné à la tête du Hamas, va-t-il continuer à se cacher ?
Après le sort subi par Haniyeh, la prudence est plus
que jamais de mise, surtout le concernant. Israël n’hésitera pas à l’éliminer à
la première occasion.
En
même temps, Antony Blinken vient de déclarer que Sinwar reste un interlocuteur important pour les Etats-Unis
dans le processus de négociations autour d’un cessez-le-feu à Ghaza. « M. Sinwar a été et
reste le principal décideur pour la conclusion d’un cessez-le-feu», a martelé le secrétaire d’Etat américain, rapportent
plusieurs médias. «Comme c’est le cas depuis un certain
temps, cela dépend vraiment de lui», a insisté M. Blinken.
Il
s’exprimait lors d’une conférence de presse dans le Maryland, mardi, peu après
l’annonce par le Hamas de son nouveau leadership. La promotion à ce poste de
Yahya Sinwar, a-t-il estimé, «ne fait que souligner
le fait que la décision d’aller de l’avant avec un cessez-le-feu est maintenant
réellement entre ses mains».
Le
chef de la diplomatie américaine a précisé que les discussions n’étaient pas
interrompues malgré l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh.