RELATIONS INTERNATIONALES- UE- MÉDIAS/PARLEMENT EUROPÉEN
ET CONSEIL/CADRE COMMUN POUR SERVICES DE MÉDIAS DANS LE MARCHÉ INTERIEUR
©https://la-rem.eu/2024/07/la-legislation-europeenne-sur-la-liberte-des-medias-enfin-adoptee/Par Lucie de Laget- N°69-70 Printemps - été 2024
Le règlement du Parlement européen et du
Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché
intérieur (législation européenne sur la liberté des médias, EMFA) a été adopté
le 13 mars 2024 en séance plénière par le Parlement européen. Le 26 mars 2024,
le Conseil européen approuve également le règlement, la Hongrie étant le seul
pays à avoir voté contre.
Le règlement entrera en vigueur une
vingtaine de jours après sa publication au Journal officiel et
il serait applicable début 2025. Ramona Strugariu, rapporteure de la Commission des libertés civiles, a
déclaré : « Ce règlement est une réponse à Orbán,
Fico, Janša, Poutine et à
tous ceux qui veulent transformer les médias en outils de propagande ou diffuser
de fausses nouvelles et déstabiliser nos démocraties. Aucun journaliste ne
devrait jamais craindre de subir des pressions, quelles qu’elles soient,
lorsqu’il fait son travail et informe les citoyens. »1 Avec
ce règlement, l’Union européenne souhaite préserver la liberté, le pluralisme
et l’indépendance des médias, face à la montée de leur politisation, au manque
de transparence concernant leur propriété et à l’existence de doutes sur
l’indépendance des autorités nationales chargées des médias2.
Avec l’EMFA, l’Union consacre la liberté des médias en établissant un cadre
commun pour les services de médias, qui harmonise les règles nationales
relatives au pluralisme et à l’indépendance éditoriale3.
À cette fin, le règlement comporte plusieurs axes.
La protection des journalistes et
l’indépendance éditoriale des médias
L’article 4 du règlement – celui qui a
suscité de nombreux débats (voir La rem n°68, p.26) – proclame
le droit pour les fournisseurs de services de médias d’exercer leurs activités
économiques sans restriction autres que celles autorisées par le droit de
l’Union. Elle enjoint aux États membres de respecter leur liberté
éditoriale et leur indépendance. Cela passe par la protection des sources
journalistiques et des communications confidentielles en interdisant tous les
moyens de pression dont l’utilisation de logiciels espions comme les
dispositifs Pegasus ou Predator, sauf, toutefois,
pour des raisons impérieuses d’intérêt public et sous réserve de l’avis
favorable de l’autorité judiciaire compétente. Les articles 5 et 6 consacrent
le pluralisme des médias en imposant plus de transparence sur leur propriété.
L’article 22 enjoint, à cet effet, aux États membres de mettre en place des
procédures pour évaluer et prévenir la concentration des médias.
L’établissement de relations plus
équilibrées entre la presse et les grandes plateformes
Les nouvelles mesures encouragent
largement le dialogue entre ces deux acteurs en créant de nouvelles obligations.
Les services de médias devront se déclarer en tant que tels auprès des très
grandes plateformes en ligne qui, en contrepartie, feront l’objet de nouvelles
obligations de transparence. Ces dernières devront, selon l’article 18, créer
des espaces de dialogue où les services de médias pourront défendre leurs
intérêts, notamment en contestant d’éventuelles mesures de suspension ou de
restriction de la visibilité de leurs contenus. L’objectif est d’établir
des garde-fous afin de protéger le journalisme contre les abus de position
dominante de certains services de communication en ligne, comme les
réseaux sociaux qui néanmoins sont aujourd’hui indispensables pour leur
activité.
La création d’un nouveau comité européen
indépendant pour les services de médias
Ce comité qui succédera à l’ERGA – European Regulators’ Group for Audiovisual Media Services – sera composé de représentants
des autorités ou des organismes de régulation nationaux des États membres. Il
n’aura pas à répondre des instructions des gouvernements. Son rôle sera
consultatif et il délivrera des conseils et des avis aux régulateurs nationaux
en tant qu’expert technique. Il remplira également la fonction de médiateur et
il encouragera la coopération entre les régulateurs nationaux ainsi que le
dialogue entre les fournisseurs des très grandes plateformes en ligne et les
services de médias. Enfin, le comité édictera les lignes directrices de
l’interprétation du règlement et il favorisera le développement des bonnes
pratiques en matière d’éducation aux médias.
Côté français
L’accord provisoire a rencontré une
majorité confortable au Parlement européen en recueillant 464 voix pour, 92
contre et 65 abstentions. À l’instar de la Pologne, de la Hongrie et de
l’Italie, la France fait partie des pays ayant manifesté la plus vive
opposition avec 55 voix pour et 19 contre (dont dix-sept députés
appartenant au groupe politique Identité et Démocratie). Cette méfiance
pourrait s’expliquer par le fait que, historiquement, la France compte parmi
les États européens les mieux outillés pour protéger la liberté d’expression et
la liberté de la presse. L’Arcom, le régulateur de la
communication audiovisuelle et numérique, exerce déjà une régulation
importante. Dans un communiqué de presse publié le 11 avril 2024, il a déclaré
« estimer que l’accord final trouvé par les colégislateurs européens
sur l’EMFA est équilibré et témoigne d’une approche ambitieuse pour le secteur
des médias européens, traditionnels comme numériques »4. D’ailleurs,
l’Arcom préside le groupe de travail consacré à la
mise en œuvre de l’EMFA au sein du Groupe des régulateurs européens des
services de médias audiovisuels (ERGA).
En outre, en matière d’indépendance des
médias et de pluralisme de la presse, la France est particulièrement bien
pourvue depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, complétée
par la loi du 29 septembre 1986 sur la liberté de communication audiovisuelle,
ainsi que par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique
qui a consacré la liberté de la communication par voie électronique tout en
instaurant des droits et des obligations pour les hébergeurs. La liberté et le
pluralisme de la presse sont considérés par le Conseil constitutionnel comme
une des conditions d’exercice de la démocratie5.
L’EMFA, comme règlement européen, est donc d’application directe et ne
nécessitera pas de transposition qui pourrait modifier substantiellement ses
différentes normes.
Quelques modifications des lois
nationales à prévoir
L’article 4 de l’EMFA complète les
mesures de protection des journalistes à intégrer dans la loi sur la liberté de
la presse de 1881. S’agissant de la concentration des médias, la loi du 30
septembre 1986 relative à la liberté de communication (dite loi Léotard), dans
son article 17, dispose que « l’Autorité de régulation de la
communication audiovisuelle et numérique adresse des recommandations au
Gouvernement pour le développement de la concurrence dans les activités de
radio et de télévision. Elle est habilitée à saisir les autorités administratives
ou judiciaires compétentes pour connaître des pratiques restrictives de la
concurrence et des concentrations économiques ». Cette prérogative de
l’Arcom ne concernait donc pas jusqu’alors la
concentration dans le secteur de presse, qui était placé sous le contrôle de
l’Autorité de la concurrence. Ainsi, l’entrée en application de l’EMFA,
qui s’intéresse à la concentration sur le marché des médias regroupant
l’audiovisuel, la presse écrite et les médias en ligne, entraînera une
adaptation de la législation française.
Si certains doutes persistent encore sur
la mise en application du règlement à l’échelle nationale, d’autres ont été
dissipés concernant l’intérêt d’un tel texte dans le cadre de la protection de
la liberté des médias à l’aune des élections européennes de juin 2024. La
présidente de la Commission de la culture et de l’éducation, Sabine Verheyen, membre du groupe du Parti populaire européen,
insiste sur le fait que l’EMFA n’est pas « une loi pour la censure,
c’est une loi pour l’indépendance des médias » et il faut « bétonner
cette indépendance » en dénonçant « celles et ceux qui disent
que c’est une loi pour exercer un contrôle à l’encontre des médias ».
Notons également que l’association Reporters sans frontières (RSF), qui pendant
un temps avait pris position contre la proposition, a salué le vote du texte en
le qualifiant d’« avancée majeure en faveur du
droit à l’information »6. Une fois le règlement entré en vigueur, il faudra
rester vigilant quant à son exécution dans les États membres et particulièrement
parmi ceux qui en étaient les plus fervents opposants.
Sources :
1.
Parlement
européen, « Un nouveau projet de loi pour protéger les journalistes et la
liberté de la presse », communiqué de presse, Bruxelles, 13 mars 2024.
2.
Conseil
de l’Union européenne, « Législation européenne sur la liberté des médias : le
Conseil adopte de nouvelles règles pour protéger les journalistes et les
fournisseurs de médias », communiqué de presse, Bruxelles, 26 mars 2024.
3.
Conseil
de l’Union européenne, Parlement européen, « Règlement du Parlement européen et
du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le
marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/ue
(Règlement européen sur la liberté des médias) », Bruxelles, 11 avril 2024,
paragraphe 7.
4.
Arcom,
« L’Arcom se réjouit de l’adoption du Règlement
européen pour la liberté des médias », communiqué de presse, Paris, 11 avril
2024.
5.
C.
const., 11 oct. 1984, n° 84-181 DC, « Loi visant à
limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le
pluralisme des entreprises de presse », GDCC, 15e éd., 2009,
n° 28.