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Médias/Parlement européen et Conseil/Cadre commun pour services de médias dans le marché intérieur

Date de création: 26-07-2024 17:56
Dernière mise à jour: 26-07-2024 17:56
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RELATIONS INTERNATIONALES- UE- MÉDIAS/PARLEMENT EUROPÉEN ET CONSEIL/CADRE COMMUN POUR SERVICES DE MÉDIAS DANS LE MARCHÉ INTERIEUR

©https://la-rem.eu/2024/07/la-legislation-europeenne-sur-la-liberte-des-medias-enfin-adoptee/Par Lucie de LagetN°69-70 Printemps - été 2024

Le règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias, EMFA) a été adopté le 13 mars 2024 en séance plénière par le Parlement européen. Le 26 mars 2024, le Conseil européen approuve également le règlement, la Hongrie étant le seul pays à avoir voté contre.

Le règlement entrera en vigueur une vingtaine de jours après sa publication au Journal officiel et il serait applicable début 2025. Ramona Strugariu, rapporteure de la Commission des libertés civiles, a déclaré : « Ce règlement est une réponse à Orbán, Fico, Janša, Poutine et à tous ceux qui veulent transformer les médias en outils de propagande ou diffuser de fausses nouvelles et déstabiliser nos démocraties. Aucun journaliste ne devrait jamais craindre de subir des pressions, quelles qu’elles soient, lorsqu’il fait son travail et informe les citoyens. »1 Avec ce règlement, l’Union européenne souhaite préserver la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias, face à la montée de leur politisation, au manque de transparence concernant leur propriété et à l’existence de doutes sur l’indépendance des autorités nationales chargées des médias2. Avec l’EMFA, l’Union consacre la liberté des médias en établissant un cadre commun pour les services de médias, qui harmonise les règles nationales relatives au pluralisme et à l’indépendance éditoriale3. À cette fin, le règlement comporte plusieurs axes.

La protection des journalistes et l’indépendance éditoriale des médias

L’article 4 du règlement – celui qui a suscité de nombreux débats (voir La rem n°68, p.26) – proclame le droit pour les fournisseurs de services de médias d’exercer leurs activités économiques sans restriction autres que celles autorisées par le droit de l’Union. Elle enjoint aux États membres de respecter leur liberté éditoriale et leur indépendance. Cela passe par la protection des sources journalistiques et des communications confidentielles en interdisant tous les moyens de pression dont l’utilisation de logiciels espions comme les dispositifs Pegasus ou Predator, sauf, toutefois, pour des raisons impérieuses d’intérêt public et sous réserve de l’avis favorable de l’autorité judiciaire compétente. Les articles 5 et 6 consacrent le pluralisme des médias en imposant plus de transparence sur leur propriété. L’article 22 enjoint, à cet effet, aux États membres de mettre en place des procédures pour évaluer et prévenir la concentration des médias.

L’établissement de relations plus équilibrées entre la presse et les grandes plateformes

Les nouvelles mesures encouragent largement le dialogue entre ces deux acteurs en créant de nouvelles obligations. Les services de médias devront se déclarer en tant que tels auprès des très grandes plateformes en ligne qui, en contrepartie, feront l’objet de nouvelles obligations de transparence. Ces dernières devront, selon l’article 18, créer des espaces de dialogue où les services de médias pourront défendre leurs intérêts, notamment en contestant d’éventuelles mesures de suspension ou de restriction de la visibilité de leurs contenus. L’objectif est d’établir des garde-fous afin de protéger le journalisme contre les abus de position dominante de certains services de communication en ligne, comme les réseaux sociaux qui néanmoins sont aujourd’hui indispensables pour leur activité.

La création d’un nouveau comité européen indépendant pour les services de médias

Ce comité qui succédera à l’ERGA – European Regulators’ Group for Audiovisual Media Services – sera composé de représentants des autorités ou des organismes de régulation nationaux des États membres. Il n’aura pas à répondre des instructions des gouvernements. Son rôle sera consultatif et il délivrera des conseils et des avis aux régulateurs nationaux en tant qu’expert technique. Il remplira également la fonction de médiateur et il encouragera la coopération entre les régulateurs nationaux ainsi que le dialogue entre les fournisseurs des très grandes plateformes en ligne et les services de médias. Enfin, le comité édictera les lignes directrices de l’interprétation du règlement et il favorisera le développement des bonnes pratiques en matière d’éducation aux médias.

Côté français

L’accord provisoire a rencontré une majorité confortable au Parlement européen en recueillant 464 voix pour, 92 contre et 65 abstentions. À l’instar de la Pologne, de la Hongrie et de l’Italie, la France fait partie des pays ayant manifesté la plus vive opposition avec 55 voix pour et 19 contre (dont dix-sept députés appartenant au groupe politique Identité et Démocratie). Cette méfiance pourrait s’expliquer par le fait que, historiquement, la France compte parmi les États européens les mieux outillés pour protéger la liberté d’expression et la liberté de la presse. L’Arcom, le régulateur de la communication audiovisuelle et numérique, exerce déjà une régulation importante. Dans un communiqué de presse publié le 11 avril 2024, il a déclaré « estimer que l’accord final trouvé par les colégislateurs européens sur l’EMFA est équilibré et témoigne d’une approche ambitieuse pour le secteur des médias européens, traditionnels comme numériques »4. D’ailleurs, l’Arcom préside le groupe de travail consacré à la mise en œuvre de l’EMFA au sein du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA).

En outre, en matière d’indépendance des médias et de pluralisme de la presse, la France est particulièrement bien pourvue depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, complétée par la loi du 29 septembre 1986 sur la liberté de communication audiovisuelle, ainsi que par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique qui a consacré la liberté de la communication par voie électronique tout en instaurant des droits et des obligations pour les hébergeurs. La liberté et le pluralisme de la presse sont considérés par le Conseil constitutionnel comme une des conditions d’exercice de la démocratie5. L’EMFA, comme règlement européen, est donc d’application directe et ne nécessitera pas de transposition qui pourrait modifier substantiellement ses différentes normes.

Quelques modifications des lois nationales à prévoir

L’article 4 de l’EMFA complète les mesures de protection des journalistes à intégrer dans la loi sur la liberté de la presse de 1881. S’agissant de la concentration des médias, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (dite loi Léotard), dans son article 17, dispose que « l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique adresse des recommandations au Gouvernement pour le développement de la concurrence dans les activités de radio et de télévision. Elle est habilitée à saisir les autorités administratives ou judiciaires compétentes pour connaître des pratiques restrictives de la concurrence et des concentrations économiques ». Cette prérogative de l’Arcom ne concernait donc pas jusqu’alors la concentration dans le secteur de presse, qui était placé sous le contrôle de l’Autorité de la concurrence. Ainsi, l’entrée en application de l’EMFA, qui s’intéresse à la concentration sur le marché des médias regroupant l’audiovisuel, la presse écrite et les médias en ligne, entraînera une adaptation de la législation française.

Si certains doutes persistent encore sur la mise en application du règlement à l’échelle nationale, d’autres ont été dissipés concernant l’intérêt d’un tel texte dans le cadre de la protection de la liberté des médias à l’aune des élections européennes de juin 2024. La présidente de la Commission de la culture et de l’éducation, Sabine Verheyen, membre du groupe du Parti populaire européen, insiste sur le fait que l’EMFA n’est pas « une loi pour la censure, c’est une loi pour l’indépendance des médias » et il faut « bétonner cette indépendance » en dénonçant « celles et ceux qui disent que c’est une loi pour exercer un contrôle à l’encontre des médias ». Notons également que l’association Reporters sans frontières (RSF), qui pendant un temps avait pris position contre la proposition, a salué le vote du texte en le qualifiant d’« avancée majeure en faveur du droit à l’information »6. Une fois le règlement entré en vigueur, il faudra rester vigilant quant à son exécution dans les États membres et particulièrement parmi ceux qui en étaient les plus fervents opposants.

Sources :

1.   Parlement européen, « Un nouveau projet de loi pour protéger les journalistes et la liberté de la presse », communiqué de presse, Bruxelles, 13 mars 2024.

2.   Conseil de l’Union européenne, « Législation européenne sur la liberté des médias : le Conseil adopte de nouvelles règles pour protéger les journalistes et les fournisseurs de médias », communiqué de presse, Bruxelles, 26 mars 2024.

3.   Conseil de l’Union européenne, Parlement européen, « Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/ue (Règlement européen sur la liberté des médias) », Bruxelles, 11 avril 2024, paragraphe 7.

4.   Arcom, « L’Arcom se réjouit de l’adoption du Règlement européen pour la liberté des médias », communiqué de presse, Paris, 11 avril 2024.

5.   C. const., 11 oct. 1984, n° 84-181 DC, « Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse », GDCC, 15e éd., 2009, n° 28.