CULTURE- BIBLIOTHEQUE
DALMANACH- ESSAI ALICE KAPLAN- « BAYA OU LE GRAND VERNISSAGE »
Baya ou le grand
vernissage. Essai de Alice Kaplan (traduit de l’américain). Editions Barzakh, Alger 2024, 234 pages, 1 400 dinars
Un portrait
, un voyage outre-mer (en France) et un séjour qui commencent
fort . Nous sommes en 1947....., à Paris, dans
une certaine France -l’artistique et la culturelle - qui a , peut-être,
sur la conscience, les massacres du 8 mai 45 subies par les populations
algériennes de Guelma, Sétif et Kherrata . On
a, comme invitée, une jeune fille algérienne ( une
« Arabe » !) qui n’ a pas encore 16 ans . Grâce à une femme
d’origine européenne d’Algérie, « complexe
et attachante », Marguerite Caminat , l
‘adolescente, alors vouée au « rôle de bonne à tout faire », va se retrouver
propulsée au rang de célébrité parisienne ....grâce à ses peintures qui
vont étonner les plus grands artistes de l’époque (dont Picasso qui la recevra
en ses ateliers de céramique,, à Vallauris, durant l’été 1948) en
bouleversant les canons traditionnels de l’art pictural. Un grand vernissage
est organisé à Paris. Elle devient ainsi , rapidement, une gloire du monde artistique parisien
de l’après-guerre , inspirant , à travers ses œuvres qui
« inventent » les rapports de couleurs, aussi bien les
approches artistiques que la mode de l’époque . On aura même un tissu
« Baya ». « Dans les dernières secondes, alors que
la caméra zoome sur son visage, elle affiche un sourire électrique.Son regard est provocant, sarcastique,
amusé, agacé ».Elle sait déjà qu’en pénétrant dans le monde des galeries
parisiennes , elle se retrouvera certes sur un marché de l’art
international.....mais elle restera toujours la petite musulmane à la peinture
aux formes audacieuses et au bestiaire fantastique. Elle sait aussi qu’elle
sera surveillée, évaluée à chaque pas, tenue de représenter son peuple par sa
posture, ses ongles, ses manières de table.Un
symbole , chargé de promouvoir l’image de toutes les jeunes musulmanes d’Alger.
Voilà qui ne manque pas, bien sûr, de déranger
certains milieux de la presse qui empruntèrent les chemins de l’info’
sensationnelle déformée.Bien des fantasmes sont alors
au rendez-vous.
Le « grand
vernissage » -et la grande aventure parisienne -
est certes le point de départ de l’essai (plutôt une recherche
documentaire menée avec précision.....avec le grand souci du détail qui compte
.....à l’américaine) , mais il a amené , aussi, l’auteure à reconstituer tout
le décor où a grandit Baya en même temps qu’elle
dépeint – avec un style élégant et la rigueur habituelle - son entourage
proche.
Notes (extraites d’un article de Ameziane Ferhani, in El Watan, du 12
janvier 2013): -Dans le catalogue de
l’exposition , André Breton, écrivain et fondateur du mouvement surréaliste,
écrit un texte magnifique sur la peinture de «la très gracieuse Baya» Avec des
teintes d’exotisme, l’écrivain n’oublie pas ses engagements. Celui qui sera
l’un des premiers à signer, en 1960, le Manifeste des 121 qui affirme que «la
cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système
colonial, est la cause de tous les hommes libres», lie
les œuvres de Baya à «la délivrance du monde» et parle du «monde musulman,
scandaleusement asservi».
-Commentant l’exposition de 1947, Kateb Yacine écrira
que Baya «incarne les premiers pas d’un art algérien
moderne dont les cheminements complémentaires ne se cristalliseront
décisivement que durant la décennie suivante, à travers la peinture des
précurseurs, tels Issiakhem et Khadda,
tous nés comme elle autour de 1930». Ainsi, il donnait à Baya sa véritable
place dans l’histoire de l’art moderne algérien : celui de
«mère».
L’Auteure : Phd en
littérature française de l’Université de Yale (Etats-Unis), enseignante,
écrivaine et chercheuse . Des travaux
portant sur l’autobiographie, les mémoires, la théorie de la traduction,
la littéraure de langue française du XXè siècle. Plusieurs publications dont « Trois
américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela
Davis », en 2012 (Gallimard), « Maison
Atlas » et "En quête de l'Etranger" aux Editions Barzakh. Elle a
séjourné plusieurs fois en Algérie (Alger, Oran....) ,
pour se documenter et pour présenter ses ouvrages et en débattre avec le
public.
Table des matières :21 chapitres/20
pages de reproductions d’ œuvres de Baya et de
photographies/ Remerciements/ Notes
Extraits : Tous les propriétaires de galerie (sans compter
tous les éditeurs) (parisiens !) sont de cette force. Le meilleur d’entre-eux, vraiment le meilleur, raconterait la pire horreur
sur sa propre mère, si cela pouvait servir sa publicité .Inconscients» (p
113), « Quand Picasso rencontre enfin Baya dans les ateliers de céramique
de Vallauris, à l’été 1948, il constate une créativité juvénile qui n’a plus
rien de générique.Elle procède cette fois d’une
artiste puissante et originale » (p147)
Avis : Une histoire trop
longtemps restée incomplète-même chez nous- .... « telle une traînée de couleurs sur une toile
inachevée ». Un livre qui donne corps et épaisseur à une icône du patrimoine
alégrien
Citations : « Selon un
proverbe arabe, « dire « Je ne sais pas » est déjà la moitié du
savoir » (p 23), « Nous recevons avec amour les dessins de nos
enfants, nous ne les évaluons pas, nous ne les jugeons pas : ils
sont tous merveilleux-à moins qu’ils contiennent quelque chose de vraiment
remarquable qui nous ouvre les yeux et nous fait voir le monde autrement
» (p 47), « Son art est bien des choses, mais c’est d’abord un
cénotaphe » (p 155), « La guerre , cette grande séparatrice des pays
et des hommes, a permis des ruptures radicales, de nouveaux départs, des
annulations du passé » (p172)