SCIENCES- FORMATION
CONTINUE-INTERACTIONS SOCIALES/REGARD ET RÔLE CENTRAL
© UNIGE/ https://www.unige.ch, 4 juillet 2024
Comment notre cerveau décode le regard de l’autre
Une équipe de l’UNIGE est parvenue à déterminer le moment précis où notre
cerveau détecte la direction du regard d’autrui.
Le cerveau
perçoit d’abord les indices visuels plus globaux, soit la direction de la tête,
à partir de 20 millisecondes, avant de s’attarder sur l’information plus
locale, soit les yeux, à partir de 140 millisecondes.
Le regard joue un rôle central dans les interactions sociales du quotidien.
Ce pouvoir de communication instantané repose sur la capacité de notre cerveau
à interpréter la direction du regard des autres. Comment détecte-t-il la
direction des yeux et quels éléments influencent ce processus?
Dans une récente étude publiée dans la revue NeuroImage,
une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) est parvenue à déterminer avec une
précision inédite le moment précis de détection de la direction du regard. Ces
résultats apportent une contribution notoire en vue d’une meilleure prise en
charge de l’autisme et pourraient offrir des perspectives thérapeutiques pour
les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer.
Depuis la naissance, les visages humains constituent le stimulus visuel le plus
commun et régulier que nous rencontrons. Notre cerveau a développé une
expertise lui permettant de les mémoriser puis de les reconnaître, mais aussi
de déceler des messages à travers eux. Par exemple, un contact visuel direct
indique une volonté d’engager une interaction sociale, alors que l’évitement du
regard enverra le message contraire. Mais à quelle rapidité notre cerveau
parvient-il à interpréter ces signaux?
Cette question a fait l’objet de nombreuses recherches. Cependant, les
publications existantes se focalisent surtout sur l’étude locale des yeux.
Elles ne prennent pas en compte l’influence d’autres éléments, comme la
direction de la tête.
Analyse cérébrale du regard
Une équipe de l’UNIGE a présenté à
des volontaires des avatars en 3D mettant chacun en scène des directions de la
tête et des yeux différentes. Une première tâche consistait à indiquer la
direction de la tête, une seconde celle des yeux. En analysant les réactions
cérébrales à l’aide d’un électroencéphalogramme, l’équipe de recherche a
découvert que ces deux informations peuvent être décodées de manière fiable
indépendamment l’une de l’autre.
«L’expérience démontre également une certaine
hiérarchie dans le traitement de ces deux informations.
Le cerveau perçoit d’abord les indices visuels plus globaux, soit la direction
de la tête, à partir de 20 millisecondes, avant de s’attarder sur l’information
plus locale, soit les yeux, à partir de 140 millisecondes. Une telle
organisation hiérarchique permet ensuite l’intégration de ces deux
informations, ce qui assure le jugement efficace de la direction du regard», explique Domilė Tautvydaitė, post-doctorante et chercheuse associée à
la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UNIGE, et
première auteure de l’étude.
L’étude montre par ailleurs que le décodage de la direction du regard est
significativement plus précis lorsqu’il est spécifiquement demandé aux
participantes et participants de s’intéresser au regard des visages présentés.
Ce qui signifie que la tâche influence la perception et la compréhension du
regard. «Dans la vie quotidienne, ces résultats démontrent
que lorsqu’un individu se met activement dans un ‘‘mode social’’, il sera en
mesure de mieux reconnaître les intentions d’autrui, et plus rapidement»,
explique Nicolas Burra, maître d’enseignement et de
recherche à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation et
directeur du Laboratoire de cognition sociale expérimentale (ESClab) de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux.
Une méthode de pointe
La méthode utilisée permet d’obtenir
des résultats extrêmement précis quant à ces deux mécanismes. En alliant
l’analyse des signaux électriques grâce à l’électroencéphalographie (EEG) à des
techniques de machine learning, l’équipe
de recherche est capable de prédire le décodage de la direction des yeux et de
la tête avant même que les participantes et participants en aient conscience. «Il s’agit réellement d’une innovation technique dans ce
domaine, qui permet une analyse beaucoup plus fine qu’auparavant», ajoute
Nicolas Burra.
Chez les personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme, le décodage
de ces informations pourrait être altéré, et l’évitement du contact visuel
serait privilégié. C’est également le cas pour la maladie d’Alzheimer. Avec
l’évolution de la maladie, les difficultés de mémoire appauvrissent les
relations de la personne avec les autres et entraînent souvent un retrait
social. Comprendre le mécanisme cérébral permettant de capter la direction du
regard est donc essentiel.
Ainsi, ces résultats et la méthode utilisée sont un apport concret pour le
diagnostic précoce des troubles du spectre de l’autisme chez les enfants.
Concernant la maladie d’Alzheimer, un des symptômes les plus frappants avec son
avancée est l’incapacité à reconnaître les visages, même ceux des membres de la
famille. Cette étude ouvre donc la voie à une meilleure compréhension des
mécanismes neuronaux liés à la diminution de l’interaction sociale et à la
mémoire des visages – un sujet étudié actuellement par Domilė
Tautvydaitė à l’Université de McGill au Canada.
Les recherches du laboratoire ESClab de l’UNIGE,
elles, se poursuivront sur ce terrain, par l’analyse de ces processus lors
d’interactions sociales réelles.