COMMUNICATION- ETRANGER- JOURNALISME /BURKINA
FASO/BABA HAMA, ENTRETIEN (EXTRAITS)
©Serge Ika
Ki/Lefaso.net, mardi 18 juin 2024
Journaliste-reporter, rédacteur en chef adjoint, rédacteur en chef puis
directeur de la radio nationale, Baba Hama n’est plus à présenter. L’homme
pétri d’une solide expérience dans le monde des médias, est entré aussi dans le
sérail de l’administration burkinabè avec sa nomination comme ministre de la
communication, porte-parole du gouvernement et aussi ministre de la culture et
du tourisme. Le diplômé en journalisme de l’École supérieure de journalisme
(ESJ) de Lille, en France, partage avec nous son expérience et son regard sur
la pratique du journalisme actuel. Dans ce contexte de crise sécuritaire où les
journalistes font souvent l’objet de critique, Baba Hama pense qu’il y a une
confusion. Il dit avoir l’impression que des gens font la confusion entre les
journalistes professionnels et les réseaux sociaux.(....................................)
De retour au pays sous l’ère de la révolution, dans quel environnement
travailliez-vous ?: Dans la pratique,
c’était en 1986 en pleine révolution. Le Front Populaire est intervenu en 1987.
Donc il y avait une partie Conseil national pour la révolution (CNR) et une
partie du Front Populaire.
Dans quelles conditions de travail avez-vous évolué ?: A l’époque, tout le monde devrait à
priori être révolutionnaire. Il n’y avait pas d’opposition, de syndicat.
L’essentiel du travail allait dans le sens de l’éveil des consciences et de la
sensibilisation des masses.
Ils se dit que les journalistes étaient catégorisés à l’époque. Qu’il y avaient des journalistes révolutionnaires et des
réfractaires. A quel camp apparteniez-vous ?: Non, les journalistes n’étaient pas
catégorisés. Je pense plus à une commodité sémantique. C’est le régime, sous le
CNR et le Front Populaire, qui a un moment donné avait estimé que dans les
rédactions la ‘’vieille garde’’ n’était pas
idéologiquement bien formée et qu’il fallait apporter du sang neuf. C’est pour
cela que le régime a recruté des étudiants qui étaient pour la plupart à
l’université de Ouagadougou qui ont été dispatchés à la radio nationale, à la
télévision nationale et à Sidwaya. Leur travail était
de faire des analyses et des commentaires sur les faits d’actualité. Ce qui
permettait aux journalistes ‘’pas très idéologiquement imbibés’’ de faire le
travail du factuel. Sinon, ce n’était pas une volonté de catégoriser les
journalistes. Il n’y avait pas de démarcation physique au sein des rédactions.
Je pense que ce phénomène du recours à du personnel pas professionnellement
formé mais qui dispose d’un certain bagage intellectuel se poursuit de nos
jours. Même si on les appelle pas des journalistes
révolutionnaires, regardez dans les médias privés, il y a plein d’étudiants qui
n’ont jamais fait un seul jour une école de journalisme mais qui animent les
rédactions. Sinon à l’époque, ce n’était pas une volonté de catégoriser. De
toute façon, tout le monde était censé être révolutionnaire sous la révolution.
Comment appréciez-vous la pratique journalistique actuelle ?: Elle est beaucoup plus intéressante, je
trouve que vous avez la chance. Sous la révolution, vous êtiez
soit révolutionnaire ou alors taxé de réactionnaire ; vous savez bien ce
que cela peut vous coûter en termes de dégagement, de licenciement. Les débats
n’étaient pas véritablement contradictoires dès l’instant que les partis
politiques n’existaient plus sur la scène politique, les syndicats non plus ne
donnaient pas de la voix. Il n’y avait pas d’effervescence ou de contradictions
dans les débats. Je pense qu’à partir de 1991 avec l’adoption de la
constitution et le retour à la vie constitutionnelle normale, cela a permis
l’émergence de toute la presse privée à partir de 1992, ce qui a donné une
certaine pluralité de tonalité. Si je dois me permettre une comparaison c’est
de dire que nous vivons une situation assez particulière de nos jours parce que
nous sommes un pays qui est en guerre. De ce point de vue, cela implique une
conduite qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies vers un objectif,
celui de la libération de notre territoire. Cela implique une certaine conduite
mais que je ne vais pas comparer à ce qui se passait sous la révolution. S’il y
a une comparaison à faire, pour chacune des périodes, il y a un objectif. Sous
la révolution, l’objectif était l’éducation des masses, la lutte contre
l’impérialisme, l’auto-suffisance, la décolonisation des mentalités et autres.
Il y avait un vaste chantier qui était consigné dans le discours d’orientation
politique (DOP) du 2 octobre. De ce point de vue, la presse dans l’ensemble
accompagnait ce phénomène qui, du reste, était nouveau et qui emballait tout le
monde.Jusqu’à ce que la
guerre nous soit imposée, vous avez vu que dans la presse il y avait des grands
débats. Dès l’instant que nous sommes dans une situation particulière, il faut
comprendre qu’on ne peut plus faire du journalisme comme avant. Aujourd’hui, le
journaliste lui-même doit savoir que l’une de ses fonctions est de contribuer à
libérer son pays.
Vous disiez que la situation sécuritaire implique une certaine conduite.
Quelle est cette conduite ?: Quand je dis une conduite, vous n’allez pas
quand-même pas donner la parole à vos adversaires ou dévoiler les faiblesses de
votre pays. Le travail du journaliste c’est de donner de l’assurance au peuple
par rapport à sa sécurité, galvaniser les gens autour de l’objectif commun. On a même pas besoin de sonner la cloche pour vous demander
de le faire. Vous voyez même en Europe, lorsqu’il y a une guerre ou une
opposition entre un pays européen et un autre et que l’enjeu c’est le pays, le
journaliste est dans la mouvance. Sinon, c’est quoi votre objectif si c’est
pour aller louer les hauts faits de votre adversaire ? Nous sommes tous
des patriotes comme tout le monde. De ce point de vue, on doit plutôt
travailler dans le sens de galvaniser, rassembler, mobiliser, favoriser la
cohésion sociale.
Travailler dans le sens de galvaniser, pensez-vous que les journalistes
burkinabè travaillent dans le sens de galvaniser, de favoriser la cohésion sociale ?: Je pense que oui. On a jamais pris un journaliste professionnel en train de
faire le contraire. J’ai l’impression qu’on fait la confusion entre les
journalistes professionnels et les réseau sociaux.
C’est totalement différent, le problème se trouve au niveau des réseaux
sociaux. Dans quel média burkinabè vous avez vu des articles écrits par des
journalistes professionnels qui prônent la division ? Est-ce que vous avez
déjà vu un journaliste professionnel qui a écrit un article qui pousse à la
haine ? Avez-vous déjà vu un article d’un journaliste professionnel dans
un journal professionnel qui professe la division ? Je n’en ai pas encore
vu. Pour moi, le problème ne se trouve pas au niveau des médias, il se trouve
au niveau des réseaux sociaux. Hélas ! La guerre est venue trouver que
l’évolution technologique à travers les réseaux sociaux, le numérique a permis
à tout le monde d’obtenir de nouveaux canaux et modes de diffusion.
Malheureusement comme d’habitude en Afrique, on utilise toujours très mal les
outils qui auraient pu nous servir utilement à autre chose. Il y en a même qui
parlent de journalisme citoyen. Ça n’existe pas, ça ne veut rien dire. Je sais
qu’il y a des grands journalistes qui emploient ce terme, ça ne veut rien dire
et je m’assume. J’accepterai ce terme le jour où vous aurez un médecin citoyen
ou un mécanicien citoyen. Pour être journaliste professionnel on est formé
n’est-ce pas ? La formation dont nous autres avons bénéficiée n’est pas
seulement académique. Il y a aussi la formation sur le tas. C’est juste une
question de durée. Si vous allez dans une rédaction pendant,
deux, trois ans, c’est une formation. C’est pour cela que je suggère qu’il y
ait une instance qui, au bout de cinq ans ou dix ans de pratique, non pas
intra-muros dans une école mais plutôt une formation pratique sur le terrain,
qu’il y ait une instance qui vous donne un diplôme qui ferait de vous un
journaliste professionnel.
Il se dit que les journalistes n’accompagnent assez la dynamique de la reconquête
du territoire. Vous en tant que journaliste et enseignant dans les écoles de
journalisme, quelle est votre lecture de cette opinion ?: Je pense que les journalistes
accompagnent bel et bien la dynamique de la reconquête. Je n’ai pas encore vu
des journalistes qui sont en porte-à-faux par rapport à ce que le gouvernement
fait. Il y a peut-être de mon point de vue une confusion dans le rôle du
journaliste. Le journaliste n’est pas un communicant, ce n’est pas son travail.
Il y a des gens qui sont formés pour être des communicants, on appelle ça de la
communication. Ils ont des outils de communication. Par contre, les
journalistes font partie de ces ‘’outils de la communication’’. Lorsqu’un
communicant élabore une stratégie de communication, il est obligé d’utiliser
les médias tout comme il est obligé d’utiliser les ‘’hors médias’’.Ce stratège, en élaborant la communication de
guerre doit savoir quand et comment il va employer les médias. En ce moment, le
problème ne se pose pas. Les journaux vont suivre. Pour accompagner, il faut
savoir où est-ce qu’on va en ayant toutes les informations. Il faut que le
journaliste soit informé de ce qui se passe. On invente pas
quand on est journaliste. S’il y a une synergie entre les communicants et les
journalistes, vous allez avoir une bonne information. Dans le cas contraire, le
journaliste ne peut pas inventer. Quand je regarde les communiqués officiels,
je vois que les médias les diffusent. C’est une forme d’accompagnement.
Remarquez que ces communiqués émanent d’une autre source que celui des
reporters. Il faut mettre à la disposition des journalistes l’information et
ils vont la communiquer. Dans notre métier, la seule chose qu’on nous demande,
c’est la crédibilité de la source.
Le dernier rapport sur la liberté de la presse indique un recul. Quel est
votre commentaire ?: On aime jaser pour
rien. Reporters sans frontière ou le Centre national de presse Norbert Zongo
par exemple n’ont pas fait les enquêtes ex nihilo. On connaît très bien les
critères. Les critères ce sont entre autres, le contexte politique, le cadre
légal, le contexte économique, le contexte socioculturel, la sécurité. Sur la
base de ces éléments, on affecte des coefficients. A partir de ce moment, je ne
vois pas quel autre résultat on voudrait avoir. Je pense aussi que l’éducation
aux médias devrait être prise en compte par les journalistes. Il ne s’agit
seulement pas de publier le rapport de certains organismes nationaux ou
internationaux. Il faut aller au-delà et dire quels sont leurs critères. Si ces
critères sont mis à la disposition du public, vous allez voir qu’il n’y aura
plus de débat sur les résultats parce que les gens comprendront. Ce que vous
pensez être une évidence ne l’est pas en réalité. Les médias doivent informer
mais aussi éduquer.
Comment cette éducation aux médias doit se faire ?: C’est une science. Il s’agit simplement
de montrer au public comment les médias fonctionnent. Par exemple, la ligne
éditoriale. Il y a des gens qui ne savent pas que les journaux sont libres
d’avoir leur ligne éditoriale et qu’en fonction de cela on peut choisir de
parler d’un évènement ou pas. Si le public n’est pas informé sur la notion de
ligne éditoriale ou ne sait pas quel est processus de collecte de traitement et
de diffusion de l’information, c’est difficile pour lui de savoir faire la part
des choses. J’entends des gens dire que les réseaux sociaux valent mieux que
les médias. Ce qu’ils oublient est que le professionnel de l’information
respecte cinq étapes.
La première étape, on lui dit qu’il y a un fait. Deuxième étape, il décide
de couvrir suite à une conférence de rédaction, qui entérine l’importance du sujet
le public. Une fois que c’est décidé, troisième étape, le journaliste va sur
les lieux pour collecter l’information. La vérification est la quatrième étape
de l’information. Après la phase de vérification, il y a la cinquième étape, la
diffusion. Celui qui est sur Facebook ne cherche pas à vérifier. Le facebooker
saute allègrement la quatrième étape qui est fondamentale en journalisme,
c’est-à-dire la vérification des faits. Il ne faut pas que des médias soient
frustrés outre mesure même s’il y a la pression pour demander qu’ils aillent à
la même vitesse que quelqu’un qui n’est pas professionnel. La crédibilité des
médias viendra de la véracité des faits qu’ils vont donner. Si les médias
rentrent dans la course vers le scoop pour s’excuser au bout de deux ou trois
heures après, leur crédibilité tombe à l’eau.(.....................................)
Vous avez aussi la casquette d’écrivain. Y a t-il
une frontière entre le journalisme et la littérature ?: Je ne suis pas seul, il y a beaucoup de
gens qui sont à la fois journaliste et écrivain. Le journalisme me donne des
matériaux puisque vous êtes en contact avec les gens, vous êtes au courant de
certains faits sociaux. Ça peut créer le déclic pour une narration. Mais
attention, la littérature, ce sont les belles lettres alors que le journalisme
c’est le pragmatisme, donner l’information de manière claire et précise pour
qu’à la première lecture, l’auditeur ou le lecteur soit déjà informé. Il ne
s’agit pas de faire des circonvolutions. Mais souvent ce n’est pas facile. Aux
confrères de la presse écrite, je leur dit toujours de
rendre leurs articles attrayants. Donner du plaisir du texte comme disait
Roland Barthes. Quand on lit le texte, on devrait ‘’jouir’’. Malheureusement,
cela manque de plus en plus. Je pense que c’est dû au manque de culture
générale, beaucoup de journalistes ne lisent pas. C’est quand-même dommage !
Une de vos formules d’encadrement est ‘’Oranges pas chères’’. Quel message
voulez-vous faire passer à travers cette expression ?: Je ne vais pas trop m’étaler sur ça. En
réalité, les oranges pas chères, ce n’est pas moi. Je l’ai hérité d’un de mes professeurs
de Lille. C’est juste demander aux journalistes d’écrire de manière précise,
concise et d’aller droit au but. Il y a la littérature et il y a le
journalisme. En journalisme on informe, ce n’est pas de la littérature.
En plus du journalisme, vous avez aussi occupé de nombreux postes
politiques dans l’administration. Vous avez un pied dans la politique n’est-ce pas ?: Les gens font
beaucoup de confusions, on peut être ministre sans faire la politique dans le
sens d’une carrière politique. Dès que vous êtes ministre, les gens estiment
que vous êtes dans un système et par conséquent vous êtes politicien. Un
ministre étymologiquement est un serviteur de l’État. C’est pour cela je dis
que vous ne faites pas votre travail d’information. Parce que si vous le
faisiez, vous aller pouvoir dire au public que tous les ministres ne sont pas
des hommes politiques. On prend souvent les ministres en fonction de leur
technicité parce que le politique a besoin aussi de bons techniciens pour avoir
de bons résultats. Alors, n’oubliez pas ce qu’à dit
un éminent enseignant, à savoir que la radio annonce, la télé montre et la
presse écrite explique. L’explication fait encore défaut. Expliquez bien les
choses aux gens.