POPULATION- ETUDES ET ANALYSES- MONDE/ PERSONNES DÉPLACÉES
A FIN AVRIL 2024/ÉTUDE HCR
L'agence des Nations unies pour les
réfugiés, qui publie son rapport annuel , a dénombré
plus de 120 millions de personnes déplacées de force à la fin avril. Un chiffre
en hausse depuis plus de dix ans.
Des "niveaux historiques", et un phénomène qui
continue de progresser. Il y avait plus de 120 millions de personnes
déplacées de force dans le monde fin avril, selon le rapport annuel de l'agence des
Nations unies pour les réfugiés (HCR),
publié mercredi 12 juin (2024) . C'est presque autant que la
population totale du 12e Etat le plus peuplé de la planète, le Japon.
Il s'agit de "la 12e augmentation annuelle
consécutive", pointe l'agence de l'ONU. Le nombre de déplacés a
augmenté de 8% en un an et quasiment doublé en une décennie. La hausse la
plus nette concerne les déplacés internes, contraints de fuir dans leur propre
pays. Ils représentent la majorité des déplacés dans le monde et leur nombre
(68,3 millions de personnes) a augmenté de près de 50% en cinq ans, selon
l'Observatoire des déplacements internes.
"Nous voyons un grand nombre
de personnes déplacées, une ampleur que nous n'avions pas vue depuis
longtemps", observe auprès de franceinfo Shabia Mantoo, porte-parole du HCR. Pour comprendre cette
progression, et son inscription dans la durée, elle relève en premier
lieu "une prolifération des conflits".
Dans son rapport, l'agence de l'ONU évoque par exemple le cas du Soudan, où un conflit fait rage depuis le printemps 2023 entre l'armée et les
paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Les hostilités ont provoqué "l'une des crises humanitaires
et de déplacement les plus importantes au monde", avec plus de
6 millions de déplacés fin 2023. "Des milliers de personnes
sont toujours déplacées au quotidien", rappelle le HCR. La guerre dans
la bande de Gaza, depuis les attentats du 7 octobre en Israël, a, à son
tour, entraîné une crise majeure : 1,7 million de personnes déplacées
de force (soit plus de 75% de la population gazaouie) ont dû fuir les combats
et bombardements.
A cela s'ajoute "une résurgence des combats" dans
l'est de la République démocratique du Congo (RDC), les violences des gangs en
Haïti ou encore une insécurité "persistante" en
Somalie, qui n'ont fait qu'aggraver ce phénomène. En RDC, le HCR a recensé, en
2023, 3,8 millions de nouveaux déplacés internes. Un an plus tôt,
l'invasion russe en Ukraine avait déjà provoqué une autre crise majeure de
déplacement forcé, la plus grande que l'Europe ait connue
depuis la Seconde Guerre mondiale.
"La guerre reste le plus grand
moteur de déplacements massifs", a
déclaré lors d'un point-presse Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations
unies pour les réfugiés. Il dénonce "la manière dont les conflits
sont menés, au mépris total" du droit international, et "souvent
dans le but précis de terroriser les populations". Cette réalité
renforce l'augmentation des déplacements forcés. Toujours en 2023, le
HCR a recensé 43 situations d'urgence humanitaire dans pas moins de 29 pays, un record au cours des dix dernières
années.
Dans le cas de la RDC, le HCR rappelle que des déplacements forcés de
grande ampleur y ont débuté "il y a près de deux décennies". Il
faut ainsi noter le rôle joué par "la reprise d'intensité de
conflits anciens", pointe la géographe et politiste Hélène
Thiollet, chercheuse au CNRS et au Centre de recherches internationales de
Sciences Po. Cette spécialiste des migrations souligne l'ampleur des "crises
de déplacements durables, qui durent dans le temps", comme c'est le
cas pour les réfugiés palestiniens, syriens ou afghans.
Près de 10,9 millions d'Afghans sont déplacés, pour la plupart dans
leur pays ou dans les Etats voisins. En 2023, le nombre de réfugiés afghans
recensés était en augmentation (741 000 personnes supplémentaires), selon
le HCR. Dans une Syrie ravagée par la guerre, l'agence fait état de 174 000 déplacés
internes en plus en 2023. A la fin de l'année, près de 14 millions de Syriens
restaient quant à eux déplacés de force, dans leur pays ou à l'étranger.
"La plupart des conflits qui génèrent des déplacements forcés sont des
conflits ou des crises politiques, sociales et économiques qui durent très
longtemps."
Même un nouveau conflit, comme au Soudan, "est articulé avec
des crises plus anciennes", poursuit Hélène Thiollet. "L'incapacité
à résoudre des crises persistantes" ne fait – et ne fera – qu'amplifier
les déplacements forcés, prévient
le HCR.
Au-delà des conflits, la crise climatique influe également sur ces
mouvements de populations. L'intensification des phénomènes liés au
réchauffement de la planète, provoqué par l'activité humaine, risque d'aggraver
ces déplacements forcés. En Somalie, il y a eu en 2023 deux millions de
nouveaux déplacements internes "provoqués par des
catastrophes", observe le HCR. Le réchauffement climatique "contribue
à de nouveaux déplacements et à des déplacements prolongés", confirme
l'agence. Il "exacerbe" aussi "les
besoins de protection et les risques" pour les déplacés de
force : près des trois quarts d'entre eux vivent dans des pays
particulièrement exposés aux risques climatiques.
"On voit les migrations climatiques
comme un risque futur, mais toute une série de migrations sont déjà climatiques
aujourd'hui", relève François Gemenne, professeur à HEC et chercheur du Fonds de la
recherche scientifique à l'université de Liège. "Des migrations
sont classées comme économiques ou politiques, mais elles sont liées au
climat." Le contributeur du Giec,
spécialiste des migrations climatiques, évoque notamment le cas de populations
poussées au départ dans des régions d'Afrique subsaharienne, du fait de la
sécheresse. Des conflits liés aux terres, autre source de déplacements, "ont
des origines climatiques assez profondes", poursuit le chercheur.
"On a des liens qui vont dans tous les sens entre conflits et
questions climatiques. Tant qu'on ne travaillera pas davantage sur les causes
et sur les solutions, on va forcément aller à la hausse."
D'après le HCR, 6,1 millions de personnes ont pu, en 2023, revenir
dans leur région ou pays d'origine. Une perspective encourageante, mais
fragile. "Certains de ces retours pourraient ne pas être
durables, prévient Shabia Mantoo, prenant l'exemple d'Ukrainiens rentrés chez
eux. L'insécurité et l'instabilité persistent. Tant qu'il y a de la
violence, ils pourraient être forcés de fuir à nouveau".
Quelles réponses apporter à ces déplacements qui ne cessent
d'augmenter ? Hélène Thiollet le rappelle : les pays du Sud (ou Sud
global) prennent très largement en charge les populations déplacées de
force. "Il est urgent pour les pays occidentaux de s'interroger
sur le rôle qu'ils souhaitent avoir dans la gestion et dans l'accueil des
populations déplacées." Pour la chercheuse, ces Etats ne prennent
pas suffisamment "leur part".