Aline, qui
est la plus jeune des filles du docteur Jean-Marie Larribère
(91 ans) vient de décéder à Fontenay-sous-Bois, en France, où elle habitait
depuis sa sortie des prisons coloniales, en 1962, et où elle a été inhumée le
10 juin 2024 à 11h.
Les grands-parents, instituteurs républicains et socialistes à Sidi Bel Abbès, avant de déménager au centre-ville à Oran, devenus
communistes après 1920, auront deux fils médecins, connus pour leur engagement
communiste et pour la cause nationale, activant dans le social et, comme leur
père, dans le militantisme communiste, aussi bien en France qu’en Algérie. Le
cadet, Camille (1895-1975), très combatif, finira sa vie à Sig,
dans l’Ouest algérien. Le docteur Jean-Marie, l’aîné, médecin-gynécologue, a
été le premier à introduire la technique de l’accouchement sans douleur. Il a
exercé en tant que chef du service de gynécologie et maternité du futur Centre
hospitalo-universitaire d’Oran, non loin de la Ville Nouvelle, et ce tout en
gérant une petite clinique privée, sise à la Rue d’Arzew (aujourd’hui Ben M’hidi), avant de la déménager du côté du Front de mer. A la
suite de son décès au lendemain de l’Indépendance nationale, cette clinique
porte toujours son nom à Oran, en hommage à son engagement aux côtés de tous
les militants de l’Indépendance. Les frères Larribère
étaient connus pour leur activisme dans les réseaux de soutien au Parti
communiste algérien (PCA), puis au FLN, durant la Guerre de libération
nationale. Les cinq filles de Jean-Marie s’inscriront tout naturellement dans
la tradition familiale, en adhérant au militantisme communiste, via l’Union des
femmes démocrates, la presse proche du PCA et les activités sociales, les
grèves syndicales et manifestations politiques. L’aînée Lucie (ou Lucette)
deviendra l’épouse du dirigeant communiste algérien Bachir Hadj Ali et Suzanne
(médecin comme son père) se mariera avec un dirigeant communiste, Abdelkrim Benabdallah, originaire de Tlemcen et membre fondateur du
Parti communiste marocain. Membre actif des réseaux de résistance anticoloniaux
au Maroc, il sera lâchement assassiné en 1956, en présence de Suzanne. Aline,
qui vient de décéder, a connu les prisons coloniales d’où elle ne sortira pas
indemne (elle aura traîné ses traumatismes jusqu’à la fin de sa vie), et ce à
la suite des sévices qu’elle aura subis. Son époux Emile Schoukroun,
grande figure du militantisme à Oran, évoqué récemment dans les dernières
mémoires de Tsouria, s’engagea dans les rangs des
Combattants de la libération dans les maquis de Tlemcen ; il fut lui aussi
arrêté, torturé et lourdement condamné par les autorités coloniales. Ami proche
du célèbre architecte Oscar Niemer, il nous a quittés
tout récemment, en 2018. Toutes les filles Larribère,
Simone, membre de la cellule de Fernand Yveton,
Paulette et son mari, de même qu’Aline comme d’autres Oranaises connaîtront les
poursuites ou l’emprisonnement (Gaby Gimenez ou Joséphine Carmona...) durant la
Guerre de libération nationale. L’une des filles, Paulette, étudiante en
médecine, devait même accoucher en prison. Aline, qui fut emprisonnée, a été
ensuite transférée dans des pénitenciers en France, où elle subit des
traumatismes dont elle ne s’en est jamais remise. Les Oranais, en particulier,
et les Algériens, en général, qui vivent dans une Algérie indépendante sauront
garder en mémoire les engagements et l’action de cette authentique famille de
résistants. Que tous reposent en paix !
Aline Larribère,
91 ans, épouse Schecroun, est décédée le 30 mai 2024
en France. Plus jeune des cinq filles Larribère
engagées dans la lutte algérienne à Oran, suivant les traces de son père le
docteur Jean-Marie Larribère, elle était la
survivante d’une famille oranaise qui a aimé et beaucoup donné pour
l’Algérie.
La défunte devait être inhumée lundi 10 juin au
cimetière de Fontenay-sous-Bois où elle vivait depuis sa sortie de la prison coloniale
en 1962. Aline Larribère s’est engagée au Parti
communiste algérien à l’âge de 17 ans, au moment de la grève des dockers d’Oran
(1953). Elle y était aux côtés de son père qui avait participé activement aux
manifestations syndicales en solidarité avec le mouvement
indépendantiste.
Le mot d’ordre était de refuser de charger les bateaux
en partance pour l’Indochine. Le docteur Larribère
avait été interpellé et enfermé plusieurs jours. Avec sa sœur Paulette, la
militante Aline Larribère avait, quant à elle, été
arrêtée, en même temps qu’Emile Schecroun, son époux,
militant du PCA, en septembre 1956 lors du démantèlement du maquis de Tlemcen
dans les sinistres «caves du Trésor d’Oran». Emile fut
torturé pendant trois jours et trois nuits en présence d’Aline. Ils ont été
emprisonnés dans de terribles conditions jusqu’à l’indépendance.
LA CLINIQUE LARRIBERE DÉBAPTISÉE
Ironie du sort, en
2017, la clinique Larribère, qui avait conservé un
nom chargé de gloire, après l’indépendance, avait été débaptisée. Une alerte
avait été alors lancée par l’Association féministe pour l’épanouissement de la
personne et l’exercice de la citoyenneté (AFEPEC). La famille Larribère, essentiellement les petits-enfants, avait signé
une lettre émouvante : «Cela ne peut qu’être l’œuvre
de personnes ignorantes de son histoire et de la signification du nom qu’elle
porte», écrivaient-ils. D’autant que l’engagement des Larribère
contre le colonialisme, pour l’indépendance et pour la justice sociale, était
avéré sur plusieurs générations. Le docteur Jean-Marie Larribère,
militant de la liberté, et son épouse Yvonne avaient transmis à leurs cinq
filles cette implication dans la résistance active pour l’Algérie indépendante.
La famille note : «Le docteur Jean-Marie Larribère était considéré par l’OAS comme le ‘‘médecin du
FLN’’ qui exerçait dans cette clinique devenue un lieu de passage, de soins, de
repos et de planque pour les militants de l’indépendance à qui il faisait
parfois traverser la frontière algéro-marocaine. Les assassins de l’OAS
s’étaient particulièrement acharnés contre lui, en essayant de le liquider». Ainsi le 24 mars 1962, la clinique avait été
plastiquée. A l’indépendance, le docteur Jean-Marie Larribère
a œuvré auprès du ministère de la Santé Nekkache,
pour généraliser et démocratiser la méthode de
«l’accouchement sans douleur» qu’il avait introduite en Algérie dans les
années cinquante, suite à un séjour en Union Soviétique.
UNE FAMILLE DE MILITANTS
On ne peut pas parler
de tous les faits militants des membres d’une famille courageuse mais citons le
frère de Jean-Marie, Camille Larribère, membre du
Parti communiste algérien, actif parmi les paysans de l’Oranie et qui avait pris
position dès 1952 pour la lutte armée. En 1955, il fut l’un des organisateurs
des Combattants de la Libération (CDL), maquis du PCA qui rejoignirent ensuite
les rangs de l’ALN.
Lucette Larribère, fille de
Jean-Marie, fut l’épouse du militant Bachir Hadj Ali. Son autre fille Paulette Larribère a fait 14 mois à la prison d’Oran où elle a
accouché. Son mari Daniel Touboul a été torturé au
commissariat de la Marine, pour ensuite faire trois années de prison à Oran et Berrouaghia. Les petits-enfants avaient écrit : «Nous avons été recueillis dans cette clinique par nos
grands-parents. Nous échangions entre nous sur ce qui était le mieux : un père
décédé (assassiné), une mère en clandestinité, deux autres en prison, deux
pères internés… dans tous les cas, nos parents n’étaient pas auprès de nous…
Voilà ce qu’était la clinique Larribère pendant la
guerre d’indépendance.»