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POLITIQUE/EUROPE 2024
Communication politique : à la conquête de la nouvelle génération.
©https://jai-un-pote-dans-la.com/Edwige Brelier,
27 mai 2024
4https://jai-un-pote-dans-la.com/com-politique-new-generationhttps://jai-un-pote-dans-la.com/com-politique-new-generLes élections
européennes de 2024 approchent à grands pas : les représentants français qui
siégeront au Parlement européen seront élus les 8 et 9 juin prochains. Une
belle occasion pour parler de communication politique ! À l’heure des réseaux
sociaux et au sein d’une société ultra-médiatisée,
quelle stratégie électorale adopter ? Chaque citoyen pouvant désormais filmer
les moindres faits et gestes des politiques directement depuis son téléphone
portable, la prudence est de mise, et la – bonne –
communication primordiale.Pour
communiquer auprès de la bonne cible, un travail de segmentation est également
de mise. L’enjeu principal ? Établir des liens avec son audience, tout en
restant authentique. En effet, les candidats doivent combler la distance qui
s’instaure de plus en plus entre eux et les citoyens français. Mais ce n’est
pas tout : la notoriété ne s’acquiert pas du jour au lendemain, et l’appartenance
à un parti politique n’est pas une garantie pour se faire remarquer. La
stratégie de communication devra par conséquent être finement pensée, en amont
comme en aval des élections.Mais
comment communiquer auprès de la jeune génération tout en s’adaptant à leurs
codes de langage ? Quelles plateformes privilégier ? L’avènement des réseaux
sociaux est-il un avantage pour les candidats et pour la citoyenneté, de
manière générale ? Enfin, comment faire pour communiquer efficacement tout en
structurant son discours ? Pour répondre à toutes ces questions, nous avons
rencontré Charles-Marie Boret, consultant en
communication publique, associé du cabinet Mutations & Stratégies,
intervenant à SUP’DE COM en « communication publique et politique »
et en « éthique et RSE ».
JUPDLC : Quelles ont
été les stratégies de communication les plus marquantes lors des élections
européennes de 2019 ?
Charles-Marie Boret : Nous
avons vécu la réplique du séisme qu’avait représenté l’élection d’Emmanuel
Macron en 2017, un président élu très jeune et hors des partis traditionnels.
En 2019, nous avons vu des stratégies électorales qui misaient sur la poursuite
et l’amplification de la reconfiguration du paysage des partis politiques et
l’émergence de nouveaux visages : c’est là qu’ont commencé le parcours national
et la construction de notoriété de Jordan Bardella.
Les partis dits « de gouvernement » des années 1981 à 2010 ont
été laminés. Depuis lors, il y a un bloc central et centriste, entouré à droite
et à gauche d’oppositions radicales plus fortes que précédemment.
JUPDLC : Si l’on se réfère au langage utilisé au fil des communications
politiques, avez-vous constaté des transformations ? Quelles sont-elles, et
quel est l’objectif ?
Charles-Marie Boret :
D’abord, aujourd’hui, toute parole ou tout geste sont enregistrés, donc on fait
attention. L’expression politique – que ce soit celle des élus ou des candidats
en période électorale – est bien calibrée, parfois trop d’ailleurs.
En amont de la communication, il y a un travail de segmentation qui conduit
à s’exprimer en direction de publics bien définis auxquels on délivre des
messages adaptés dans leur contenu et dans leur forme : par exemple, les jeunes, et parmi eux les jeunes diplômés, les
jeunes des quartiers, les jeunes femmes, les jeunes en apprentissage, les
jeunes en difficulté scolaire, les jeunes entrepreneurs, les jeunes sous chaque
angle… On peut le regretter, mais c’est aussi l’adaptation à une société
hypermédiatisée.
Cette approche est aussi en partie due et en tout cas alimentée par le
fonctionnement médiatique où les réseaux sociaux priment de plus en plus – ils
sont le point d’entrée principal vers l’information aujourd’hui, même en
matière politique – et on sait aussi qu’ils fonctionnent avec des publics se
regroupant autour des mêmes idées ou centres d’intérêt. C’est assez pratique
dans la construction d’un plan de communication mais peu propice pour construire
du collectif. Pour reprendre mon exemple, c’est vrai qu’à force de parler à des
publics jeunes segmentés, on en vient à oublier de s’adresser à la jeunesse sur
des sujets globaux et une vision globale du projet de société.
JUPDLC : Quels sont les principaux enjeux de la communication politique à
l’approche des élections européennes 2024 ?
Charles-Marie Boret : L’enjeu
de la communication est toujours de réussir à établir des liens : écouter,
c’est-à-dire analyser les attentes, puis les passer au tamis de son propre
positionnement pour traduire les intentions de réponses en concepts lisibles et
attractifs en trouvant les voies et les moyens de se faire entendre et comprendre.De grands enjeux de nos vies se jouent au niveau
européen avec le cadre réglementaire qui est fixé à Bruxelles ; donc le but de
la communication est de faire le lien entre ces sujets qui nous touchent et le
vote pour sa candidate ou son candidat.Si l’on
regarde la politique comme un marché d’offre et de demande, ce qu’elle n’est pas
de façon générale mais ce qu’elle tend à être pour des élections, la
particularité cette année pour les élections de juin, c’est qu’en France et à
l’échelle européenne, il semblerait bien que les « offres » alternatives
puissent supplanter les « offres » traditionnelles.
JUPDLC : Comment les
politiques s’adaptent-ils au langage et aux codes des jeunes électeurs ? En quoi
la communication politique a-t-elle évolué pour toucher une génération habituée
aux médias sociaux ?
Charles-Marie Boret : Il y
a deux approches qui se cumulent parfois : d’abord, des têtes jeunes – voyez
l’âge des têtes de listes LFI Manon Aubry, RN Jordan Bardella,
PCF Léon Deffontaines ou Reconquête Marion Maréchal…Ensuite, il y a bien sûr
l’utilisation des médias jeunes, notamment la présence sur les réseaux sociaux
estampillés jeunes, comme TikTok. De plus,
l’antériorité et la notoriété déjà acquises sont importantes : Manon Aubry et
Raphaël Glucksmann (PS, place publique), qui ne sont
pas les leaders de leurs mouvements, mais sont en revanche des têtes de listes
aux européennes pour la deuxième fois et capitalisent. En revanche Marie
Toussaint (EELV) et même Valérie Hayer (Renaissance,
majorité présidentielle) sont à la traîne en termes d’audience.L’une des plus jeunes têtes de liste, Léon
Deffontaines, n’est pas sur TikTok
et a le moins d’abonnés sur X et sur Facebook. De l’autre côté de l’échiquier
politique, Jordan Bardella est le champion sur TikTok et est également très suivi sur X ; c’est le cas
également, dans une moindre proportion, de Marion Maréchal, qui en revanche est
la plus suivie sur Facebook.Marie Toussaint semble
avoir ouvert son compte il y a quelques semaines sur TikTok
; cela ne suffira pas pour y créer une réelle audience. En revanche, Raphaël Glucksmann n’a pas créé de compte sur ce même réseau social
pour la campagne et il a sans doute raison. Il est cependant très suivi sur X.
De son côté, FX Bellamy (LR) est depuis longtemps sur TikTok
ainsi que sur X et Facebook, avec des chiffres très respectables mais génère un
faible écho en proportion de ses abonnés. Quant à Florian Philippot et François
Asselineau, ils ont tous les deux une audience très
forte. Mais, on le voit avec ces deux derniers, les candidats qui suscitent le
plus d’engagement sur les réseaux (comme Philippe Poutou lors des débats aux
présidentielles de 2022) – au passage nous pouvons noter que ce ne sont pas les
plus jeunes – ne sont pas forcément ceux qui attireront le plus les électeurs.
Le score d’engagement le plus élevé n’est pas la garantie du score électoral le
plus élevé.Il y a un autre
plan à prendre en compte. Le travail de construction de la notoriété et de
l’image se complique du fait que le candidat – notamment la tête de liste – est
aussi le représentant d’une autre « marque« ,
le parti politique, qui possède son propre positionnement et génère sa propre
stratégie de prise de parole et de visibilité.
JUPDLC : Certains politiques ont eu recours à des stratégies de
communication novatrices grâce au digital : création de Reels,
hologrammes, entretiens “décontractés” avec des influenceurs… Selon vous, quels
impacts ont ces méthodes en termes de proximité, d’authenticité, mais aussi de
réputation ?
Charles-Marie Boret : Vous
avez prononcé le mot-clé : l’authenticité. Et j’y ajouterai celui de la
légitimité de l’émetteur telle qu’elle est ressentie par le récepteur. Ce n’est
pas seulement une question d‘âge – quoique – mais l’essentiel
demeure quand même de toucher des publics et, si possible, vos publics cibles.Toutes les études le
montrent, la distance ne cesse de grandir entre les politiques et les citoyens.
La méfiance grandit et même l’indifférence : de plus en plus de personnes non
seulement ne croient pas mais surtout n’écoutent plus les politiques car ils
ont l’impression que leurs mots ne s’impriment pas sur le réel. Donc il faut
utiliser tous les vecteurs possibles pour aller au devant
et recréer ce lien.L’usage
d’un hologramme par Jean-Luc Mélenchon lors de sa campagne présidentielle a été
un grand moment… Mais d’abord et avant tout parce qu’il est un grand orateur et
que l’usage de cette technologie permettait de revisiter la forme classique du
meeting électoral en démultipliant sa présence. Pour autant, si ça n’est pas
plus systématiquement employé malgré le coût (plus de 2 millions d’euros pour
dix réunions simultanées) c’est bien que ce n’est pas la panacée.Sur les réseaux sociaux, il est intéressant
de constater qu’une bonne partie de la production de contenus consiste en
extraits et montage de prises de paroles dans des médias traditionnels,
notamment les interviews et les débats télévisés. Mais, certains s’approprient
et utilisent mieux les codes propres à chaque réseau, c’est le cas par exemple
de Florian Philippot avec des vidéos face caméra, ce qui explique en grande
partie son audience sur TikTok.Établir des liens et
avoir des entretiens avec les influenceurs est un relais très intéressant,
pourquoi s’en priver ? Au contraire. Il faut l’appréhender de la même manière
qu’avec des journalistes : s’adresser aux citoyens à travers un médium. Il faut
trouver l’équilibre entre rentrer dans le concept, tout en restant soi-même et
en maîtrisant la part importante du message que représente la mise en scène ;
pour le dire de façon imagée on ne va pas se risquer à faire une interview en
essayant de grimper un bloc parce qu’on parle à l’influenceur du milieu de
l’escalade.
JUPDLC : Outre les politiques, de plus en plus d’influenceurs incitent les
jeunes à aller voter grâce à leurs diverses publications, et les sensibilisent
sur l’impact de leur vote. Qu’en pensez-vous ?
Charles-Marie Boret : C’est
très bien. Cette influence est bienvenue pour une bonne cause, celle de la
citoyenneté qui s’exerce dans le vote. Il y a un enjeu qu’on ressent désormais
à chaque élection, car il est vital pour l’acceptation même de notre
fonctionnement en commun, c’est celui de la participation électorale.Le score aux européennes de 2018 était
plutôt bon avec plus de 50 % de participation, le meilleur depuis 1994 pour des
élections européennes. Depuis il y a eu la crise Covid
qui a gravement affecté la participation électorale aux municipales en 2020,
puis les régionales et départementales en 2021 où les taux ont été très
faibles, mais pour des élections qui sont peu lisibles pour les citoyens. La
participation a ensuite été correcte aux présidentielles et faible aux
législatives en 2022.Pour l’instant, on ne sent pas un grand intérêt envers les
élections européennes, mais ça va monter doucement. Les citoyens ont bien
compris que l’Union européenne et ses décisions les concernent directement, on
l’a vu dans la crise agricole ou dans les débats autour de l’immigration ou
encore sur le pacte vert. Donc, j’ai quand même un certain espoir d’une participation
correcte : proche ou au-dessus de 50 %, ce serait un bon chiffre !
JUPDLC : Quelles recommandations pouvez-vous formuler pour une
communication politique efficace, notamment auprès des jeunes électeurs ?
Charles-Marie Boret : La
première recommandation c’est de savoir de quoi on parle car la communication
politique couvre de nombreux domaines : communication d’accompagnement des
politiques publiques au niveau local ou national, communication de causes
civiques et citoyennes,communication
d’influence, communication électorale… Et certaines activités comme la
représentation d’intérêts (le lobbying) ou les campagnes sont très encadrées
par la loi.En tout cas,
selon moi, toujours et surtout, bien travailler le positionnement et le fond,
savoir ce qu’on veut dire et à qui, jouer sur toute la palette d’outils et
créer ses contenus en misant beaucoup sur les médias maîtrisés et partagés que
sont les réseaux sociaux, organiser la forme en écho au fond, s’attacher aux
signaux non verbaux. Et ne pas oublier le service après-vente. La communication
politique est trop souvent assimilée à de la com’ dans le mauvais sens du terme
– les « coups de com’ » ou « c’est de la com’ »
– donc il faut œuvrer beaucoup en amont – pour structurer le discours
et le plan d’actions – mais tout autant en aval pour montrer et
démontrer l’utilité de l’action menée.