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Apulée de Madaure ("L'Ane d'Or", roman)

Date de création: 22-05-2024 10:42
Dernière mise à jour: 22-05-2024 10:42
Lu: 131 fois


CULTURE- LITTERATURE- APULÉE DE MADAURE ( « L’ÂNE D’OR »)  

 


APULEE, L’ENFANT PEU CONNU DE M’DAOUROUCH

 

© Pr Ahmedd Cheniki, Fb, 16 mai 2024

 

Je ne sais pas si beaucoup de mes lecteurs ont lu L’âne d’or d’Apulée de Madaure (M’daourouch). Je ne sais si, à M’daourouch, on en parle ou on le considère comme un auteur étranger. Franchement, je n’en ai aucune idée. On a souvent considéré ce texte, parfois Don Quichotte comme le premier roman de l’histoire de la littérature, mais sans une définition précise de ce mot qui paraît peu définissable. Certains considèrent d'ailleurs Apulée comme le premier romancier avant terme. Je ne sais personnellement pas ce qu'est réellement un roman, ses caractéristiques. Apulée est comme les autres récits que je li depuis mon enfance.

Peut-être a-t-on voulu lui accorder ce statut pour légitimer le discours européocentriste ou l’altérité dominante. Tout est possible d’autant que ce type de textes narratifs en prose existaient dans d’autres territoires, en Egypte, en Asie, en Arabie et ailleurs. Pour Sade, ce qu’il appelle roman serait né en Egypte comme l’expression d’amours perdues enveloppées par une sorte de sacré alors qu’André Breton évoque une certaine « vacuité du genre romanesque » qu’allait peut-être confirmer la sortie du nouveau roman, il serait peut-être, si on suit Lukacs, l’expression de l’avènement de la bourgeoisie.

Dans tout cela, qui est donc le premier ou le dernier ? Ce n’est nullement important. Mais au-delà de cette histoire de premier roman, il y a plus grave, l’absence d’une définition consensuelle, mais paradoxalement, c’est une réalité qui donne à lire le texte en prose comme espace commun à toutes les cultures, allant dans le sens de cette idée de race et de civilisation humaine au singulier (Lévi-Strauss, Edgar Morin). Je suis incapable de proposer une définition juste et belle de la littérature.

On sait néanmoins que le texte du conteur de M’daourouch s’est imposé comme un espace littéraire majeur. Son histoire est simple : un aristocrate, Lucius, se retrouve transformé par une grossière erreur de sa maîtresse en âne. Pour recouvrer sa nature première, il est condamné à manger continuellement des roses, ce qui va l’amener à entreprendre un long voyage.

Ainsi, se mêlent dans ce très beau récit fait d’humour et de tragique des scènes érotiques, des situations dramatiques, d’amours singulières et de magie particulière. C’est à la première personne que sont racontées ces histoires enchâssées, avec des intrigues simples et de nombreux rebondissements. Il y a aussi des contes de chez nous. Le lecteur s'y retrouvera. Une lecture très agréable, jouissive. J'aime beaucoup ce livre.

Je ne sais pas, mais j'ai fait des rapprochements avec les 1001 nuits et Don Quichotte, ici comme dans ces deux textes cités, le fantastique et le merveilleux semblent dialoguer dans une sorte d'affabulation sublimée avec le réel.

J’ai un rapport particulier avec « L’Ane d’or ». Le grand metteur en scène français, Antoine Bourseiller m’avait fait appel en 2008, à l’instigation de l’encyclopédiste et écrivain Michel Corvin, pour faire partie comme conseiller artistique de son projet d’une superproduction consacrée à une adaptation de L’Ane d’Or d’Apulée de Madaure (l’actuelle M’daourouche). C’est ainsi, suite à mes lectures que j’ai commencé à découvrir les relations conflictuelles d’Augustin (354, Thagaste-Souk Ahras-430, Hippone-Annaba) avec Apulée (125, Madaure, 170), Tertullien (entre 150 et 160- Carthage 220-Carthage) et Cyprien (200-258). Il n’admettait pas leur sens de l’autonomie et leurs choix politiques. J'ai essayé aussi de comprendre la position de Saint-Augustin à propos d’Apulée.

Toute lecture essentialiste est peu crédible. Il faudrait donc lire le texte en le situant dans son époque et en interrogeant les conditions de sa production. Ainsi, celui qui oppose sa cité idéale, celle de Dieu à la cité terrestre faite d’imperfections, les « fils de la chair » et les « fils de la promesse » est sérieusement différent d’Apulée (né vers 123 à Madaure, actuelle M'daourouch, décédé probablement après 170), écrivain médio-platonicien, auteur de « l’Ane d’or » qui, lui, avait été traité de tous les noms parce qu’il était considéré comme un sorcier et thaumaturge, se revendiquant Numide.

Saint-Augustin qui ne pouvait admettre le ton libre de ce philosophe-auteur qui a réussi à se défendre tout seul pour un délit de sorcellerie devant le tribunal, l’attaqua, deux siècles après, dans un de ses textes intitulé « De civitate dei à la théorie des démons de « Du dieu de Socrate » ». Le titre inaugure le protocole de lecture et donne à lire un texte d’Augustin reprenant à son compte, deux siècles plus tard, les accusations contre Apulée tout en contestant sa liberté de ton et ses sorties singulières. Les évêques de l’Eglise africaine, Tertullien, Cyprien et Donat qui s’était interrogé sur le rapport de l’empereur et de la religion : « Quoi de commun entre l’Empereur et l’Eglise ? », avaient toujours exprimé le désir de rester autonomes par rapport à Rome, déniant le droit à l’Empereur de s’occuper de l’Eglise.

Certains intellectuels maghrébins reprochent à Augustin ses attaques contre Apulée, mort deux siècles plus tôt, à celui qui ne pouvait admettre le ton libre de son compatriote et précurseur qui a réussi à se défendre tout seul pour un délit de sorcellerie devant le tribunal.

Apulée, né vers 125 à Madaure (aujourd’hui M’daourouch, mort vers 180 ? à Carthage), est très célèbre, notamment pour son texte, L’Ane d’or ou les métamorphoses. Avocat, rhéteur, poète, ce grand voyageur aimait s’adonner aux plaisirs de la vie. Jugé pour magie, il présenta un flamboyant plaidoyer qui fit de lui un avocat adulé qui finit sa vie à Carthage. Œuvres connues : Le dieu de Socrate ; De la doctrine de Platon ; Du traité du monde et de nombreux poèmes. Une grande partie de son œuvre a été perdue. Ecrivait dans les deux langues, le grec et le latin. En Algérie, on parle plus de Saint-Augustin que d’Apulée ou de Tertullien. Mon ami, le comédien et metteur en scène de théâtre, Tayeb Dehimi a adapté ce texte, il y a quelques années.

Ce récit nous permet encore d’interroger ces catégorisations souvent arbitraires et le discours « occidental » sur la littérature dont beaucoup de « vérités » seraient remises en question au cas où serait entamé un travail sérieux de comparaison avec les « littératures » d’autres continents.