CULTURE- LITTERATURE-
APULÉE DE MADAURE ( « L’ÂNE D’OR »)
APULEE, L’ENFANT PEU CONNU DE M’DAOUROUCH
© Pr Ahmedd Cheniki,
Fb, 16 mai 2024
Je ne sais pas si beaucoup de mes lecteurs ont lu L’âne
d’or d’Apulée de Madaure (M’daourouch).
Je ne sais si, à M’daourouch, on en parle ou on le
considère comme un auteur étranger. Franchement, je n’en ai aucune idée. On a
souvent considéré ce texte, parfois Don Quichotte comme le premier roman de
l’histoire de la littérature, mais sans une définition précise de ce mot qui
paraît peu définissable. Certains considèrent d'ailleurs Apulée comme le
premier romancier avant terme. Je ne sais personnellement pas ce qu'est
réellement un roman, ses caractéristiques. Apulée est comme les autres récits
que je li depuis mon enfance.
Peut-être a-t-on voulu lui accorder ce statut pour
légitimer le discours européocentriste ou l’altérité dominante. Tout est
possible d’autant que ce type de textes narratifs en prose existaient dans
d’autres territoires, en Egypte, en Asie, en Arabie et ailleurs. Pour Sade, ce
qu’il appelle roman serait né en Egypte comme l’expression d’amours perdues
enveloppées par une sorte de sacré alors qu’André Breton évoque une certaine «
vacuité du genre romanesque » qu’allait peut-être confirmer la sortie du
nouveau roman, il serait peut-être, si on suit Lukacs, l’expression de
l’avènement de la bourgeoisie.
Dans tout cela, qui est donc le premier ou le dernier
? Ce n’est nullement important. Mais au-delà de cette histoire de premier
roman, il y a plus grave, l’absence d’une définition consensuelle, mais
paradoxalement, c’est une réalité qui donne à lire le texte en prose comme
espace commun à toutes les cultures, allant dans le sens de cette idée de race
et de civilisation humaine au singulier (Lévi-Strauss, Edgar Morin). Je suis
incapable de proposer une définition juste et belle de la littérature.
On sait néanmoins que le texte du conteur de M’daourouch s’est imposé comme un espace littéraire majeur.
Son histoire est simple : un aristocrate, Lucius, se retrouve transformé par
une grossière erreur de sa maîtresse en âne. Pour recouvrer sa nature première,
il est condamné à manger continuellement des roses, ce qui va l’amener à
entreprendre un long voyage.
Ainsi, se mêlent dans ce très beau récit fait d’humour
et de tragique des scènes érotiques, des situations dramatiques, d’amours
singulières et de magie particulière. C’est à la première personne que sont
racontées ces histoires enchâssées, avec des intrigues simples et de nombreux
rebondissements. Il y a aussi des contes de chez nous. Le lecteur s'y
retrouvera. Une lecture très agréable, jouissive. J'aime beaucoup ce livre.
Je ne sais pas, mais j'ai fait des rapprochements avec
les 1001 nuits et Don Quichotte, ici comme dans ces deux textes cités, le
fantastique et le merveilleux semblent dialoguer dans une sorte d'affabulation
sublimée avec le réel.
J’ai un rapport particulier avec « L’Ane d’or ». Le
grand metteur en scène français, Antoine Bourseiller
m’avait fait appel en 2008, à l’instigation de l’encyclopédiste et écrivain
Michel Corvin, pour faire partie comme conseiller artistique de son projet
d’une superproduction consacrée à une adaptation de L’Ane d’Or d’Apulée de Madaure (l’actuelle M’daourouche).
C’est ainsi, suite à mes lectures que j’ai commencé à découvrir les relations
conflictuelles d’Augustin (354, Thagaste-Souk
Ahras-430, Hippone-Annaba) avec Apulée (125, Madaure,
170), Tertullien (entre 150 et 160- Carthage 220-Carthage) et Cyprien
(200-258). Il n’admettait pas leur sens de l’autonomie et leurs choix
politiques. J'ai essayé aussi de comprendre la position de Saint-Augustin à
propos d’Apulée.
Toute lecture essentialiste est peu crédible. Il
faudrait donc lire le texte en le situant dans son époque et en interrogeant
les conditions de sa production. Ainsi, celui qui oppose sa cité idéale, celle
de Dieu à la cité terrestre faite d’imperfections, les « fils de la chair » et
les « fils de la promesse » est sérieusement différent d’Apulée (né vers 123 à Madaure, actuelle M'daourouch,
décédé probablement après 170), écrivain médio-platonicien, auteur de « l’Ane
d’or » qui, lui, avait été traité de tous les noms parce qu’il était considéré
comme un sorcier et thaumaturge, se revendiquant Numide.
Saint-Augustin qui ne pouvait admettre le ton libre de
ce philosophe-auteur qui a réussi à se défendre tout seul pour un délit de
sorcellerie devant le tribunal, l’attaqua, deux siècles après, dans un de ses
textes intitulé « De civitate dei à la théorie des
démons de « Du dieu de Socrate » ». Le titre inaugure le protocole de lecture
et donne à lire un texte d’Augustin reprenant à son compte, deux siècles plus
tard, les accusations contre Apulée tout en contestant sa liberté de ton et ses
sorties singulières. Les évêques de l’Eglise africaine, Tertullien, Cyprien et
Donat qui s’était interrogé sur le rapport de l’empereur et de la religion : «
Quoi de commun entre l’Empereur et l’Eglise ? », avaient toujours exprimé le
désir de rester autonomes par rapport à Rome, déniant le droit à l’Empereur de
s’occuper de l’Eglise.
Certains intellectuels maghrébins reprochent à
Augustin ses attaques contre Apulée, mort deux siècles plus tôt, à celui qui ne
pouvait admettre le ton libre de son compatriote et précurseur qui a réussi à
se défendre tout seul pour un délit de sorcellerie devant le tribunal.
Apulée, né vers 125 à Madaure
(aujourd’hui M’daourouch, mort vers 180 ? à
Carthage), est très célèbre, notamment pour son texte, L’Ane d’or ou les
métamorphoses. Avocat, rhéteur, poète, ce grand voyageur aimait s’adonner aux
plaisirs de la vie. Jugé pour magie, il présenta un flamboyant plaidoyer qui
fit de lui un avocat adulé qui finit sa vie à Carthage. Œuvres connues : Le
dieu de Socrate ; De la doctrine de Platon ; Du traité du monde et de nombreux
poèmes. Une grande partie de son œuvre a été perdue. Ecrivait dans les deux
langues, le grec et le latin. En Algérie, on parle plus de Saint-Augustin que
d’Apulée ou de Tertullien. Mon ami, le comédien et metteur en scène de théâtre,
Tayeb Dehimi a adapté ce texte, il y a quelques
années.
Ce récit nous permet encore d’interroger ces
catégorisations souvent arbitraires et le discours « occidental » sur la
littérature dont beaucoup de « vérités » seraient remises en question au cas où
serait entamé un travail sérieux de comparaison avec les « littératures »
d’autres continents.