644 Algériens possèdent 972 biens d’une valeur estimée
à 620 millions de dollars. Parmi eux, on retrouve par exemple les noms de Abdesselam Bouchouareb, Nacim Ould
Kaddour, Mohamed Mokadem
alias Anis Rahmani, Nadjet Betchine et de Kamel Djoudi. Le
groupe Emarat Dzayer que
dirigeait Ahmed Hasan Abdul Qaher Al Sheebani détient beaucoup d’actifs en Algérie.
Les
résultats de l’enquête d’investigation, coordonnée par l’Organized
Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et le
journal norvégien E24 sur les propriétaires de centaines de milliers de biens
immobiliers à Dubaï, ont été publiés mardi 14 mai 2024 .
Dubai Unlocked est une
investigation associant 74 médias à travers 58 pays, dont le site algérien Twala.
Elle
comporte des détails sur des Algériens propriétaires de biens dans ce petit
émirat et leur utilisation sur la période allant de 2020 à 2022 notamment. Le
Consortium de journalistes, qui a mené cette enquête, a travaillé sur des
données fuitées de l’administration foncière de Dubaï. Le Center for Advanced DefenceStudies (C4ADS), une organisation à but non lucratif
basée à Washington, D.C., qui étudie la criminalité et les conflits
internationaux, a largement contribué à collecter toutes ces données.
Métropole
du luxe et de la démesure, ville interlope, Dubaï est aussi une destination
pour l’argent liquide illicite et une plaque tournante du blanchiment d’argent.
Elle attire influenceurs, stars du showbiz, hommes d’affaires et trafiquants en
tous genres. «Les corrompus et les personnes exposées
politiquement qui ne veulent pas rendre des comptes utilisent des juridictions
secrètes comme les Emirats arabes unis pour mettre leurs actifs à l’abri des
regards», a déclaré Maria Giuditta Borselli, gestionnaire de portefeuille chez C4ADS, cité par
Twala.
«Ce
type d’enquêtes est important pour savoir comment pouvons-nous accroître la
transparence des Etats qui tolèrent des activités illicites», explique Denise
Sprimont-Vasquez, gestionnaire de portefeuille dans le même centre.
En
somme, les Emirats sont un paradis fiscal. Selon les économistes de
l’Observatoire européen de la fiscalité et du Centre norvégien de recherche
fiscale qui ont analysé les données fuitées, la propriété étrangère sur le
marché immobilier de Dubaï valait environ 160 milliards de dollars en 2022.
Après des mois de vérification, les journalistes d’investigation ont identifié
de «nombreux propriétaires dont la présence à Dubaï
relève de l’intérêt général : des personnes poursuivies par la justice de leur
pays d’origine ou qui font l’objet de sanctions internationales ainsi que
des personnes exposées politiquement».
Entorse
à la loi
Dans le listing des propriétaires étrangers, analysé
par le Consortium, on retrouve des centaines
d’Algériens. 644 Algériens, exactement, possèdent 972 biens d’une valeur
estimée à 620 millions de dollars. Il y a lieu de rappeler que la
législation nationale interdit aux Algériens de se constituer des avoirs
monétaires, financiers et immobiliers à l’étranger à partir de leurs activités
en Algérie.
L’exception,
expressément prévue par la loi, n’autorise le transfert des capitaux à
l’étranger que pour ceux devant financer des activités complémentaires à leurs
activités en Algérie. Donc, tout Algérien résidant en Algérie et disposant d’un
bien à l’étranger, sans être nécessairement
impliqué dans des affaires de corruption, fait entorse à la loi.
Surtout
envers les services fiscaux. Dans la liste des propriétaires algériens de biens
immobiliers à Dubaï, on retrouve par exemple les noms de Abdesselam
Bouchouareb, ex-ministre du temps du défunt président
Bouteflika, Nacim Ould Kaddour, fils aîné de l’ancien PDG de Sonatrach, Mohamed Mokedem alias Anis Rahmani,
patron du groupe médiatique Ennahar, Nadjet Betchine, la fille du
général Betchine, ancien patron de la Sécurité de
l’armée et conseiller de l’ancien président Liamine Zeroual, et Kamel Djoudi, ancien PDG du groupe Imetal.
Selon
Twala, Abdesselam Bouchouareb, condamné par défaut par la justice algérienne
en 2019 à 20 ans de prison, a trouvé refuge à Dubaï en 2022 après avoir résidé
auparavant à Paris, où il possédait des biens immobiliers.
L’hostilité
de cet émirat envers l’Algérie, maintes fois dénoncée par le président
Abdelmadjid Tebboune, fait qu’il est important que Bouchareb
– qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international–, soit livré à la justice
algérienne. Les liens qu’entretient Bouchouareb avec
l’émirat de Dubaï ne datent pas cependant de 2022. Son compte suisse révélé en
2016 par les Panama Papers était domicilié à Genève dans une banque émiratie,
la NBAD Private Bank, sous couvert d’une coquille
vide nichée au Panama, la Royal Arrival Corp.
Cette
révélation l’avait assassiné politiquement, lui qui était pressenti pour
prendre la chefferie du gouvernement. Ayant quitté le pays juste avant la chute
de Bouteflika en 2019, Bouchouareb a été repéré un
temps à Paris avant qu’il ne se réfugie à Dubaï. Il y possédait un appartement
de 100,27 mètres carrés dont la valeur avait été estimée à 736 700
dollars.
Un
cadre du secteur marchand de l’Etat figure dans le listing algérien. Il s’agit
de l’ancien PDG du groupe Imetal, Kamel Djoudi, et actuel secrétaire général de l’Union arabe du
fer et de l’acier. Il avait fait carrière dans les Sociétés de gestion des
participations (SGP) de l’Etat «Conserves, Jus et
Boissons» et «Mécanique et Electronique». En 2015, Djoudi
devait restructurer le groupe et conduire les investissements qui devaient être
réalisés notamment dans le complexe Sider El Hadjar qui venait d’être repris aux Indiens Mittal Steel.
Une partie des investissements prévus à El Hadjar
impliquait des partenaires émiratis.
Al
Sheebani, un personnage-clé
C’est Bouchouareb qui
l’avait annoncé à l’époque après avoir pesé de son poids pour faire capoter la
transaction de reprise du complexe par le groupe privé Cevital.
Le groupe Imetal s’était ainsi associé avec le groupe
EmaratDzayer dans une joint-venture appelée Emarat Dzayer Steel Company pour créer une nouvelle aciérie au sein du complexe
d’El Hadjar pour 1,6 milliard de dollars américains.
Le
groupe Emarat Dzayer que
dirigeait Ahmed Hasan Abdul Qaher Al Sheebani détient beaucoup d’actifs en Algérie. Il est
présent notamment dans l’immobilier (Moretti 2) et la distribution du tabac
dont il est associé avec Madar à travers la Staem et UTC. Annoncé sept mois après le limogeage de Djoudi, ce partenariat qui a eu l’aval du Conseil des
participations de l’Etat en mars 2018 n’a toujours pas vu le jour.
La
disgrâce de Bouchouareb en 2017 et plus tard la chute
de Bouteflika a dissuadé les promoteurs du projet. Al Sheebani
avait quitté le pays en catastrophe dès les premières manifestations
anti-Bouteflika. Il n’y a jamais remis les pieds. Mais, beaucoup de ceux qui
ont croisé son chemin en Algérie ont pu disposer d’un pied à terre à Dubaï.
Kamel Djoudi possède un appartement de 41,78 mètres
carrés d’une valeur estimée en 2022 à 158 000 dollars.