VIE POLITIQUE-
POINTS DE VUE ET OPINIONS- DEMOCRATIE ET AFRICANISATION
AU REGARD DE L’ACTUALITÉ
AFRICAINE CONTEMPORAINE PEUT-ON PARLER D’AFRICANISATION DE LA DÉMOCRATIE ?
© Dr KOMIDOR NJIMOLUH HAMIDOU , Politologue/El Moudjahid, (Contribution) ,
dimanche 14 avril 2024
J’entre de plain-pied dans ce débat
provoqué par la résonance des termes «africanisation
de la démocratie», «mode de gouvernance», «endogénisation
africaine des principes de la démocratie». La démocratie n’est pas un modèle
fini, achevé et déposé en lieu sûr ( en occurrence en
Europe) qui sert de mesure ou de référence universelle de gouvernance pour
tous. La démocratie, entendue comme mode d’organisation des sociétés humaines,
mode de répartition et de gestion des pouvoirs, ou simplement mode
d’administration et de constitution d’État de droits, n’est pas une donnée en
soi. Elle est une construction de l’esprit des hommes. Elle a muri selon les
époques, selon les lieux et les circonstances, selon différents environnements
et conceptions philosophiques ou cosmogoniques. Elle est aussi fonction des
hommes et femmes au service de la société. La démocratie est in fine ce qu’en
fait un leadership d’une société donnée. Ainsi donc un leadership éclairé,
attaché à l’intérêt général, ayant adhéré à l’idéal des valeurs communément partagées
par ladite société, met en place un modèle démocratique en adéquation avec les
valeurs en vigueur dans ladite société. La démocratie n’est point une invention
occidentale. Elle a été découverte bien longtemps chez les Égyptiens et Solon,
père grec de la démocratie, la découvre dans les papyrus de la Vie dynastie
égyptienne. On la découverte chez les Athéniens comme
participation directe d’une minorité du peuple à la gestion de la cité. On la découverte dans les villes phéniciennes ou sous l’arbre à
palabre bantoue sous forme de prise de parole, d’élection, ici, ou
d’élaboration des lois de gestion sociétale, ailleurs. C’est dire que la
démocratie n’est pas et n’a jamais été un produit fini avec toutes ses
composantes : élection, expression libre, institutions gouvernantes, lois
organiques, mode de répartition et d’évolution des pouvoirs. Elle n’a jamais
été donnée comme modèle universelle d’organisation ou de gestion étatique. Elle
est ici où on la construite en fonction de la
démographie, des ressources de la société, de l’éthique, de la valeur reconnue
à l’homme et à la femme, ainsi qu’en rapport avec la valeur qu’on reconnaît à
la société. Le rapport de l’homme et la société n’est pas le même dans toutes
les sociétés.
C’est l’Afrique qui a subi l’esclavage
La méconnaissance de cela constitue
une dérive à la conception qui se veut occidentale de la démocratie. Il ressort
que l’Afrique d’aujourd’hui est une Afrique qui ne se reconnaît plus à travers
le miroir de nos ancêtres et anciens empires. C’est l’Afrique qui a subi
l’esclavage, dont les richesses du sol et du sous-sol ont été spoliées, volées…
C’est une Afrique culturellement en dysfonctionnement, en état d’hybridisme
depuis sa rencontre avec l’Occident. C’est une Afrique qui attend un passage en
psychiatrie pour retrouver son identité, désormais plurielle, et se construire
une nouvelle personnalité pour un leadership tant attendu. Les soubresauts au
Niger, au Mali et partout ailleurs en Afrique sont autant de signes révélateurs
que la démocratie est dans l’ADN de l’Afrique et de l’Africain. Elle se
manifestera et prendra la couleur locale de son expression. Elle attend qu’on
la laisse sans pression extracontinentale pour s’épanouir en mode de gestion
sociétale libre. Il faut dire que la démocratie n’est ni bonne ni mauvaise, ni
parfaite ni imparfaite. Elle demeure un principe en évolution permanente, en
construction continue, tout en épousant son siècle. C’est en 1265 que
l’Angleterre a connu son premier parlement : le parlement de Montfort. Les idées
de limitation des pouvoirs germent avec la Renaissance et apparaissent avec
l’habeas corpus en 1679… La République Corse et sa Constitution sont connues en
1755, et la Révolution haïtienne a instauré la République avant la France en
1791. Au 19e siècle, c’est l’apparition des partis politiques … C’est dire
combien la démocratie, une vue de l’esprit, est une lente maturation et pouvant
se muer aussi brutalement dans la séquence d’une révolution. L’éclosion
d’une élite africaine attachée à l’intérêt général
Ce qui attend l’Afrique, c’est
l’éclosion d’une élite africaine consciente, attachée à l’intérêt général,
décomplexée, jouant le jeu des intérêts africains et respectueuse des valeurs
africaines. Ce qu’il faut à l’Afrique, ce n’est pas une démocratie importée,
modèle déposé, mais une construction locale de l’État de droits, une forte
éducation au civisme, une forte contrainte contre la corruption, un grand amour
de la patrie et un fort sentiment d’appartenance à l’Afrique. L’Occident
contemporain calibre la démocratie à l’aune des désirs de l’individu. L’homme
occidental est évalué comme étant au-dessus de la société et il est maître de
ses désirs. La qualité de société démocratique est désormais fonction de
l’orientation sexuelle des individus et du degré de leur intégration dans une
société donnée. Il nous semble que l’Afrique a dit non à l’importation de cette
démocratie. Les domaines d’expression de la démocratie se sont multipliés vers
des tendances nouvelles : la démocratie participative adoptée par des communes
ou des collectivités locales, les consultations populaires, voire l’observation
des engagements des élus par de groupes de citoyens. Toutes ces formes sont
fonction des environnements, de la démographie, des ressources et des volontés
politiques. L’Afrique évoluera vers la démocratie de ses moyens, peut-être que
cela s’appellerait l’endogénisation des règles de la
démocratie, peut-être tout simplement une quête de bonne gouvernance, entendue
comme l’application et le respect des règles adoptées sans contraintes. En
attendant d’élargir un tel échange vers des spéculations de philosophie politique,
soumettons ce qui précède à la critique contradictoire et nourricière de
paradigmes nouveaux.