VIE POLITIQUE- POINTS
DE VUE ET OPINIONS- LA DEMOCRATIE (Pr AHMED CHENIKI)
©Pr
Ahmed Cheniki, Fb, avril 2024
LA DEMOCRATIE A GÉOMETRIE
VARIABLE
La démocratie est une
idée et une machine, elle n’appartient à nulle puissance ou autorité. Elle
n’est pas d’origine « occidentale », mais tout simplement grecque. Même à
Athènes, elle n’était nullement parfaite parce que c’était une pratique marquée
de lieux ou de moments hiérarchiques. La Grèce n’est pas Européenne.
En Andalousie, on avait nullement cherché à l’adopter, même si les penseurs
de l’époque revendiquaient ouvertement l’héritage grec. L’idée de démocratie a
été, par la suite, tardivement adoptée en Europe, expurgée de nombreux éléments
caractérisant son évolution. Mais, paradoxalement, l’Europe emprunta à Athènes
des pans de l’entreprise démocratique tout en évacuant ce qui fait la fierté de
la Grèce, l’idée de citoyenneté.
La lecture des textes
grecs, surtout les différentes tragédies, nous permet de comprendre
l’importance accordée à ce point. C’est à travers le conflit mettant en scène
la puissance divine et la volonté humaine que se manifestait la citoyenneté.
Aujourd’hui, la dimension humaine, sujette à un rapport de domination où
s’imposent les puissances de la finance, est carrément marquée du sceau de
l’absence.
C’est à l’ombre de la «
démocratie » que des populations ont été colonisées, d’autres massacrées, comme
en Amérique, en Amérique Latine, en Afrique et ailleurs. Et aujourd’hui à Ghaza où des populations subissent l’holocauste et le
génocide.
La démocratie est
l’espace, par excellence, de la mise en œuvre d’une équité sociale et
politique. Elle a horreur de ces maquignons de la politique et de la finance
qui, usant paradoxalement d’un discours fascisant, voudraient imposer tel ou
tel modèle «démocratique » ou rejetant telles ou
telles élections ne correspondant pas à leurs désirs.
Le « peuple » devrait
suivre l’avis du monde de la finance ou il serait indigne de jeu démocratique.
On décrète l’élection présidentielle au Venezuela « illégitime » parce que tout
simplement il fallait, selon eux, un autre président. Lula du Brésil serait
indigne d’être président parce qu’il permit à son «peuple
» de conquérir d’autres territoires sociaux et de sortir un peu plus de la
pauvreté. Poutine qui n’est nullement un modèle, même populaire, il est féru de
libéralisme économique, serait ainsi peu digne d’être choisi par les électeurs.
En Bolivie, Chili et ailleurs.
La « démocratie » qui
est certes, malgré ses nombreuses insuffisances, une entreprise intéressante,
permettant une certaine justice, excluant néanmoins toute possible égalité, est
utilisée à l’extérieur comme une machine de guerre, considérant le monde
extérieur comme peu digne. C’est en quelque sorte l’hypertrophie du moi qui
réduit l’altérité au seul « Occident ».
Si on suit cette
logique, de nombreuses élections en « Occident » seraient à refaire. L’Amérique
Latine a fait, en matière de jeux démocratiques, une extraordinaire avancée,
après avoir connu des décennies de dictature. Elle a permis de réinterroger la
pratique démocratique et d’apporter de nouveaux changements.
Aujourd’hui, la plupart
des pays organisent des élections beaucoup plus justes et transparentes que
celles que connaissent même les pays européens. Ce sont le plus souvent, les
forces de gauche qui arrivent à s’imposer après avoir vécu les affres de la
répression. Ceux qui triomphent depuis ces deux dernières décennies, proches de
leurs peuples, ne semblent pas gagner les faveurs d’une grande partie de la
presse et de nombreux politiques occidentaux. Seul Jimmy Carter, un homme
juste, avait considéré que les élections au Venezuela du temps de Chavez (qui a
remporté une quinzaine d’élections) étaient transparentes et exemplaires.
Les dirigrants
néolibéraux et « occidentaux ont toujours soutenu les régimes où il n’est pas
question de jeux démocratiques. Il y eut même des coups d’Etat, comme au Chili.
Au Brésil, le perdant, Bolsonaro, ne voulait pas
quitter la présidence, malgré l’évidence de la victoire de Lula.
Aujourd’hui, même en
Afrique, de nouveaux dirigeants excluent toute référence à un modèle, préférant
organiser de véritables démocraties, malgré la résistance des anciens chefs.
Comme au Sénégal par exemple.
Il s’est toujours posé
la question de la relation des pays « occidentaux », émetteurs du discours
dominant que devraient adopter tous les autres Etats, sous peine d’être
considérés comme non « civilisés » et sauvages. Dans tous les cas, ce sont les
anciens Etats colonialistes qui n’ont jamais abandonné leur domination qui
déterminent les jeux internationaux et imposent leur propre langage.
Quand des dirigeants
tentent d’emprunter une autre posture et de s’exprimer à partir de leur lieu de
dominé cherchant à mettre en œuvre un rapport relativement équitable, leur
parole devient inaudible : Mossadegh en Iran, Soekarno en Indonésie, Lumumba au
Congo, Nkrumah au Ghana, Ben Barka au Maroc, Allende au Chili, Arbenz au Guatemala, Chavez au Venezuela, Sankara au
Burkina Faso…
Les dirigeants des pays
du Sud, comme d’ailleurs leurs intellectuels, sont sommés de reproduire le
discours dominant, sans l’interroger, acceptant, volontairement ou
involontairement, leur position de subalternes. L’université, telle qu’elle
fonctionne, est condamnée à n’être qu’un simple espace de reproduction du
discours qui consolide davantage la posture de l’éternel colonisé. Les dirigeants
des pays colonisés acceptent souvent le diktat des anciennes puissances
coloniales.
Aujourd’hui encore, en
période de tragédie mondiale, aucune compassion, on laisse mourir des peuples à
Ghaza et en Syrie agressées au quotidien. Des peuples
condamnés à un blocus injuste comme Cuba se sauvent de ce mal et sauvent les
autres parce qu’ils ont su développer la matière grise, ils exportent des
médecins qui arrivent à sauver ce pays.