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Jeunesse/La lecture en France, 2024

Date de création: 11-04-2024 10:15
Dernière mise à jour: 11-04-2024 10:15
Lu: 167 fois


CULTURE- ÉDITION- JEUNESSE/ LA LECTURE EN FRANCE, 2024

© Alice Develey et Victoire Lemoigne/ Le Figaro, mardi 9 avril

« Le Figaro » révèle en exclusivité une étude alarmante, réalisée pour le Centre national du livre, concernant les 7-19 ans.

« Nous tirons la sonnette d’alarme. » Les résultats de la nouvelle étude sur les jeunes et la lecture réalisée par Ipsos pour le Centre national du livre (CNL), que révèle Le Figaro, sont préoccupants. Les 16-19 ans consacrent 1 h 25 par semaine à la lecture contre 5 h 10 par jour sur les écrans. « On ne peut plus inverser la tendance, on ne peut que la corriger », déplore Régine Hatchondo, présidente du CNL. Comment enest-on arrivé à un tel décrochage ?

Dans cette étude menée auprès de 1 500 jeunes Français âgés de 7 à 19 ans, interrogés du 25 janvier au 2 février 2024, on découvre l’ampleur du problème. Le diagnostic se résume

à un seul mot : écran. « Il y a eu une utopie internet, on s’est laissé éblouir », explique Régine Hatchondo. Et d’ajouter : «Il y a désormais un enfermement addictif avec le numérique. On peut parler de drogue, et, en cela, de nouvelle guerre de l’opium. » À l’heure où nous sommes inondés d’images permanentes, saturés d’informations, l’écran est à portée de main là où le livre demande un effort, une concentration.

 

Les enfants d’Instagram et de TikTok ont-ils encore l’esprit de discernement et l’attention suffisante pour résister aux sirènes de l’immédiateté que procure la technologie ? « Pour

préserver son jugement critique face aux écrans, il faut avoir une base très solide, une colonne vertébrale intellectuelle, dit encore Régine Hatchondo. Internet est allé plus vite que notre prise de conscience. » Beaucoup d’offres ont été mises en place par le CNL pour enrayer le phénomène : les Nuits de la lecture, le passe culture, le Quart d’heure de lecture, sans compter tous les festivals littéraires et les associations qui promeuvent le plaisir de

lire... Que nous dit cette étude ?

Quotidiennement, les jeunes passent 10 fois plus de temps sur les écrans

qu’à lire des livres .Le livre est d’abord une contrainte. 84 % des jeunes lisent pour l’école ,leurs études ou leur travail. Une fois qu’ils sont dans la sphère privée, les chiffres s’écroulent. Ils chutent à 68 % pour les filles (74 % en 2022) et 59 % pour les garçons (68 % en 2022) pour ce qui est de la lecture dans le cadre des loisirs. Un jeune sur quatre préfère faire autre chose de son temps libre, désormais cannibalisé par l’écran.

Les jeunes de 7 à 19 ans consacrent en moyenne 19 minutes par jour à la lecture, soit 4 minutes de moins qu’en 2022. Ils passent quotidiennement 3 h 11 sur les écrans, un temps qui ne cesse de s’allonger au fur et à mesure de l’âge. Dans le détail, les 7-12 ans passent 2 h 03 par jour sur les écrans, 5 h 10 pour les 16-19 ans. Ce chiffre-là coïncide avec le fait que ces tranches d’âge ne lisent pas du tout dans le cadre de leurs loisirs (seulement « 32 % lisent tous les jours ou presque »).

« Écrasé par la toute-puissance des écrans récréatifs, le livre se meurt dans le cul-de-sac des choix périphériques », lit-on dans Faites-les lire !, de Michel Desmurget (Seuil), qui explique qu’un gamin de quatrième passe par année sur son écran l’équivalent de trois an-

nées scolaires. La prise de conscience internationale est grandissante. « On voit que la Suède rétropédale sur le tout-écran à l’école. L’Espagne est en train de légiférer sur la limitation de la connexion des enfants », analyse Régine Hatchondo. Quid de la France ?

 

Quand les jeunes lisent pour leurs loisirs, ils se tournent prioritairement vers les BD,

les mangas et les comics 77 % des livres lus sont des BD, des mangas ou des comics, des chiffres en augmentation de 4 points par rapport à 2022. Le roman perd quant à lui 3 points mais se maintient à la troisième place des genres plébiscités par les jeunes. Dans le détail, les 10-12 ans préfèrent les romans d’aventures (51 %), les 13-15 ans, les livres de science-fiction (44 %). Quant aux 16-19 ans, ils se tournent en priorité vers les romans sentimentaux (52 %) puis vers les livres de science- fiction (42 %), et à 40 % vers la « dark romance » .Ce dernier genre suit les codes du roman sentimental en les inversant. Il mêle sexualité, violence, humiliation, emprise, viol, torture, rapt, relation toxique... Régine Hatchondo le déplore : « On n’a pas envie a priori à l’heure où la société a été sensibilisée par la vague #MeToo que dans les seuls livres qui intéressent les adolescentes, les filles

soient chosifiées. » Mais faut-il juger trop sévèrement ce que lisent ces jeunes ? La « dark romance » peut-elle être la planche de salut de la lecture ?

« Les lectrices choisissent de s’enfermer dans ce genre, mais elles ont encore leur libre arbitre, nuance la présidente. Ce qui n’est pas le cas avec les algorithmes des réseaux sociaux. »

Afin d’aider les jeunes à retrouver le chemin de la lecture, des listes de référence pour chaque cycle ont été mises à disposition des professeurs du primaire et du collège, en complément des programmes officiels. Mais elles sont établies à titre indicatif. Flaubert, Balzac, Zola, Stendhal, Bernanos... Ces noms sont hélas manquants.

Près dun jeune lecteur sur deux fait autre chose pendant ses lectures. On s’est intéressé à ce que les jeunes lisaient. Intéressons-nous maintenant à la manière dont ils lisent. D’après l’étude, 48 % des jeunes ont un écran à portée de main lorsqu’ils lisent. Les 7-19 ans sont 36 % à envoyer des messages (33 % en 2022), 34 % à regarder des vidéos (contre 26 % en 2022), 31 % à aller sur les réseaux sociaux (25 % en 2022), 28 % à parler au téléphone (19 % en 2022) et 27 % à jouer à des jeux vidéo (19 % en 2022).

La question subsidiaire est donc : que retiennent les jeunes de ce qu’ils ont lu ? Arrivent-ils encore à se concentrer ? Il aurait été intéressant de savoir, à la lecture d’un texte, ce qu’ils

ont retenu. D’après l’étude, ils sont plus de la moitié (61 %) à être incapables de lire plus de 30 minutes sans s’arrêter. Ils sont même 20 % à ne pouvoir poursuivre leur lecture au- delà de 15 minutes. De leur propre aveu, les jeunes qui ne lisent pas durant leur temps de loi-sirs sont 7 % à invoquer leurs difficultés de concentration comme un des principaux freins (une hausse de 10 points par rapport à 2022). Le premier restant qu’ils préfèrent s’adonner

à d’autres activités, et le deuxième que cela « ne les intéresse pas de lire ». La proportion de ceux qui « n’aiment pas trop ou détestent lire » progresse (3 points supplémentaires par rapport à 2022). À partir de 16 ans, ils sont 31 % à « ne pas trop aimer ou détester lire ».Une augmentation de 10 points par rapport à 2022.

18 % des jeunes déclarent qu’« aucun de leurs parents ne lit de livre ». « Il faut une sensibilisation majeure, et aider à faire exister le livre dans la maison », explique Régine Hatchondo. 63 % des jeunes Français déclarent qu’au moins un de leurs parents leur

demande de lire. Mais avant l’incitation verbale, cela commence par une exemplarité des adultes, qui eux aussi « doivent décrocher » de leur écran. « Le goût de la lecture se transmet, il s’apprend. La santé de l’enfant est aussi culturelle »,poursuit Régine Hatchondo. Car les parents eux-mêmes n’ont plus cette pratique de lecture. 18 % des

jeunes déclarent qu’aucun de leurs parents ne lit de livre. Une augmentation de 5 points par rapport à 2022. Voilà qui est regrettable, la lecture partagée pendant l’enfance étant « évoquée avec bonheur par ceux qui en ont bénéficié, puisque la quasi-totalité en garde un souvenir positif et que 61 % adoraient même ce moment », lit-on dans l’étude.

Il est à préciser que cette prégnance de la lecture varie peu selon le niveau social des parents : les CSP+ sont 88 % à lire, contre 77 % chez les CSP-. Quel que soit le milieu social, l’attrait pour la lecture reste le fruit d’un long processus d’imprégnation, dans un climat familial incitatif. Si cette appétence n’est pas transmise dans ce cadre, le livre restera inexorablement confiné à la sphère scolaire.