SCIENCE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ESSAI
IBN KHALDOUN – « LES PROLÉGOMÈNES »
Ibn Khaldoun (ou Ibn Khaldûn)
est sans doute le seul grand penseur de l'Histoire qui ne fut pas européen et
indéniablement le plus grand historien du Moyen Âge. Il raconte l'Histoire
universelle à partir des écrits de ses prédécesseurs, de ses observations au
cours de ses nombreux voyages et de sa propre expérience de l'administration et
de la politique. Son introduction, intitulée la Muqaddima
(les Prolégomènes en français), expose sa vision de la façon dont naissent
et meurent les empires. Ibn Khaldoun est issu d'une grande famille andalouse
chassée d'Espagne par la Reconquête chrétienne. C’est en 1350 (753 Hégire) que
commence sa carrière politique ; il passe au service du Mérinide Abu Ishaq. Il
entreprend un premier voyage coupé de plusieurs séjours dans les marges de
l’Ifriqiya, à Tébessa, ensuite Gafsa et, en dernier lieu, Biskra où il passe
l’hiver chez les Béni Muzni, amis de sa famille. Le
jeune érudit s’arrête pour quelques mois à Béjaïa (1352- 1353). Il fait venir
sa famille à Tlemcen (1375) et, pendant quatre ans, il demeure au château d’Ibn
Salama à Tagurzout, près de Frenda. C’est dans cette
retraite paisible qu’il rédigea la «Mukaddima».
Cette «introduction» au Kitab
al ‘Ibar (Histoire universelle) est son œuvre maîtresse. Cet ouvrage d’un
historien génial et parfaitement lucide compte six parties après l’introduction
où l’Histoire est définie comme une Science, les bases de la méthodologie de
l’historiographie sont exposées. La «Mukaddima»
est l’œuvre majeure d’Ibn Khaldoun réalisée au VIIIe siècle de l’Hégire (XIV de
l’ère chrétienne), grâce à laquelle il a lui été attribué l’invention d’une
nouvelle science, avec, toutefois, des divergences subsistant autour de la
nature de la discipline. Fut-il Théologien ?
Historien ? Sociologue ? Philosophe de l’Histoire ? La complexité de son œuvre
est telle que toutes les branches des sciences humaines peuvent prétendre
représenter la science qu’il a théorisée grâce à une pensée qui a transcendé
son époque et sa géographie, pour s’édifier comme un véritable patrimoine
scientifique et culturel de l’humanité. Autre fait capital, l’œuvre d’Ibn
Khaldoun se place dans la deuxième partie du XIVe siècle, c'est-à-dire dans ce
qu’on appelle la période de déclin de la civilisation musulmane. Cependant, il
est indispensable d’examiner les grands traits de cette civilisation dans sa
période de croissance et d’apogée. Car si les phénomènes de déclin de la
civilisation expliquent une partie de son œuvre, les conséquences
intellectuelles d’une société croissante quelques siècles plus tôt expliquent
des aspects de l’œuvre tout aussi importants. Sa façon d'analyser les
changements sociaux et politiques qu'il observe dans le Maghreb et la péninsule
Ibérique de son époque conduit à le considérer comme un précurseur de la
sociologie et de la démographie modernes. Les savants européens du XIXe siècle
reconnaissent l'importance des Prolégomènes, et considèrent Ibn Khaldoun comme
l'un des plus grands philosophes du Moyen Âge. Georges Marçais, historien,
orientaliste et universitaire français affirme que l'œuvre d'Ibn Khaldoun est «un des ouvrages les plus substantiels et les plus
intéressants qu'ait produits l'esprit humain». Selon Gabriel Martinez-Gros,
historien, spécialiste de l’histoire politique et culturelle d’Al Andalus, il «est le seul grand philosophe de l'histoire et du pouvoir
qui ne soit pas européen». Aux yeux des historiens contemporains, Ibn Khaldoun
est considéré comme le fondateur génial de l’histoire scientifique telle que la
conçoivent aujourd’hui certaines écoles, telles que l’école des Annales,
l’histoire des mentalités et autres. Plus simplement, il faut dire qu’Ibn
Khaldoun a introduit la sociologie et la plupart des sciences humaines dans la
trame historique. Donnant à sa recherche historique une dimension qui élève
l’Histoire au rang d’une Science, Ibn Khaldoun nous paraît étonnamment moderne
dans le rationalisme de sa démarche
CITATIONS : «L'histoire est une discipline des plus répandues entre les
nations (umam) et les races (ajyâl).
Le vulgaire voudrait la connaître. Les rois, les dirigeants la recherchent à
l'envie. Les ignorants peuvent aussi bien la comprendre que les gens instruits.
En effet, l'histoire n'est, en apparence, que le récit des événements
politiques, des dynasties (duwal) et des circonstances
du lointain passé, présenté avec élégance et relevé par des citations. Elle
permet de distraire de vastes publics et de nous faire une idée des affaires
humaines. Elle fait voir les effets des changements, elle montre comment telle
dynastie vient conquérir tel vaste pan de terre, jusqu'au jour où retentit
l'Appel, lorsque son temps fut révolu. Cependant, vue de l'intérieur,
l'histoire a un autre sens. Elle consiste à méditer, à s'efforcer d'accéder à
la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à
connaître à fond le pourquoi et le comment des événements. L'histoire prend
donc racine dans la philosophie, dont elle doit être comptée comme une de ses
branches.» «Le secret,
l'esprit du langage, c'est-à-dire de l'expression et du message, consiste à
communiquer des idées. Sans transmission de la pensée, le langage n'est qu'une
terre morte.»
«Chez les peuples animés d'un même esprit de corps, le
commandement ne saurait appartenir à un étranger.»
«M'introduisant, par la porte des causes générales, dans
l'étude des faits particuliers, j'embrassai, dans un récit exhaustif,
l'histoire du genre humain ; aussi ce livre rend-il accessible toutes les
leçons si difficiles à saisir de la sagesse; il assigne aux événements
politiques leurs causes et leurs origines, et forme un recueil philosophique,
un répertoire historique.»
«L’histoire (târîkh) est une branche du savoir au chemin escarpé ; elle
est de grande utilité et de noble but ; elle nous fait connaître les conditions
(ahwâl) des nations passées, des prophètes, des rois
respectivement quant à leurs caractères, leurs conduites, leurs dynasties et
leur politique. Ainsi qui le désire y peut bénéficier pleinement d'exemples
pour les choses religieuses ou mondaines.»