Ce
lundi 18 mars 2024 s’ouvre la 35e édition de la Semaine de la presse et des médias dans
l’école. Chaque année,
dans bon nombre d’établissements de la maternelle au lycée, ce rendez-vous
permet de « développer le goût pour
l’actualité », tout
en abordant avec les élèves des notions clés du travail journalistique, du
décryptage de l’information, à travers des présentations du paysage médiatique
ou des rencontres de rédactions.
Si
cette manifestation a son importance, elle ne suffit bien sûr pas à mener à
bien tous les objectifs énoncés ci-dessus. L’observation des pratiques informationnelles enfantines et
adolescentes, comme
l’analyse des situations d’apprentissage dans le monde scolaire mais aussi en
famille, en médiathèques ou dans les communautés associatives, plaident
incontestablement pour une banalisation de l’éducation aux médias et à
l’information (EMI).
Cette
éducation est une pierre angulaire du développement d’une culture générale.
Comment s’y prendre pour mieux l’ancrer dans le quotidien des jeunes
générations ?
Une recherche d’informations quotidienne :Dès l’enfance, les pratiques
informationnelles existent et participent du développement de loisirs et
d’activités. Prenons l’exemple d’Emeline, 10 ans. Passionnée de botanique,
elle effectue des recherches en ligne sur les plantes. De son côté, Aiden,
7 ans, utilise YouTube pour regarder « des vidéos de dessins pour
avoir des techniques et des idées », et ensuite Dès l’enfance aussi, ces pratiques
d’information témoignent d’un enjeu d’intégration sociale fort. Ainsi, Rémy,
scolarisé en CM2, raconte l’importance de ses recherches sur les faits de jeu
de son équipe de football préférée. Il les partage avec ses frères et son père
car, à la maison, on n’a plus les moyens financiers de se rendre au stade :
« Quand on en parle à l’école le lundi, c’est comme si j’étais allé à
Bollaert ! » . Cette intrication des
pratiques informationnelles avec le développement d’une personnalité et de ses
goûts et la volonté de prendre sa place dans le monde monte en puissance avec
l’âge. Les collégiens et les lycéens rencontrés sur le terrain racontent le
plaisir de s’informer en groupe, de partager leurs découvertes entre pairs, de
s’interroger ensemble sur les informations auxquelles ils accèdent. Dans toute
leur diversité : non seulement sont évoquées les pratiques
informationnelles médiatiques, dites d’actualité, mais aussi les pratiques
informationnelles documentaires, extrêmement prégnantes dans la vie enfantine
et adolescente. Contrairement à une vulgate répandue, et affirmée par des
études aux contours flous et purement déclaratives, les enfants et les
adolescents s’informent. Ils et elles s’informent sur leurs centres d’intérêt,
leurs loisirs, mais aussi des sujets de société qui leur tiennent à cœur, à la
manière de ces lycéennes qui peuvent discuter longuement des violences sexistes
et sexuelles. Elles effectuent une veille informationnelle rigoureuse sur le
sujet par le moyen des réseaux sociaux numériques.Adolescentes
et adolescents s’informent avec un plaisir réel, lors de rituels qu’ils mettent
en place, seuls, avec des pairs ou en famille. Vasco, lycéen de
17 ans, explique combien il aime « confronter « (ses) »
informations avec celles de (sa) mère avec la télé. On n’est pas souvent
d’accord, mais c’est ça qui est bien, on se parle ! ». Ces
générations tirent parti de ressources informationnelles qui échappent souvent
au regard des adultes, à l’instar de Hugo Décrypte, fortement plébiscité par les lycéens, ou
encore des titres de presse régionale ou nationale, dont ils suivent les
publications via les
réseaux sociaux numériques. N’oublions pas non plus les créateurs et créatrices
de contenu, qui tiennent une place importante dans l’écosystème informationnel
des publics juvéniles, notamment pour nourrir leur curiosité envers
l’information documentaire (sur la santé, la sexualité, ou encore la physique
ou le cinéma).
Des rituels de familiarisation à l’information :Ces pratiques
informationnelles ont besoin de soutien, et les enfants comme les adolescents
apparaissent très demandeurs d’accompagnement dans le domaine, conscients
notamment de la difficulté à évaluer l’information dans un contexte généralisé
de défiance, ou encore à gérer la réception des images
violentes en ligne. Ils sont aussi désireux de développer plus encore leurs
connaissances informationnelles « pour réussir dans la vie, parce que
l’information c’est un tremplin », comme le note Romane, 17 ans. Les
adolescents et les jeunes adultes rencontrés en enquête font part de rituels de
familiarisation à l’information qu’ils considèrent comme fondateurs dans leur
parcours. C’est le cas de Morgan qui, à 24 ans, tire le fil entre une
expérience quotidienne de la lecture et de la discussion autour de la presse
d’actualité à l’école primaire et son appétence actuelle, à l’âge adulte, pour
la presse écrite : « Tu titres “De Mon Quotidien à Mad Movies” ! (rires) Sérieusement,
je suis certain, ça me vient de là, le plaisir de la presse, tu vois, de
prendre de l’info dedans, de savoir que je peux la partager, comme on faisait
en primaire, quoi. ». D’autres évoquent des apprentissages structurants, lesquels
ont pu être observés lors d’un suivi
longitudinal de lycéens dans leur entrée dans les études supérieures et dans la vie
professionnelle. À 19 ans, Julie « ne remerciera jamais assez (son
professeur documentaliste) qui lui a donné les bonnes cartes pour
après ! », notamment en la sensibilisant au référencement
bibliographique et au travail de sourçage de l’information.Malheureusement, l’étude des parcours
sur le long terme, et les enquêtes de terrain en milieu scolaire, montrent la
difficulté à mettre en place une progression des apprentissages en éducation
aux médias et à l’information. Les temps consacrés à l’information dans la
classe, à son analyse comme à sa discussion, sont trop ponctuels.Or, intégrer des apprentissages
informationnels au sein d’un environnement médiatique et documentaire pour le
moins complexe, comprendre des concepts essentiels comme l’autorité
informationnelle ou encore la ligne éditoriale, développer une culture des sources, tout cela demande du
temps.
Sortir du traitement évènementiel de l’éducation
à l’information :Le traitement évènementiel de l’information, auquel se trouvent
souvent contraints les acteurs de l’éducation aux médias et à l’information, ne
permet absolument pas de relever le défi. Tout d’abord, parce que, nous l’avons
vu, ce traitement n’est pas à la mesure de la quotidienneté – joyeuse – de la
vie sociale des enfants et des adolescents, et des enjeux qu’ils ont à
affronter chaque jour pour appréhender le flux d’informations et en traiter le
contenu, quel que soit son statut.Ensuite, la prise
en charge des problématiques informationnelles et médiatiques ne saurait se
limiter à la gestion d’un évènement en général tellement chargé
émotionnellement (attentats, guerres) que la prise de distance nécessaire à la
structuration de connaissances n’est pas possible.Enfin,
l’étude des trajectoires informationnelles des acteurs suivis sur le long terme
et les interrelations avec les formations en EMI dont ils ont bénéficié
montrent à quel point la dimension temporelle est cruciale. C’est ce qui favorise
l’intégration de compétences et de connaissances abordées de façon répétée de
manière à ce que des transferts soient envisagés et envisageables. C’est ainsi
qu’en situation, dans un nouveau contexte, les jeunes concernés seront en
mesure de convoquer de nouveau des ressources, des types d’usages ou de
pratiques abordés.Pour
l’ensemble de ces raisons, c’est d’une éducation aux médias et à l’information
du quotidien et au quotidien dont nos enfants et adolescents ont besoin, une
éducation à la hauteur de la place qu’a l’activité informationnelle dans leur
vie. C’est-à-dire une place quotidienne, profondément incarnée, sensible,
joyeuse, et essentielle dans les sociabilités qu’ils mettent en œuvre, que ce
soit avec la famille ou avec les pairs.