HISTOIRE-
PERSONNALITES- KADDOUR SAMAR (PHOTOGRAPHE ALN)
© Extrait du site Babzman , mars 2024
Le rôle de la communication et de l’image pendant la
guerre de libération nationale, à travers le parcours du photographe de l’ALN :
Si Kaddour Samar.
Issu d’une famille terrienne de la classe moyenne, Si Kaddour Samar, de son nom de guerre « Mohamed », est né le
30 juillet 1913. Il fut le premier photographe à avoir intégrer les rangs de
l’armée de libération nationale.
Membre de l’Armée de Libération Nationale (ALN), il
est attaché au service de l’Organisation Civile du Front de Libération
Nationale et sera affecté, en 1956, à la Zone I, puis la Zone VIII, sur le long
de la frontière Ouest, à la base XV et celle Ben M’hidi,
sous le commandement de l’Etat-Major Ouest (EMO), puis l’Etat-Major Général
(EMG), jusqu’en 1962.
Si Kaddour à vécu quelques temps en Tunisie, et y fera une rencontre
qui change le cours de son existence ; celle d’un groupe de journalistes
italiens, qui effectuaient un reportage sur l’agriculture. Ils l’initient à la
photographie et à l’approche néoréaliste, développée par le cinéma italien. A
Tunis, il ouvrira le studio photo «El Moghreb Arabi», pour le transférer, ensuite, à Kairaouan.
Il s’installera par la suite au Maroc, en 1952, où il
participera au soulèvement des marocains, pour l’indépendance de leur pays.
Cela lui vaudra la sympathie de la population et des responsables marocains,
qui lui rendront la monnaie de sa pièce en 1954, lors du déclenchement de la
guerre de libération nationale ; en le soutenant et l’aidant à mener une
campagne de sensibilisation pour ses compatriotes installés à Oujda, en
compagnie du Dr Youcef Damardji, Khodja
Bach, commissaire du port à Casablanca, et Bencherif, commissaire de police à
Rabat.
Il continuera à exercer son métier de photographe,
tout en restant en relation avec le noyau du troisième pôle de l’activité
médiatique du FLN, à Tétouan. Il prendra Oujda pour port d’attache, puis,
s’installera au 7, rue de Fès, dans un studio photo qu’il appellera « La
résistance ». Une appellation qui séduira les responsables politiques algériens
et sera le nom du premier journal arabe-français de
l’ALN, paru le 5 juillet 1956.
La production des images de l’Algérie combattante s’intensifie,
à mesure que la guerre prend de l’ampleur. Ce qui augmente les responsabilités
de «Mohamed» qui n’a de cesse de se déplacer entre Khemisset et Oujda, ce qui le conduira à intégrer de jeunes
recrues dans le service qu’il dirigeait, tels, Tahar Fodhil,
dit Rachid, qui sera par la suite, son adjoint ; Abdelkader Meziane, secrétaire
; Said, Fouad, Abdelkrim, Aïchouri
Omar, tous employés dans les tâches quotidiennes du service photographie et
cinématographie.
René Vautier rejoindra le service pour y subir un test
pratique sur terrain, lors d’une opération militaire. Le test avait été exigé
par les colonels Abdelhafid Boussouf
dit Si Mabrouk et Houari Boumediene. Il intégrera la structure, par la suite,
et sera envoyé aux frontières pour y filmer les réfugiés, en compagnie de
Pierre Clément qui sera arrêté, plus tard, par l’armée française en wilaya I.
Par l’entremise du bureau du FLN à New York, l’Etat
Major Ouest (EMO) prend contact en 1956 avec deux reporters américains, Herb Greer et Peter Throck Morton,
caméraman pour les mettre en relation avec le service photographique et
cinématographique de la wilaya V, établi à Khemisset
et dirigé par Si Kaddour Samar. Ce dernier
supervisera le tournage de films documentaires destinés à éclairer l’opinion
publique internationale sur la question algérienne notamment les objectifs
poursuivis par la Révolution du 1er novembre 1954. Les bobines réalisées par
l’équipe américaine étaient convoyées à dos de mulets, sous la responsabilité
de Si Kaddour, avant de s’envoler vers la destination
finale qu’était le bureau d’information du FLN à New York.
Ce bureau d’information qui avait parfaitement intégré
le rôle de la communication et de l’image en temps de guerre, inspiré du modèle
dominant américain, fonctionnait comme une agence de presse et de publicité,
disposant d’un budget conséquent pour assurer les tâches de lobbying et de
diffusion des images et documents filmés. Sur demande de l’Etat Major Ouest
(EMO), Si Kaddour Samar assurait par le biais de son
service, la projection dans les camps d’entraînement et les bases militaires de
l’ALN, des films de propagande américains pour insuffler aux djounoud, l’espoir, accessible, d’une vie meilleure, une
fois l’indépendance recouvrée. Ces projections intervenaient, souvent, à la veille
d’opérations militaires périlleuses afin de motiver et encourager les djounoud dans leurs missions.
A la création du GPRA, Si Kaddour
Samar est nommé en tant que photographe, attaché au service de presse pour les
visites officielles du président Ferhat Abbas. Il réalisera les premiers
portraits officiels du premier président du GPRA.
Le manque de moyens avait retardé la mise en place
d’un service performant, doté d’un matériel et d’équipements adéquats notamment
en ce qui concerne l’introduction et l’utilisation des documents filmés pendant
la guerre de libération. La photographie couleur ne sera introduite que vers la
fin de l’année 1957 avec utilisation du format 24×36 mm (Kodachrome) en 36
poses. La série des premières images dans ce format, sera réalisée par Si Kaddour Samar qui effectuera des prises à Ahfir aux
frontières algéro-marocaines, durant l’été 1958, où de jeunes moudjahidate étaient en formation, encadrées par une
association suisse. En mars 1962 juste après le cessez- le- feu, à la base 15
d’Oujda, lors de la visite des cinq leaders historiques en présence de nombreux
dirigeants de la Révolution et figures emblématiques et révolutionnaires de
l’Afrique, tels que Nelson Mandela (ANC) et Amilcar Cabral (PAIGC), Si Kaddour Samar immortalisera ces moments historiques, de
portée planétaire, repris par toutes les grandes agences du monde.
Révolution et studio photo
En 1956, il est sollicité par les colonels Abdelhafid Boussouf et Houari
Boumediene, pour couvrir la frontière-ouest, dans des missions de photographie
et renseignement ainsi que de couverture cinématographique d’évènements
politico-militaires et entrainements de djounoud,
dans les bases militaires et camps de fabrication d’armement de l’A.L.N. Il
retournera en 1958 à la base Ben M’hidi, où il sera
désigné en qualité de chargé de missions et travaillera avec des compagnons de
lutte, tels que les commandants Kaïd Ahmed dit « Slimane » ; Mostghanemi dit « Rachid » ; Mokhtar Bouizem,
dit « Nacer », et le capitaine Chérif Belkacem, dit «
Djamal ».
En avril 1960, Si Kaddour
Samar est affecté à la base Ben M’hidi, où il
collaborera avec d’autres officiers parmi lesquels Abdelmadjid Benkedadra, Tayebi Larbi et Metahri. Il effectuera de nombreuses missions secrètes sur
ordres du commandement de l’Etat Major Général, particulièrement le commandant
« Si Slimane », Kaïd Ahmed et le capitaine « Djamal », Cherif Belkacem.
En juin 1960, lors de la dissolution du 1er bataillon
de la zone 8 de la wilaya V, suite à un bombardement au napalm effectué par
l’armée française, Si Kaddour Samar filmera le transfert
vers le 3ème bataillon des djounoud rescapés, avant
de les rejoindre à Beni Izmir. Le 25 juin le contact avec l’Etat Major est
rompu, le commandant Nasser se déplacera le 10 juillet pour lui demander de
retourner à la base Ben M’hidi, sur instruction de
l’Etat Major Général.
Début septembre 1960, il rencontre le capitaine «
Abdelkader », Abdelaziz Bouteflika pour lui remettre un rapport détaillé sur sa
mission. Quinze jours après, c’est le colonel Houari Boumediene qui le convoque
pour les détails des opérations militaires filmées durant sa mission.
Le 29 septembre 1960, il est admis à l’hôpital de
Casablanca où il passera 10 jours. Le colonel Houari Boumediene eu égard à son
état de santé, lui demande de désigner un intérimaire parmi ses hommes. Il
choisira son adjoint, le photographe Tahar Fodhil dit
« Rachid », et l’enverra terminer la mission d’enquête dans la zone 8. Suite à
un rapport détaillé remis par Si Kaddour Samar sur la
mission effectuée par son adjoint, le colonel Houari Boumediene procèdera à un
mouvement parmi les chefs de zones du Commandement des frontières de la wilaya
5.
Le 24 mars 1961, il sera admis, de nouveau, au service
de chirurgie de l’hôpital Maurice Lousteau à Oujda, il en sortira le 11 avril
pour effectuer sur ordre du commandement de l’Etat Major Général, une dernière
mission le long de la frontière ouest, avec les colonels Houari Boumediene,
chef d’état major général et Othmane, chef de la
wilaya V ainsi que les officiers Tayebi Larbi, Omar
Ben Mahdjoub et Abdelmadjid Benkedadra,
ceci avant le fameux discours du colonel Houari Boumediene adressé aux membres
de l’ALN dans lequel il évoquait les difficultés rencontrées par la Révolution.
En juillet 1961, Si Kaddour
Samar rejoint, une fois encore, l’hôpital de la base Ben M’hidi,
il en sortira le 10 octobre pour préparer les cérémonies de célébration du
septième anniversaire du 1er Novembre 54. Fin novembre 1961, les médecins de
l’A.L.N. décident en concertation avec ses responsables hiérarchiques, de lui
interdire toute activité professionnelle qui risquerait d’aggraver son état de
santé, en raison de ses nombreuses blessures. La décision prise est sa mise au
repos de façon définitive, après une dernière admission à l’hôpital de la base
Ben M’hidi.
Il remettra au commandant « Si Slimane»
Kaïd Ahmed et au colonel Houari Boumediene, membres de l’Etat Major Général
(EMG), un important lot d’archives photographiques et cinématographiques sur la
Révolution et la lutte armée dans la wilaya V. Il désignera son adjoint Tahar Fodhil, dit « Rachid » pour le remplacer à la tête du
service qu’il dirigea jusqu’en janvier 1962. Il sera nommé délégué de l’Etat
Major Général au Commandement des frontières ouest.
Il reprendra son studio photo « El Moghreb
Arabi », au 46, rue de Kenitra à Oujda au mois d’avril 1962 avant de regagner
sa ville natale Hadjout, le 9 juillet de la même année, pour se consacrer à sa
passion.
Il restera fidèle à ses repères et à la vision qu’il
avait de lui-même et de son métier, assumant ses choix en fonction de sa
conscience aigue de patriote humble et pudique fuyant
les manifestations de reconnaissance publique auxquelles il attachait peu
d’importance. Il s’investira dans son studio photo «El
Moudjahid», assurant jusqu’en 1975 la fonction de photographe-correspondant du
quotidien «El Moudjahid» et de l’agence Algérie Presse Services (APS) – bureau
de Blida.
Le hasard fera coïncider sa disparition, le 18 février
2008 à l’âge de 95 ans, de ce « témoin privilégié » de la Révolution avec la
Journée nationale du Chahid.