SPORTS- ORGANISATION- COMITE INTERNATIONAL
OLYMPIQUE
© Patrick Clastres (historien du sport) /Le Monde,
jeudi 22 février 2024
De quoi le Comité international olympique est-il le
nom ?
Fondé à Paris en 1894, sis à Lausanne, en Suisse,
depuis 1915, le Comité international olympique (CIO) s’est donné pour mission d’« assurer la célébration régulière des Jeux olympiques
[JO], de rendre cette célébration de plus en plus parfaite, de prendre toutes
les
mesures propres à orienter l’athlétisme moderne
dans les voies dé sirables », selon son premier
règlement intérieur imprimé en 1908. Sa réussite est incontestable si l’on
considère que les JO sont devenus le plus grand événement spectaculaire au
monde.
Sait-on que le CIO ne reçoit de reconnaissance
internationale par la Suisse qu’en 1981 ? Et qu’il reste une association privée
au sens du code civil suisse ? La nature de cette organisation interroge
d’autant plus qu’elle perçoit de ses partenaires commerciaux 7 milliards de
dollars (6,5 milliards d’euros) de revenus à l’issue de chaque cycle olympique,
qu’elle traite d’égal à égal avec les gouvernements
ou encore qu’elle bénéficie depuis 2009 du statut d’observateur à l’ONU.
C’est Pierre de Coubertin qui a posé les bases
théoriques du gentlemen’s agreement qui lie
entre eux les membres du CIO, cooptés à vie
jusqu’en 1966. A ceux qui réclament un contrôle populaire ou gouvernemental, il
répond en 1908 que l’institution est un board of
trustees, du type conseil d’administration pour société de bienfaisance dont
les membres sont de bonne fortune et de bonne foi.
Ce flou statutaire posera problème dans les années
1970 quand le CIO devra résister à la
concurrence de l’Unesco ou au boycott des pays
africains, et dès lors qu’il voudra passer des contrats avec des sociétés de
télévision à la place des comités d’organisation (COJO) nationaux.
En 1977, le président, Lord Killanin,
avait négocié avec le canton de Vaud une exonération de l’impôt sur le revenu
et la fortune.
Son successeur, Juan Antonio Samaranch (1980-2001) rêvait
d’obtenir un accord de siège similaire à celui du Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) : du fait de son intervention sur le théâtre des guerres et
de son impartialité et confidentialité comme mode opératoire, le CICR bénéficie
de
l’immunité contre toute procédure judiciaire, de l’exemption
de l’obligation de témoigner et de l’inviolabilité de ses locaux, documents et
données.
A la question « le rôle du CIO en matière de paix
internationale par le sport est-il de même nature et de même degré que celui du
CICR ? », la réponse de la Confédération helvétique fut et reste négative.
Motif : le CICR bénéficie d’un mandat de la communauté internationale prévu par
les conventions de Genève de 1949, alors que le CIO n’a d’existence consacrée
que par lui-même.
Une organisation hybride
A force de manœuvres aux différents échelons
politiques du fédéralisme suisse, le président Samaranch avait obtenu, en
1999-2000, que le CIO bénéficie « de certains éléments de la personnalité
juridique internationale », que le nombre d’étrangers parmi ses
employés ne soit plus limité, et que le Musée
olympique soit exonéré de l’impôt fédéral direct.
Cela permet au CIO de se présenter de manière
alambiquée dans sa charte comme une « organisation internationale non gouvernementale
[OING], à but non lucratif, de durée illimitée, à forme d’association dotée de
la personnalité juridique, reconnue par le Conseil fédéral suisse conformément
à un accord conclu en date du 1er novembre 2000 ».
Chaque terme pèse. Pour bien marquer son ambition
hégémonique sur le sport, le CIO veut être perçu comme une OING et pas comme
une association – ce qu’il est en droit helvétique – ni comme une société
commerciale qui ferait des profits, ce qui nuirait à son image philanthropique.
L’accord de 2000 ne peut être dénoué que d’un commun
accord. Dès lors, le CIO a pu constituer des sociétés commerciales. C’est là le
point ultime de la reconnaissance internationale du CIO, qui n’est donc
toujours pas l’égal du CICR. On ne saurait pas
davantage le comparer à Amnesty International ou
Greenpeace car, même si elles emploient à leur siège des salariés experts, ces
associations s’appuient sur une
large base de bénévoles qui disposent du
droit de vote.
Le CIO est un objet juridique mal identifié,
organisation hybride qui s’est constituée dans les interstices des Etats. C’est
aussi une sorte de groupe commercial fort d’une administration de plus de 1 000
collaborateurs qui a su resserrer son contrôle sur les fé-
dérations internationales sportives et sur les
COJO. Au sommet, on trouve un président tout-puissant qui s’appuie au moins
autant sur sa dizaine de directeurs administratifs que sur la vieille
commission exécutive constituée en 1921 contre Coubertin.