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Etienne Dinet (Peinture)

Date de création: 01-02-2024 12:04
Dernière mise à jour: 01-02-2024 12:04
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 CULTURE- PERSONNALITES- ETIENNE DINET (PEINTURE)

Pour la première fois depuis un siècle, le peintre Etienne Dinet est mis en lumière à Paris. Reconnu de son vivant, cet artiste français (1861-1929), dont les quelque 600 toiles sont disséminées dans les collections muséales du monde entier et des collections privées, est tombé dans l’oubli. Oublié ou mis de côté? «Il y a un peu des deux », avance Mario Choueiry, le commissaire de l’exposition «Etienne Dinet, Passions algériennes» ouverte fin janvier 2024  à l’Institut du monde arabe (IMA). C’est la première fois qu’un musée lui consacre une rétrospective depuis 1930. Si l’artiste semble avoir disparu des radars, ses toiles sont, elles, très recherchées sur le marché de l’art et depuis une vingtaine d’années, selon des experts. Né dans une famille de la haute bourgeoisie, Etienne Dinet - qui se fera appeler Nasreddine au moment de sa conversion à l’islam en 1913 - découvre l’Algérie en 1884. Il en tombe immédiatement amoureux et s’y installe définitivement en 1904. Sa fascination? Le désert, ses couleurs et ses habitants qu’il peint de façon réaliste. Éclatantes, ses toiles, qui jouent avec le bleu, le rouge et l’ocre, ressemblent à des photographies. «Il a voulu figer un monde qu’il craignait de voir disparaître», décrypte l’éditrice Ysabel Saiah Baudis, qui a republié la biographie du prophète de l’islam, écrite par Etienne Dinet. «Ses toiles sont fidèles à la réalité dans ses moindres détails», complète Choueiry, évoquant notamment les tenues et parures des femmes qu’il dessine. Ses toiles rencontrent un succès immédiat. A cette période, la France vit une fièvre orientaliste et Delacroix, Renoir, Ingres se prêtent à l’exercice dont Dinet est l’un des principaux représentants. Au fil des années, le genre est mis de côté, car jugé désuet. Ce sont les années 50 qui l’enterrent définitivement. Associé au colonialisme, «l’orientalisme va être combattu idéologiquement», analyse l’historien Benjamin Stora. Les orientalistes sont accusés de déformer le regard d’exotisme. Pour leurs détracteurs, ils sexualisent et réifient les corps des femmes colonisées, le nu étant très répandu chez ces peintres. Dinet lui-même a peint un certain nombre de femmes nues, dont les tableaux sont exposés à l’IMA, n’échappant pas aux critiques des militants anticolonialistes. «C’est quelqu’un qui s’est immergé avec sincérité dans la culture arabe, en a épousé les codes et a appris la langue», défend Ysabel Saiah Baudis. «Il a une place à part chez les orientalistes», poursuit-elle. Pour Stora, Dinet est victime d’un double regard: «Celui anti-orientaliste, plutôt à gauche, et un autre anti-islam, plus à droite», assure-til. Etienne Dinet ne s’est pas contenté de peindre le quotidien des colonisés. Il a aussi porté leurs voix auprès des autorités françaises, rappelle Choueiry. «Il a critiqué l’attitude de la France pendant la colonisation, a dessiné les stèles des soldats musulmans morts pour la France et s’est battu pour que ces derniers ne soient pas enterrés sous des crucifix», détaille-t-il.

 TEXTE IMA/PARIS , JANVIER 2024/COMPLÉMENT

Etienne Dinet naît en 1861 dans le milieu cultivé d’une famille d’avoués parisiens. Il se détourne tôt du modèle familial, qui l’orientait vers des études de droit : après son service militaire, pour avoir manifesté précocement un goût pour le dessin, il entrera plutôt à l’École des Beaux-Arts. Il joint rapidement l’Académie Julian où il a pour professeur William Bouguereau, mais ne se reconnaît pour maître que Rembrandt et Delacroix. S’opposant à l’académisme ambiant, il cherche ses maîtres du côté du réalisme de Jean-François Millet ou de Jules Bastien-Lepage et se passionne pour la photographie. Il partage avec les impressionnistes la recherche de lumière et de la peinture sur le motif comme l’attestent ses premiers envois aux salons de 1882 et 1883.

La découverte de l’Algérie : C’est accidentellement qu’il découvre l’Algérie en 1884, en accompagnant son ami Lucien Simon, dont le frère entomologiste partait en Algérie à la recherche d’une espèce rare de coléoptère. Ce premier voyage d’un mois sera suivi d’un autre, l’année suivante, en compagnie de Gaston Migeon, futur promoteur des arts de l’Islam au musée du Louvre. Suivront deux décennies durant lesquelles Étienne Dinet passe ses hivers en France et ses étés à peindre dans les oasis du Sud algérien. Dès 1895, il renonce à toute source d’inspiration en dehors des sujets algériens. En 1904, le peintre s’installe à demeure dans l’oasis de Bou-Saâda. Il y achète une maison dans la ville indigène pourvue d’une terrasse de laquelle il peut à loisir contempler le monde qu’il s’est choisi. Étienne Dinet, que la photographie passionnait, peint des instantanés de vie. De la nature, il cherche à peindre le jaillissement de l’eau et la végétation, mais également le désert comme espace à la fois hostile et familier. Mais ce sont avant tout les habitants du Sahara qui sont au centre de ses préoccupations.

Loin de l’Orient fantasmé : Dinet peint les trois âges de la vie comme s’il découpait des fragments de réalité, loin de l’image trop rutilante d’un Orient fantasmé. Sa sensibilité l’éloigne tout autant des approches ethnographiques dont il se méfie. Son travail précis s’attache sans ostentation aux détails réels. Il représente sans surcharge ni mièvrerie les expressions, les gestes, les grimaces, les tenues et les parures en argent. Certes, il n’a pas peint les aspects les plus extravagants d’un Orient fantasmé. Aucune scène de harem n’est visible dans son œuvre. Néanmoins, le Sahara prend sous son pinceau la forme d’un lointain éden sexuel. Bien que nul avilissement du corps de la femme orientale ne transparaisse dans son œuvre, il montre des corps féminins présentés comme des archétypes fantasmés ou comme des divinités envoûtantes. Au-delà d’un monde idéalisé par un filtre européen, il peint égale- ment la violence, la misère, le désespoir, l’humilité, mais tout autant la joie, le courage et la dignité.

La foi et l’engagement : Installé à Bou-Saâda, Étienne Dinet use de son influence pour intervenir en faveur des indigènes, cela auprès des autorités locales et jusqu’au Gouvernement général d’Alger. En 1912, il obtient de haute lutte que Bou Saâda passe d’une administration militaire à une administration civile. La foi musulmane occupe dans l’œuvre du peintre une place tout aussi importante que les lieux ou les personnages. Qu’elle soit individuelle ou collective, cette foi se manifeste comme un ensemble d’attitudes ou d’expressions vécues: des regards suppliants pénétrés par la piété et des attitudes empreintes d’humilité. Étienne Dinet a été frappé par la constance de cette ferveur religieuse. Lui-même se convertit officiellement à l’islam en 1913, sous le nom de Nasreddine. Le déclenchement de la guerre en 1914 marque une nouvelle étape dans son engagement avec son action en faveur des musulmans engagés sur le front. Il joue auprès des autorités un rôle civique important en plaidant l’élémentaire gratitude due aux soldats indigènes: œuvrer pour le retour au pays des blessés algériens, respecter les rituels musulmans prescrits pour les enterrements, remplacer les croix évidemment inadaptées par des stèles pour les pierres tombales dont il effectue le modèle. Étienne Dinet effectue le pèlerinage à La Mecque en 1929, peu avant son décès survenue la même année. À sa mort, il est enterré selon son souhait à Bou-Saâda, et célébré par la République comme un acteur essentiel du rapprochement entre la France et l’islam; le président Paul Doumer tient à inaugurer lui-même la rétrospective qui lui est consacrée un an après sa mort.