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Désinformation/Démocratie

Date de création: 17-12-2023 18:25
Dernière mise à jour: 17-12-2023 18:25
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COMMUNICATION- ETUDES ET ANALYSES- DÉSINFORMATION/DÉMOCRATIE

La désinformation qui déstabilise la démocratie

©https://www.sciencepresse.qc.ca/ Isabelle Burgun/ Vendredi 15 décembre 2023

« La désinformation est un bouton fantastique sur lequel appuyer pour déstabiliser les démocraties. C’est la menace la plus sournoise. Parce que la démocratie fonctionne si on a accès à l’information, pour pouvoir porter un jugement et participer au débat public ». C’est ainsi que le professeur adjoint en communication publique et politique à l’ENAP, Philippe Dubois, résumait le problème qui était au coeur du forum La démocratie au temps de la désinformation, tenu le 30 novembre 2023, à Montréal (-anada) .

La démocratie recule, soulignait d’ailleurs cette année un rapport du Varieties of Democracy Institute de l’Université de Göteborg (Suède), fruit d’une collaboration de près de 4000 experts de 180 pays. La désinformation, la polarisation et l'autocratisation se renforcent mutuellement. Avec l’ajout récent de la Thaïlande et du Mali, pour la première fois depuis plus de 20 ans, la liste des pays compte plus d'autocraties que de démocraties: 5,7 milliards de personnes vivent dans des autocraties (72% de la population mondiale) contre 1 milliard de personnes pour les démocraties libérales —soit à peine 13%. Et près d’un tiers du premier groupe vit même au sein d’autocraties fermées (Chine, Iran, Myanmar et Vietnam, par exemple).Bas du formulaire Bref, le niveau de démocratie pour le citoyen mondial moyen est en recul, pour revenir au niveau de 1986. L'Europe de l'Est et l'Asie centrale, ainsi que l'Amérique latine et les Antilles, ont retrouvé leur niveau de la fin de la guerre froide. « C’est souvent un idéal que l’on prend pour acquis avec ses opportunités de délibération : presse libre, débats public, et des institutions publiques pour faire fonctionner cela », avance Philippe Dubois. Ce « modèle le moins pire », comme l’aurait dit Churchill, « a bien souffert lors de la récente pandémie ». Avec ses mesures exceptionnelles et restrictives, la Covid-19 a vu reculer, de manière temporaire, certains droits et libertés. Cela a entaché la confiance dans les institutions démocratiques, et dans leurs acteurs, confiance qui n’était déjà pas si élevée avant la crise sanitaire. Or, les réseaux sociaux jouent eux aussi un rôle dans cette régression. Peut-être parce qu’ils répercutent plus les frustrations et la colère que la raison et les nuances, il y aurait, semble-t-il, plus de cyniques et de mécontents qu’avant. Certaines tranches de la population s’avèrent aussi moins attachées à la démocratie, comme les jeunes, qui s’informent eux-mêmes davantage que les plus vieux par les algorithmes. « Cela ne signifie pas qu’ils rejettent la démocratie. Cela signifie plutôt qu’ils partagent davantage un type de contenu » qui la rejette, note le chercheur. L’École des médias de l’UQAM avait mandaté cet été la firme Léger pour sonder la population québécoise sur leurs perceptions sur des enjeux liés à la démocratie et à la désinformation. Le rapport montre que 25% de la population québécoise pense que les gouvernements cachent la réalité sur la nocivité des vaccins —18% pensent que c’est probable, alors que 8% pensent que c’est certain. C’est une méfiance envers les institutions qui augmente, tout comme celle envers les médias, car selon ce sondage, 44% de la population québécoise pense que les médias manipulent l’information qu’ils diffusent.

En quête de littératie scientifique : « Nous vivons une crise épistémologique avec une remise en question des figures d’autorité » constatait, lors du forum du 30 novembre, le professeur au département sciences humaines, lettres et communications de la TÉLUQ, Normand Landry. « Les gens parlent d’esprit critique mais c’est un mot galvaudé : où est notre capacité de se remettre en question et de changer d’idées et d’admettre nos erreurs ? » D’où l’importance de l’éducation aux médias et de la littératie scientifique, soulignait-on dans ce forum organisé par les Fonds de recherche du Québec. Mélissa Guillemette, rédactrice en chef du magazine Québec Science, note que « moins de la moitié des Canadiens ont des bases solides en science (42%), c’est donc à mettre au premier plan. La littératie en santé au Québec reste elle aussi très faible chez 2 personnes sur 3 et pour 95% des 60 ans et plus, il s’avère même difficile de comprendre un médecin. » Les jeunes ont particulièrement du mal à distinguer le vrai du faux. « Les adolescents ont du mal à reconnaître la désinformation. Ils manquent de bons critères d’évaluation pour juger de la qualité d’une bonne information », relève l’étudiante à la maîtrise en sciences de l’éducation de Université de Sherbrooke, Élise Rodrigue-Poulin. « Chez les enseignants aussi, le niveau de pensée critique varie souvent de faible à moyen. Et lorsque la nouvelle fait appel à trop d’émotion, la plupart d’entre nous ne sommes plus capable de l’évaluer correctement », ajoute-t-elle. La solution serait de s’éduquer à reconnaître la désinformation, mais il faudrait aussi développer du contenu scolaire pour soutenir l’esprit critique chez les jeunes – et par ricochet, le personnel enseignant. Des éléments inclus dans le nouveau programme Culture et citoyenneté québécoise, vont dans ce sens. Ce serait toutefois insuffisant. « Le programme a plusieurs points positifs: donner des outils et des critères sur les informations et les médias, et l’explication de ce qu’est la démocratie. Comme enseignante, je trouve ça bon, mais il n’est pas obligatoire cette année et il a été présenté aux enseignants quelques jours avant la rentrée », explique Mme Rodrigue-Poulin. Il doit être implanté dans toutes les écoles en septembre 2024. Normand Landry renchérit : « Je salue l’adoption d’un programme mais je le pense moins sérieux dans le soutien à développer ce savoir. Depuis plus de 20 ans, l’école développe du contenu d’éducation aux médias – par exemple, sur les compétences numériques, adopté en 2019 – mais sans se donner  les conditions de déploiement et des ressources pour les enseignants. »

La désinformation à gogo : « Nous sommes dans une espèce de jungle et trouver la vérité, c’est un casse-tête. La désinformation, cela ne date pas d’hier mais c’est le volume qui augmente. », rappelle Nicolas Garneau, chercheur postdoctoral en informatique à l’Université de Copenhague.  Et nous pouvons tous partager de la désinformation. Les réseaux sociaux sont conçus pour nous inviter à générer du contenu – « exprimez-vous », « posez des actions » – à partir de messages qui en appellent à nos émotions.  Il faut donc apprendre à se méfier des choix des algorithmes et développer son esprit critique – « d’où ça sort? », « quelle est la source de l’info? »  « Il ne faut pas oublier que ce sont des modèles économiques basés sur nos données, Ils enregistrent ce que l’on regarde et lorsqu’on s’exprime. Les plateformes exploitent nos failles psychologiques », rappelle Emmanuelle Parent, directrice générale et recherche du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (Le Ciel). Le professeur en journalisme à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, Jean-Hugues Roy, s’intéresse plus spécifiquement à Facebook. Il remarque qu’il y a beaucoup de contenus viraux —et religieux— qui circulent. Qui plus est, en l’absence de véritables informations – en raison du blocage du contenu des médias par Meta – « il n’y a plus rien de pertinent. C’est un véritable marché aux puces de contenus viraux dont certains peuvent être toxiques. Cela peut prendre l’apparence de contenu journalistique, en ajoutant des éléments mensongers et trompeurs uniquement pour faire des clics. »  Il est temps d’encadrer ces plateformes, poursuit-il. Une démarche entamée par le Canada avec le projet de loi C-18 qui vise à forcer les « géants du web » à indemniser les médias d'information —c’est ce projet de loi qui est la raison du boycott des médias entrepris en ce moment par Meta au Canada. « Ce sont des entreprises privées et on s’attend à ce qu’elles prennent leurs responsabilités ou que les autorités le fassent. Nous avons une agence d’inspection des aliments au Canada, il est possible d’imaginer une agence d’inspection des réseaux sociaux alors que nos vies sont dessus et qu’ils font beaucoup d’argent avec nos données », pense M. Roy. Autrement dit, il faut un encadrement de ces outils par l’humain. « Leur raison d’être est de nous donner un coup de main, pas de décider à notre place », tranche encore Nicolas Garneau.