CULTURE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN MUSTAPHA BENFODIL- « TERMINUS BABEL »
Terminus Babel. Roman de Mustapha Benfodil. Editions Barzakh, Alger
2023, 272 pages, 1 200 dinars
Chaque année, en France,
des machines broient environ 100 millions de livres. 100 millions, ce qui
représente le cinquième des 500 millions de volumes fabriqués annuellement dans
le pays. Pour un écrivain, c’est là une incommensurable tragédie.......car ce sont là des ouvrages soit invendus, soit
détériorés, soit ne trouvant pas (ou plus) preneurs au niveau des marchés
extérieurs, soit ..., en tout cas inutilisables bien qu’utiles quelque part,
....et ce n’est pas demain la veille que le numérique résoudra le problème.
Ceci dit pour l’Ecrivain
qui voit les exemplaires de son (chef-d’) œuvre aller au pilon. Lui qui
a marché des kilomètres avant d’être un livre....car
« marcher, c’est écrire un livre ».....c’est faire « marcher les
turbines » , c’est « ramasser sur le trottoir des pépites de malice
et de sagesse »....
Pour le livre lui-même
(un exemplaire pris comme modèle), c’est aussi une tragédie....et
c’est cette tragédie couplée (écrivain-livre) avec,pour
témoin, le lecteur, que raconte l’auteur.
L’histoire ? Un
livre ( « K’tab », qui tient du roman
allégorique, lui-même racontant l’histoire d’un livre étrange, un livre
indestructible, contenant une somme astronomique de connaissances,
d’informations, sans avoir de réponse à tout) qui raconte sa « descente
aux enfers » , toutes ses angoisses, en compagnie de bien d’autres, du
fond d’une remise d’une grande bibliothèque, fréquentée bien plus par les rats
et un vieil archiviste que par les lecteurs, en attendant d’être envoyé au
« pilon » ...c’est-à-dire à la destruction et à un possible
recyclage (en cartons pour œufs, en Pq....) .Il raconte aussi son passé glorieux, alors auparavant
si recherché, si aimé , si câliné en salle de lecture d’une grande
bibliothèque. Il raconte , en parallèle, tous les
efforts et les difficultés , toute la vie de l’auteur..... un
Écrivain total .
L’Auteur :Né en 1968 à Relizane. Journaliste reporter (El Watan/Quotidien). Auteur de nouvelles, poèmes et pièces de théâtre.Déjà
quatre romans (« Zarta », « Les
Bavardages du Seul », « Archéologie du chaos (amoureux) » ,
« Body writing.Vie et mort de Karim Fatimi, écrivain, 1968-2014 ») , tous parus aux
éditions Barzakh
Extraits : « Qu’est-ce que naître
pour un livre ? Est-ce le moment où surgit le premier mot, la première
phrase, l’incipit ? Ou bien quand je pris la forme d’un manuscrit
achevé ? Ou encore quand l’Ecrivain consentit enfin à m’éjecter une fois
pour toutes de son esprit tourmenté et à m’envoyer à son éditeur » (p 21),
« Les livres n’ont pas de lèvres.Aucun son ne
sort de leur gorge.Et pourtant, ils parlent.Ils parlent la langue des chuchotements émettant
des ondes discrètes que seuls les soufis, les fourmis et les rats de
bibliothèques peuvent entendre » (pp 33-34), « « K’tab » contenait, certes , une somme astronomique de
connaissances, d’informations, mais il ne prétendait pas avoir réponse à tout.
Il faut se méfier des hommes « d’un seul
livre » ( 189),
Avis : Une gymnastique (excellemment
maîtrisée) des mots et des phrases qui vous transporte dans le monde intérieur,
si ignoré même par les plus grands lecteurs, du livre.Une écriture originale qui interpelle. Le tout
dans une langue accessible.....à tous. Un auteur à la
vaste érudition et à l’imagination sans bornes ....peut-être
le plus brillant de sa génération.Bref, un
« artiste total » , entièrement « habité » !
Citations : « On n’habite pas
une ville si on n’est pas habité par cette ville » (p 54), « Bab el
Oued est une ville dans la ville ............plus qu’un quartier. Bab El Oued
est une langue » (p 55), « L'Écrivain m’écrit et moi j’écris
l'Écrivain » (p 58), « Question existentielle : un exemplaire
est-il le même livre ? Si les humains eux- aussi devaient être dupliqués,
seraient-ils parfaitement interchangeables ?Les
hommes seraient-ils juste des exemplaires ? » (p 71), « C’est la porte du mystère qui vous fait entrer
dans le livre. Sans mystère, il n’y a pas de roman, pas de film, pas de drame,
pas de peinture.....Plus d’art » (p 80), « La liberté :
carburant essentiel à toute entreprise de création, de réenchantement
d’un lieu éteint » (p156), « Les hommes ont créé la langue pour
ériger des mondes, corriger les fautes de la création et raconter de beaux
mensonges à leurs enfants » (p 237), « Les mots, mis bout à bout,
portent le doute, le changement.Il ne faut surtout
pas que les mots entretiennent l’utopie d’une autre forme de vérité, de chemins
insoupçonnés, d’un autre lieu de la pensée » (Tahar Djaout
cité, in « Le dernier été de la raison,Le Seuil
1999 » ( p249)
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