CULTURE-
POÉSIE- JEAN SÉNAC
« Poète algérien de graphie
française », ainsi qu’il se définissait lui-même, Jean Sénac, né à Béni-Saf en Oranie le 29 novembre 1926, est mort assassiné dans
sa cave-vigie d’Alger, dans la nuit du 29 au 30 août 1973, vingt ans avant que
Tahar Djaout et Youcef Sebti, deux poètes de ses
amis, soient à leur tour, victimes du terrorisme islamiste ; le premier, tué de
deux balles dans la tête le 26 mai 1993 ; le deuxième, égorgé dans la nuit du
27 au 28 décembre 1993. Jean Sénac fut le premier martyr d’une horrible liste.
Les Français ne lui pardonnaient pas d’avoir été membre du F.L.N. pendant la
guerre d’indépendance ; et le pouvoir algérien supportait mal ses positions
très critiques à l’égard du système bureaucratique en place. On enterra son
œuvre et ses idées presque aussi vite que son corps. Jean Sénac était un homme qui dérangeait
beaucoup plus de monde. Il était, selon le témoignage de l’un de ses amis, un
scandale permanent. Son audience auprès de la jeunesse, sa vie, sa vie sexuelle
surtout, sa liberté de parole en matière politique ou culturelle, les
répercussions à l’étranger de ses jugements sur l’Algérie, en faisaient un
personnage gênant .
Porte-voix,
Sénac ne prêche pas dans le désert et son Anthologie, bien
davantage qu’un simple florilège de poèmes, est un véritable manifeste algérien
en langue française, du mal de vivre et de la volonté d’être de toute une
génération, qui est passée du témoignage, de l’exaltation de la revendication
nationale au regard souvent désabusé sur les lendemains qui devaient chanter.
Mais, visionnaire, n’a-t-il pas écrit (cf. Lettre à un jeune Français
d’Algérie in Esprit, mars 1956), deux ans après le
déclenchement de la guerre d’indépendance : « Ton cœur souffre de l’injustice
quand elle brise un visage français, mais s’ouvrira-t-il à la peine de tous les
hommes ? (...) Depuis plus d’un siècle l’Europe vit sur cette terre sans se
soucier des neuf dixièmes de ses habitants. Il est juste que ceux-ci retrouvent
enfin leurs droits… L’Algérie se fera avec nous ou sans nous, mais si elle
devait se faire sans nous, je sens qu’il manquerait à la pâte qui lève une
mesure de son levain… La réalité, c’est que ce pays est arabo-berbère et
musulman et que nous sommes, avec les Israélites entre autres, une minorité
qui, comme telle, risque d’avoir une place minoritaire. La réalité, c’est que
sur cette terre indépendante, un million d’Européens devra abandonner ses
privilèges pour participer, dans la proportion de un
pour neuf, à l’édification d’un ordre égalitaire. La réalité, c’est que nous
perdrons un peu de notre confort de seigneurs et de nos immenses propriétés. La
réalité, c’est que si nous le voulons, dans l’égalité des droits et des
devoirs, et la justice retrouvée, après une période où l’esprit de revanche
nous aura certainement fait souffrir, il sera possible, en prenant appui sur
nos différences, de donner au monde un visage généreux de l’homme. Ce sera une
expérience difficile et unique… Mais accepterez-vous de lâcher quelques
préjugés pour le salut de tous ? »
L’indépendance
de l’Algérie fut officiellement proclamée le 3 juillet 1962. Le 30 octobre
1962, Jean Sénac est de retour à Alger, alors que de nombreux Pieds-Noirs font
le voyage inverse vers la France ; mais pas tous. Contrairement à un cliché
faisant une règle absolue du départ précipité en 1962 ; il y eut le choix et
les Pieds-Noirs restés en Algérie font masse : 200.000, d’après l’ambassade de
France, à la fin de l’été 1962 et 100.000 encore, en 1963. Ces Pieds-Noirs
connaissent ce pays qu’ils considèrent comme le leur
À partir
d’août 1967, Sénac, qui n’est pas dans la nouvelle ligne politique, qu’il
n’hésite pas à critiquer ou à dénoncer, est en pleine disgrâce. On lui jette au
visage sa proximité avec Ben Bella, sa condition de pied-noir, de poète
libertaire et d’homosexuel. C’est donc au secret qu’il écrit Le Mythe
du Sperme Méditerranée, un ensemble de poèmes qu’il ne souhaitera pas
publier de son vivant : Tout est foutu - les comités de gestion, le
rire, nos érections… - Il nous reste la mort pour mettre debout une vie. - Même
secouée de breloques - Qu’elle était belle la Révolution en chaleur !
Sénac ne
se préoccupe de son statut que trop tard -
après le coup d’État de Boumediene en juin 1965 - et que le nouveau code
de la nationalité - décrété le 15 décembre 1970 - rende sa
naturalisation plus difficile encore. C’est Mohammed Seddik
Benyahia
- rencontré en France au sein de l’Union générale des étudiants
musulmans algériens — qui, par ses fonctions ministérielles
(notamment ministre de l’Information, sous Boumediene), aide Sénac à voyager à
l’étranger avec des papiers en règle.
À partir
d’août 1967, Sénac, qui n’est pas dans la nouvelle ligne politique, qu’il
n’hésite pas à critiquer ou à dénoncer, est en pleine disgrâce. On lui jette au
visage sa proximité avec Ben Bella, sa condition de pied-noir, de poète
libertaire et d’homosexuel.
Oeuvres de Jean
Sénac
Poésie : Poèmes,
avant-propos de René Char (coll. Espoir, Gallimard, 1954. Rééd.
Actes Sud, 1986), Poésie (Diwan du Môle, Les
Petites Voix, La Route d'Ombre), (Imprimerie Benbernou
Madjid, 1959), Matinale de mon peuple (Subervie,
1961), Le Torrent de Baïn (Éditions
Relâche, 1962), Aux Héros Purs, sous la signature de Yahia El Ouahrani (Alger, Édition spéciale pour MM. les députés de
l'Assemblée nationale constituante, 1962), La Rose et l'ortie (Paris-Alger,
Cahiers du monde intérieur, Rhumbs, 1964), Citoyens de beauté (Subervie, 1967. Réédition La Bartavelle éditeur,
1997), Avant-Corps précédé de Poèmes iliaques et
suivi de Diwân du Noûn (Gallimard,
1968), Lettrier du soleil (Alger,
Centre culturel français, 1968), Les Désordres (éd. Saint-Germain-des-Prés,
1972), A Corpoème suivi de Les
Désordres dans Jean Sénac vivant, essais, témoignages,
documents, (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1981), Dérisions et vertige : trouvures, (Actes Sud, 1983), Le Mythe du
sperme–Méditerranée (Actes Sud, 1984), Plaques (Nouvelle
Revue Française n°521, 1996), Œuvres poétiques (Arles, Actes
Sud, 1999. Réédition 2019), Pour une terre possible, poèmes,
articles et textes inédits réunis par Hamid Nacer-Khodja, dessins
de Denis Martinez (Marsa, 1999), Pour
une terre possible, Poèmes (Collection Points, Le Seuil, 2013).
Anthologie : Anthologie
de la nouvelle poésie algérienne, essai et choix de Jean Sénac (Youcef
Sebti, Abdelhamid Laghouati, Rachid Bey, Djamal Imaziten, Boualem Abdoun, Djamal Kharchi, Hamid Skif, Ahmed Benkamla
et Hamid Nacer-Khodja), illustration de Mustapha Akmoun (revue Poésie 1 n°14, Librairie
Saint-Germain-des-Prés, 1971).
Récit : Ébauche
du père, avant-propos de Rabah Belamri,
(Gallimard, 1989).
Essais : Le
Soleil sous les armes, Éléments d'une poésie de la Résistance algérienne (Subervie, 1957), Journal, janvier-juillet 1954)
suivi de Les Leçons d’Edgar (Edmond Charlot éditeur,
1983), Visages d'Algérie, Écrits sur l’art (Paris,
Paris-Méditerranée/EDIF 2000, 2002).
Correspondance : Jamel-Eddine Bencheikh, Jean
Sénac : clandestin des deux rives (Éditions Séguier, 1999), Albert
Camus, Jean Sénac, ou le fils rebelle (Éditions Paris-Méditerranée/
EDIF 2000, 2004), Les deux Jean : Jean Sénac, l’homme soleil, Jean
Pélégri, l’homme caillou, Correspondance
1962-1973, poèmes inédits (Chèvre-feuille étoilée - Barzakh, 2002).