HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI KAMAL GUERROUA- « SARTRE ET L’ALGÉRIE »
Sartre et l’Algérie . Essai de Kamal Guerroua
(Préface de Salah Guemriche). Tafat
Editions, Alger 2023, 239 pages, 1200 dinars
C’est, je crois, le premier
ouvrage consacré pleinement au « couple » :
Sartre/Algérie .Faut-il s’en étonner avec l’auteur qui comble
ainsi une carence bibliographique dommageable pour la connaissance de la lutte
de libération nationale d’une part et, d’autre part, pour mieux comprendre les
engagements des intellectuels étrangers à notre cause.On
peut comprendre cela côté ultra-marin (la France « colonialiste ») qui
n’a pas encore digéré sa défaite et qui cultive toujours sa « haine »
des autres, c’est-à-dire les gens de gauche (dont les porteurs de valises
et les signataires du Manifeste des 121) et leurs amis
« bougnoules », tout particulièrement.On le
comprend bien moins chez nous où Sartre est évité aussi bien à l’Université
qu’à l’extérieur........Il est vrai que ces derrières décennies ,avec
l’émergence d’idées religieuses radicales qui tendent à jeter aussi bien les
contenus que les contenants, la haine de la philosophie
« existentialiste » (ne voyant que l’athéisme de l’auteur) et le
nationalisme mal placé ont bloqué toute réflexion et toute
ouverture.
Côté Algérie, l’auteur vient donc de
réparer une immense injustice politique et intellectuelle en osant le pari
(réussi) d’étudier le parcours médiatico-politique algéro-français d’un intellectuel de
« légende » , admirateur et ami de Frantz Fanon ( on apprend qu’ils
avaient passé trois jours dec discussions enflammées
ensemble à Rome) :« Sartre et Fanon , c’était presque la même veine
combative : deux voix rebelles ; hypersensibles à la condition des
Indigènes, et indéniablement engagées dans la voie de l’anticolonialisme le
plus radical » écrit-il . Il étudie , analyse et
détricote avec détails le cheminement d’un anti-colonialiste
« enra (g) agé »
dont le domicile parisien avait été plastiqué deux fois par les criminels de l’Oas.....et que De Gaulle n’avait pas osé
« emprisonné » (car on « n’emprisonne pas Voltaire »,
avait-il répondu à ses ministres de droite).L’auteur n’a nullement
tenté de se substituer au rôle d’historien ni de camper celui du biographe de
Sartre ni moins encore de privilégier une écriture panégyrique mais seulement
de donner au philosophe la place qu’il mérite dans un pays, l’Algérie,
pour lequel il s’était engagé corps et âme au nom de l’idéal de vérité.
A la base, J-P Sartre s’est abreuvé
et inspiré dans le côté révolutionnaire de Jean Jacques Rousseau lequel en 1762 , avait écrit la première phrase du « Contrat
social » : « L’homme est né libre et partout est dans les
fers » . Un prélude à l’existentialisme sartrien. Aussi avait-il pris
parti , à partir de 1950, dans ses œuvres littéraires,
sa philosophie et son action, des pays de l’Est,en
rupture avec le bloc soviétique, défendu le Tiers monde et ses luttes
pour se libérer des griffes de l’impérialisme occidental (Vietnam, Cuba,
Algérie...)
L’Auteur : Né en 1982 en ???? (Kabylie).Etudes et Algérie puis en France. Journaliste
, poète et écrivain. Plusieurs publications dont « Le Chant des sirènes » (premier roman en 2019), « Le Souffle du printemps », « La contagion du
bonheur » , , « L’Algérie révoltée »,
« Hymne à l’espérance »., « Journal d’un hittiste)
......
Sommaire : Préface (de Salah Guemriche)/
Naissance d’une idole/Influence philosophiques/L’engagement chez
Sartre/L’étincelle algérienne/Le fait colonial/Sartre et Camus ou la déchirure
algérienne/ Division ou débacle morale des
élites/Dans l’impasse : le manifeste des 121/Le pacte sacré avec les
porteurs de valises/La question de la torture/Le mythe gaullien/L’enpreinte fanonienne/La déroute
républicaine/Le sacre indépendantiste/Conclusion/Notes (572)/ Sigles/Bibliographie
(9 pages)
Extraits : « Sartre avait pris acte d’une
chose :l’écrivain était , qu’il le veuille ou non, « dans le
coup », obligé de résister, de prendre parti, de militer, de se battre
avec le monde et la réalité qui s’imposait à lui, chargé de témoigner sur son
temps, d’inscrire son écriture et son combat dans le cours de l’histoire, de
transformer ses exigences esthétiques en revendications matérielles
concrètes » (p 46), Camus avait vigoureusement dénoncé la violence ,
surtout celle commise par les révolutionnaires et les
« terroristes » qui disaient vouloir rendre le monde meilleur alors qu’il
n’avait pas soufflé un mot contre la violence étatique et systémique du
capitalisme ni , durant les années 1950, contre celle du colonialisme ayant
sévi en Algérie. A l'inverse, Sartre avait su identifier la violence étatique et systémique partout où il l’avait
rencontrée, et avait défendu des individus et des mouvements qui luttaient
contre elle » (p 80), « Camus était , au fond, pour Albert Memmi,
« un colonisateur de bonne volonté », celui « qui ne regrette
rien » selon la formule typique de Meursault dans
« l'Etranger » ( p 88), « Nous sommes en 1961. Pour Sartre,
l’indépendance de l’Algérie était d’ores et déjà acquise et elle interviendra dans
un an ou dans cinq ans, par accord avec la France ou contre elle, après
référendum ou par l’internationalisation du conflit » (p117), « La
dénonciation de la torture pratiquée par l’armée française ainsi que le thème
de la culpabilité personnelle et collective, jouèrent un rôle important dans
l’argumentation sartrienne contre la guerre d’Algérie » ( p139), « A
partir de 1958, Sartre l’anti-Pcf, Sartre l’anti-« Gauche molle »,
Sartre l’anti-guerre totale, Sartre l’anticolonialiste Sartre l’antigaulliste,
Sartre l’antgénéral, , Sartre
l’antimilitariste » (p145)
Avis : Un
essai aussi pertinent par son approche que percutant par son contenu De la recherche fine et ciblée qui
nous réconcilie avec un philosophe qui (en dehors de ses autres positions
politiques) , grand admirateur et ami de Fanon, a été
un fervent défenseur – et sans concessions- de la cause indépendantiste
algérienne
Citations : « Etre intellectuel est une attitude et non pas un
métier » (J-P Sartre cité, p 42 ),
« Mais , enfin, qu’est-ce que vraiment un « intellectuel
engagé » ?Le philosophe le définissait d’abord comme
« technicien du savoir pratique » (p 56), « Sartre et
l’Algérie. Deux mots qui pourraient résumer l'essentiel : engagement et
solidarité révolutionnaire (.. .....) Par sa
folle fringale de l’action nourrie opar son devoir
d’éthique de moraliste, ce fut, irrévocablement, le digne
repréentant de la France des Lumières face à
celle des ténèbres... » (p 181)
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------