HABITAT- VILLE- MILIANA
©Adil Messaoudi/El
Moudjahid, 23 août 2023
Miliana est une
ville relevant de la wilaya d’Aïn Defla, située à quelque 30 km du chef-lieu de
la wilaya et à 110 km au sud-ouest d’Alger, bâtie à 740 m d'altitude sur les
contreforts du mont Zaccar, dominant la vallée du Chéliff.
La ville millénaire de Miliana est née de sa position stratégique qui en a
fait une cité conquise et reconquise tout au long de son histoire. Elle a eu
plusieurs appellations. Les anciens historiens comme Pline l'Ancien et Ptolémée
ont eu des divergences quant à l'origine du toponyme de cette localité.
Plusieurs appellations ont été citées telles que Zucchabar
ou Sugabar et Manliana ou
encore Malliana. Le toponyme Zucchabar
ou Sugabar a été mentionné dans les monuments
épigraphiques indiquant l'emplacement de la cité. Ce nom serait d'importation
phénicienne ou libyco-berbère, signifiant «marché du
blé». Quant au de nom de Manliana ou Malliana, il est cité dans l'antiquité pour une
agglomération située à l'emplacement actuel de la ville ou dans ses environs et
Saint Augustin évoque un évêque de cette cité. Ce nom d'origine latine est
attribué à la fille d’une famille patricienne romaine (Manlia)
propriétaire de grands domaines dans cette région agricole de la vallée du
Chélif. Mais selon d'autres auteurs, ce nom est berbère. Pline a, quant à lui,
qualifié cette cité de Colonia Augusta. À l'arrivée des Arabes, la ville prit
le toponyme de Mel-Ana, qui signifie «emplie de
richesses», puis Milyana. À l'instar des autres
villes du Maghreb, Miliana a connu plusieurs conquêtes ainsi que des troubles
politiques. Selon les divers travaux des historiens et des archéologues,
l'origine de la ville remonte à la Préhistoire. En effet, les recherches
effectuées en 1961 dans la zone nord de la ville ont révélé des traces d'une
industrie qui remonte à l'Atérien et au Capsien (Paléolithique moyen d'Afrique
du Nord). Par la suite, les Phéniciens, déjà installés à Césarée (Cherchell),
firent de Miliana et de sa région un centre économique important et stratégique
au centre du dispositif de sécurité des royaumes berbères. Durant l'occupation
romaine, Miliana fut l'une des grandes cités de la province de Maurétanie
césarienne. Les historiens rapportent que grâce à son site fortifié, en l'an
375, le général romain Théodore, évacuant Césarée (Cherchell), vint occuper Sugabar pour réprimer l'insurrection qu'a menée Firmus, un
chef berbère. L'arrivée des Vandales au Ve siècle, par la suite, effaça la
ville et avec elle tous ses vestiges historiques.
Il faudra attendre l'arrivée des Fatimides, durant les années 372-380 de
l'Hégire (972-980 de l'ère chrétienne) pour que renaisse Miliana sous le règne
du maître incontesté d'Ifrikya, Bolokein,
et devint, un certain temps, la capitale du Maghreb. Ibn Hawqai n'a pas été le seul voyageur à citer Miliana. Il y a
eu aussi Ibn Maachara El Abdari
ainsi que le célèbre Ibn Batouta et Ibn Khaldoun, l'illustre sociologue qui, en
774-1372, décrit la ville de Miliana comme «une cité
faisant partie du domaine des Maghrawa Beni Warsifen et que Bologhin a tracé
le plan des villes d'Alger, de Miliana et de Médéa». Selon les écrits des
historiens, Miliana a, depuis des siècles, été une ville et une position
stratégique conquise et reconquise au gré des conquêtes qui se sont succédé.
Déjà Youssef Ibn Tachfine, chef des Almoravides,
occupa Alger, Médéa et Miliana en 473 de l'Hégire (1081 de l'ère chrétienne) et
75 ans plus tard, en 1159, elle fit partie de l'empire almohade et subit le
siège des Beni Ghania en 1184. Un siècle après, en
1261, Miliana est assiégée par les Hafsides de Tunis venus prêter main-forte à
leurs alliés les Beni Toudjine qui étaient en
possession de la ville. Un demi-siècle plus tard (1308), les Zianides conquirent la majorité des villes du centre du
Maghreb, y compris Miliana. A son tour, le Sultan de Ténès, Abou Abdallah
Mohamed El Moutawakil, en 1461, prit Miliana et Médéa
et souleva une armée pour conquérir Beni Rached, Mostaganem et Tlemcen. A
l'avènement de l'armée turque, au milieu du XVIe siècle, en 1517, appelée pour
contrecarrer les convoitises des Espagnols encouragés par quelques victoires
remportées à l'Ouest, la puissance turque imposa dans les principales villes
une organisation administrative et militaire de la région nord à l'image de
celle en vigueur dans l'Empire ottoman, une organisation très hiérarchisée sous
l'autorité du gouverneur général Khair Eddine Bacha,
dit Barberousse, régent d'Alger et grand amiral. A cette époque, Miliana prit
un rôle prépondérant et devint un centre de rayonnement religieux et culturel
sur l'ensemble de la région.
Après la prise d'Alger en 1830,
les Français se heurtent à la résistance de la population qui fait allégeance à
l'Emir Abdelkader qui installe à Miliana un califat en 1835. Par la suite,
la ville est occupée en 1840 par les troupes du maréchal Valée, mais la
garnison est assiégée à plusieurs reprises par Mohamed Ben Allel
(une figure centrale de la résistance à la conquête de l'Algérie par la France,
descendant d'une grande famille maraboutique de Koléa.
Des renforts furent alors dépêchés d'Alger par le maréchal Bugeaud pour approvisionner
les assiégés. Ben Allel meurt en 1843 et les troupes
françaises incendient la cité en 1844 pour déloger les partisans de l'Emir.
Miliana, ce n’est pas seulement une ville avec une histoire associée à des
visages révolutionnaires qui ont confronté le colonialisme français, comme Mustapha
Ferroukhi ,
comme le martyr Ali La pointe, le martyr Ahmed Bouguerra
dit Si M’hamed et le précurseur du scoutisme algérien
Mohamed Bouras, elle dispose d’un riche patrimoine qui lui a valu d’être
classée secteur sauvegardé et qui attend d’être valorisé. Il serait vain de
parler de Miliana sans évoquer la vie de son saint tutélaire, Sidi Ahmed Benyoucef dont la mémoire est perpétuée chaque année par le «Rakb». Il s’agit d’une tradition
de la tribu berbère des Beni Farah et de la région. C’est un pèlerinage annuel
dans l'enceinte du mausolée de Sidi Ahmed Benyoucef.
Des centaines de pèlerins venus de plusieurs régions du pays entament leur
procession à partir de la ville de Messelmoune
(wilaya de Tipaza) jusqu'au mausolée du saint. Selon diverses sources écrites
concordantes, Sidi Ahmed Benyoucef est né en 1434 à
la Kalaâ des Béni Rached, dans la région de Mascara,
d'où son nom Ahmed Benyoucef Er-Rachidi.
Il est décrit comme un homme d'une grande piété, un mystique adepte de la
confrérie Echadhilya, tout comme on dit qu'il a été
le condisciple de Sidi Boumediene de Tlemcen et de Sidi El houari d'Oran, féru
d'agronomie et d'agriculture. Sidi Ahmed Benyoucef
était un érudit respecté, dont le savoir religieux est incontesté par les
ulémas de son époque, qui rencontra Baba Aroudj sur
la berge d’une plage d’Oran. Subjugué par ses réponses, Baba Arroudj s’émerveilla de la personnalité de Sidi Ahmed Benyahia qui fut l’un des farouches opposants aux Espagnols
et à leurs alliés. Depuis et jusqu’à nos jours, le parcours et les paroles de
Sidi Ahmed Benyoucef, dont la quête pour la science
est désormais proverbiale, sont ancrés dans la mémoire collective à Miliana.
Son legs est jalousement préservé, car il représente un pan entier de
l’histoire de Miliana et de l’Algérie. La confrérie de Sidi Ahmed Benyoucef à Miliana, est l’une des plus anciennes zaouïas
d’Algérie. Elle a été fondée dans la première moitié du XVIe siècle, soit
quatre ans après la mort du saint patron de la ville, dont elle porte le nom.
Depuis 1530, la zaouia, qui abrite le mausolée de Sidi-Ahmed Benyoucef, attire étudiants et pèlerins de toute la partie
centrale du pays et même au-delà. De tout temps, elle a été un phare d’un islam
tolérant. Des oulémas, des imams et des tolba, venus
des quatre coins d’Algérie, y ont été initiés aux sciences du Coran et de la
sunna. Depuis des siècles, elle s’est érigée contre l’obscurantisme et a
combattu le prosélytisme et l’acculturation, notamment durant la longue nuit
coloniale. D’ailleurs, en 1840, son siège lui a été spolié par l’armée
coloniale pour en faire son quartier général. Adepte de la voie spirituelle Echadhiliyya, la confrérie a été et est de nos jours le
lieu de convergence des démunis et des gens de passage.
Par ailleurs, la fête des cerises
de Miliana, est une manifestation socioculturelle qui se déroule se déroule
durant la dernière semaine du mois de juin. Elle a été célébrée pour la
première fois aux lendemains de l'indépendance du pays, pour permettre aux visiteurs
de découvrir les us et coutumes de la ville et de déguster les différentes
confiseries faites à base de cerise. Elle a connu une rupture d'une décennie,
puis est à nouveau célébrée dans le cadre d'un plan de réhabilitation des fêtes
locales spécifiques à la wilaya d'Aïn Defla. Quelques monuments qui remontent
du XVIIe siècle subsistent de nos jours telle l’ancienne demeure de l'Emir
Abdelkader, qui est un édifice de style mauresque situé en plein centre-ville.
Le bâtiment a été restauré et aménagé en musée de Miliana. Il comprend
plusieurs salles d'expositions sur l’histoire de la région tels des vestiges
archéologiques des époques romaine et musulmane, les résistances populaires
pendant la conquête de l'Algérie par la France et également des objets ethnographiques
du Sud algérien. En sus, le minaret El-Batha faisait
partie d’une ancienne mosquée dite djemaâ ElTurc ou djemaâ El-Batha. Elle fut détruite vers 1844 pour aménager une place
publique et son minaret a été transformé en horloge. Il y a aussi la
manufacture d’armes de l’Emir Abdelkader, située dans la banlieue Est de la
ville. Cette usine a été édifiée par l’Emir vers 1839. Elle était gérée par
Alquier Cazes, un ingénieur minéralogiste déserteur de l’armée française avec
l’aide des ouvriers européens et cela en vertu du traité de la Tafna. Elle fut
détruite et abandonnée par l’Emir lors de la prise de Miliana le 8 juin 1840.
Ce bâtiment fut transformé à partir de 1845 en moulin à farine. En 2005, le
site a fait l'objet de travaux de réhabilitation et a été transformé, depuis,
en musée témoin d'une étape importante du parcours de l'Emir Abdelkader.
Aujourd’hui, Miliana se fait appeler «ville d'art et
d'histoire» car elle est connue pour ses troupes théâtrales et leurs
productions et œuvres présentées à travers le pays mais aussi à l'étranger. De
Miliana tout le monde garde le souvenir de la place des Charbonniers où a été
tournée une partie du film «Beni Hendel»
(Les Déracinés), réalisé en 1976 avec une pléiade d'artistes tels que feu
Hassan El Hassani, Kaltoum et Omar Zebdi.