CULTURE- PERSONNALITES- SAID
BOULIFA
© Pr Ahmed Cheniki, fb, juillet 2023
UN GRAND OUBLIE, SAID BOULIFA, UNE GRANDE ICONE DE L'ALGERIE
Souvent, quand on parle de l’Algérie, nous avons l’impression que trop peu
de choses ont été réalisées par des lettrés. Il y a de grands intellectuels.
D'extraordinaires travaux. Une profonde lecture du quotidien. Des lieux
d'Histoire. Ce sont de véritables actes de résistance.
Déjà, à partir du début du vingtième siècle, surtout avec l’adoption des
formes de représentation européenne, l’appareil scolaire a été un élément
central ayant permis la découverte de cette altérité non consentie. Certes, il
existait des écoles algériennes, mais les programmes étaient embryonnaires.
Ainsi, quelques Algériens allaient fréquenter l’école française et, par la
suite, certains d’entre eux, l’école normale de Bouzaréah.
Si Ammar-ou- Said Boulifa
(1863-1931) y avait poursuivi sa formation d’instituteur. Malgré la loi
Jules Ferry qui rendait l’école publique obligatoire et gratuite, les autorités
coloniales faisaient tout pour restreindre considérablement l’accès à
l’enseignement pour les autochtones de peur que, conscients et formés, ils se
retourneraient contre l’occupant colonial. Trop peu d'Algériens avaient
fréquenté l'école. Des Algériens ont usé du savoir scolaire contre l'occupant
colonial. Le français devenait un instrument de guerre contre la France
coloniale.
Cet instituteur avait pris la décision d’interroger les espaces sociologiques,
historiques et linguistiques de sa région, inaugurant peut-être ce travail de
fourmi qu’on pourrait appeler, microsociologie et micro-Histoire. Ce qui
l’intéressait, c’était le terrain, la réalité concrète. Il se déplaçait sur les
lieux, les différents villages, questionnant populations et décrivant climats
et faits historiques. Une réponse aux mensonges de ceux qui n'arrêtaient pas de
justifier leur sale colonisation par le mythe de la civilisation. Said Boulifa savait que ce qu'il
faisait, en empruntant certaines valeurs et la langue française, permettait de
démythifier la parole dominante et donner à lire un passé autochtone fait de
belles choses.
C’est à la faculté des lettres d’Alger qu’il assura l’enseignement de son
savoir. Il entreprit des missions de recherche archéologique en Kabylie, du
droit traditionnel tout en menant un ambitieux travail sur l’Histoire du
Djurdjura. Il s’occupera également des questions littéraires (recueil de contes
et de poésies populaires notamment)
L’un des pionniers de la mise en œuvre d’une grammaire « amazigh » est Said Boulifa qui avait proposé
des lectures particulières de la littérature et de la langue « amazigh »,
recueillant contes et poèmes et esquissant une grammaire : « Manuscrits
berbères du Maroc », 1905 ; « Recueil de poésies kabyles », « Texte
Zouaoua » traduit, annoté et précédé d'une étude
sur « la femme kabyle » et d'une notice sur « le chant kabyle »
(airs de musique), Alger 1904 ; « Méthodes de langue kabyle,» 1913).
On ne peut parler de Boulifa sans évoquer
l’émergence de la science historique en Algérie. Les deux premières décennies
du vingtième siècle constituèrent sans aucun doute les premiers moments, certes
très agités, du mouvement nationaliste algérien. Plusieurs écrits virent le
jour. A côté des textes de Moubarak el Mili (1889-1945) et Tewfik
El Madani (1898-1983), s’imposait également l’œuvre de Si Ammar-ou- Said Boulifa qui avait proposé
une autre lecture de l’Histoire de l’Algérie (Grande Kabylie, Le Djurdjura à
travers l'histoire depuis l'Antiquité jusqu'en 1830, Alger 1925). L’Histoire
ancienne est marquée du sceau de la revendication politique et idéologique. La
convocation du passé (« arabe » ou « amazigh ») correspond à des choix
idéologiques particuliers. La lecture de Said Boulifa est fondamentalement différente des interprétations
proposées par Moubarak el Mili, Tewfik el Madani et
Abderrahmane Djilali.
Il ne craignait pas de répondre aux textes des anthropologues et
ethnologues dominants de l’époque, comme le général Adolphe Hanoteau
dont les conclusions d’une de ses études sur la Kabylie lui paraissait
caricaturale et trop peu sérieuse. Il admirait René Basset tout en tentant
d’avoir une lecture très personnelle des faits et des choses.