POPULATION-BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- ROMAN WADI BOUZAR- « LES FLEUVES ONT
TOUJOURS DEUX RIVES »
Les fleuves ont toujours deux rives. Roman de
Wadi Bouzar. Entreprise nationale du livre,
Alger1986, 157 pages, 24,84 dinars....en 1986.Prix de
l’Afrique méditerranéenne 1987.
Une histoire en apparence banale,celle d’un intellectuel
(journaliste) durant les premières années de l’Algérie indépendante.....en
butte aux tracasseries et les jalousies internes de la part de ceux qui font et
défont le secteur , le directeur, le red’chef et même
son ancien ami d’études, le ministre en charge du secteur. Trop
compétent, honnête, professionnel engagé jusqu’au bout de sa plume, il s’est
assez vite retrouvé « mis en disponibilité sans salaire » et obligé
de s’exiler à Paris, l’herbe étant plus verte. Il y sera bien accueilli et il y
rencontrera même l’amour d’une réfugiée d’origine arabo-égyptienne. Mais cela
ne va pas suffire à calmer sa douleur....être
loin de son pays, constater qu’un système prédateur est en place, voir le monde
arabe s’empêtrer dans des conflits sans fin.....Pour finir, il s’engagera
auprès des Libanais pour combattre les envahisseurs sionistes.
Une histoire en apparence banale
mais multipliée par dix, par cent, par mille, elle résume le mal-vivre, le
mal-être de toute une génération de journalistes et d’intellectuels
(l’enseignement y compris) arrivés (fin des années 60 et années 70-80) sur la
nouvelle scène nationale plein d’espoirs et de projets
mais qui se heurtent au mur de l’affairisme, de la corruption,du ben’amisme, des
amitiés douteuses, des compromissions intellectuelles et politiques.....La solution !
L’exil...cette autre forme de suicide.
En juin 2019, l’auteur avait
accordé un entretien à un quotidien algérien. Il donnait à lire
l’importance du droit et de l’Etat de droit en partant du terrain social et politique: « La priorité est de créer un Etat de droit,
tâche difficile, longue et délicate, parcours semé d’obstacles en raison des
habitudes prises depuis longtemps par des groupes et des individus. (…) Le
citoyen doit avoir le droit de réclamer, de se plaindre, de porter plainte sans
difficulté. L’Etat de droit se joue d’abord dans ces « détails », dans la vie
quotidienne. ». C’est tout dit et cela résulme assez bine le roman.
L’Auteur :Né en 1938 à Rabat, professeur des Universités
(sociologie culturelle) . lUn des plus grands sociologues du Maghreb, au savoir
singulier et l'un des plus inventifs. Il a écrit beaucoup, mais apparemment peu
connu en Algérie, lui qui a formé énormément de monde à l’université d’Alger et
ailleurs. Plusieurs œuvres : Romans, études universitaires,
articles de presse, essais (dont le monumental « La mouvance et la
pause : Regards sur la société algérienne », Alger 1983, 819 pages),
édités en Algérie ( Sned,Enal, Enag, Opu..)
et à l’étranger
Extraits : « Le
fait religieux devait se vivre d’abord face à sa propre conscience et devant
Dieu et non seulement sous le regard d’autrui » (p 26), « Allez donc
faire comprendre cela (note : la réalité) aux grandes
personnes ! Elles avaient leur monde à elles, un monde bien étrange, lui
aussi, fait de conversations sérieuses, soudain entrecoupées de rires inexplicables.Un monde de
certitudes » (p38) , « Avant d’être ainsi emportés
(note : par le fleuve), nous nous immergeons tant et plus , en
général, nous revenons toujours à la rive familière où nous sommes nés »
(p133)
Avis : L’Algérie
des années 60-80.Autre temps, autre style, mais même
récit. Les (més-) aventures d’un intellectuel vrai , engagé..... et broyé par le
« Système ». Lecture déprimante mais utile, ..pour
comprendre les crises d’aujourd’hui .
Citations : « L’impérialisme
des grandes puissances, multiforme, existait toujours mais c’était aussi
l’impérialisme interne, la soif de puissance, l’héritage féodal de tout un
chacun qu’il fallait combattre » (pp 26-27), « Quand vous n’étiez pas
un responsable, vous n’aviez pas droit à un bureau, même en travaillant comme
un forcené. Dans un tel contexte, n’être pas chef revenait à n’être
pas » (p 29), « Le temps ne nous suffit jamais de vivre, de revivre
et de faire revivre » (p44), « Etre un
intellectuel complique plutôt les choses.On est plus
informé, plus conscient, plus lucide.On est enclin à
dramatiser davantage, du moins aux yeux de la majorité.Un
intellectuel n’est jamais indifférent et, en fait, il n’est jamais désengagé.Quand on est devenu un véritable intellectuel, il
n’est pas sûr qu’on l’ait toujours choisi » (p110), « L’hiver arabe
est un homme arabe en colère » (p135)